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Nos Lecteurs ont la Parole

Entre l’État rationnel et un état passionnel

J.-P. Marat en 1792 : « Tout est perdu chers amis de la patrie, tout est perdu, si le peuple continue à se laisser endormir par ses perfides mandataires et si la nation entière ne se soulève pas à la fois, contre les suppôts du despotisme. Sans une insurrection générale, c’en est fait de nous pour toujours. »

Notre situation au Liban continue de se dégrader à cause de tous les artifices et les déclarations que nous assènent les responsables. C’est une situation chronique qui ne fait que s’empirer. Bien sûr à rabâcher les mêmes plaintes, on ne fait que se répéter. Mais en fait si le mal est toujours là, on ne peut que se plaindre et dénoncer le même mal. Ce mal englobe toute la structure sociale et tous les rouages du pays. Quand on dit l’État rationnel, c’est un État conforme au bon sens, un État qui applique les lois, un État conforme au contrat social accepté et respecté de tous. Quant à l’état passionnel au niveau individuel, c’est un potentiel affectif (attachement à des idées propres, à des objets, des principes ou à des convictions fixes) qui polarise toute l’activité mentale. Ceci empêche tout sens critique entraînant un comportement déviant une vision unique. C’est un sentiment exclusif et envahissant de la personne.

Dans la majorité des pays arabes, il y a comme une vague passionnelle qui paraît justifiée pour dénoncer des responsables despotes et défaillants. Après le règne de l’Empire ottoman pendant 500 ans, d’un côté, l’empire colonial de l’autre côté sur plusieurs pays au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, « l’Homo arabicus » est perturbé, inquiet et paraît sans boussole. Ces dizaines et centaines d’années passées n’ont fait que maintenir le peuple dans la misère, dans l’indigence, dans l’illettrisme sauf une certaine élite limitée et peu active. Les pays étaient dirigés par des militaires, des despotes, des profiteurs qui n’ont fait que perpétuer leur pouvoir et leurs intérêts avec une succession de coups d’État loin des règles et des lois démocratiques. Dans plusieurs pays de la région, on assiste à un éveil de l’islam libéré en apparence mais toujours lié à de nouvelles puissances extérieures. Depuis les frères musulman, el-Qaëda, Daesh et la révolution des mollahs en Iran, en 1979, il y a comme une mise à jour du conflit séculaire entre sunnites et chiites. Dans ces tourbillons envahissants, le Liban ne pouvait rester à l’abri des remous et des tiraillements. Pris dans cet engrenage ambiant, la majorité des responsables s’y sont donné corps et âme. Tout l’édifice de l’État se disloque, les barricades mentales s’élèvent, les armes affluent entraînant des morts, des ruines, du désarroi, et des rêves déçus. La situation actuelle nous révèle la corruption, l’intoxication de l’information et le mensonge des responsables. Il n’y a aucun plan de relève du pays, le dialogue avec les instances internationales ne peut aboutir faute de sérieux et de données fiables à négocier. Tout au contraire, nos « responsables » politiques jouent les loups guerriers qui agressent le peuple (par vol de l’État, spoliation des biens du peuple et en plus ils augmentent les impôts et les prix des services). Ce sont des vautours qui n’ont en vue que l’appât du gain et la pérennité de leur pouvoir.

Face à la brutalisation de la dignité humaine, une légitime défense s’impose pour arrêter cette obstination passionnelle qui voudrait entraîner le pays dans un engrenage guerrier. Même si cet état de guerre paraît légitime, encore faut-il rassembler le plus de pays pour soutenir cette démarche. Il faut rappeler que quand on vit du commerce de slogan guerrier, la paix est une menace pour son gagne-pain. Il y a un récit totalitaire qui s’impose et qui refuse l’altérité. Dans cette ambiance et loin de tout consensus, on vit un blocage où plusieurs contradictions ne font pas une nation. Il n’y a que les gens de bonnes volontés, des responsables ouverts au dialogue constructif qui peuvent gouverner le pays. Sûrement pas les excessifs, les responsables à idée fixe qui semblent incapables de gouverner et d’inspirer confiance.

Devant un monde arabe éclaté, c’en est fait du rêve du panarabisme et le peuple de plus en plus égaré reste soumis soit à des régimes militaires, soit à des dictateurs mal éclairés. Le peuple hésite entre une servitude politique et une révolte verbale qui anime les conversations autour d’un café, ou le temps d’un dîner, ou en réaction au talk-show partisan et sans horizon. On devrait questionner les influenceurs, ceux qui pensent, ceux qui peuvent s’affranchir de leur parti pris, ceux qui peuvent sortir du piège de l’ignorance pour éclairer le pays. Il fut un temps où le Liban pouvait jouer les bons offices entre les pays arabes mais avec des politiciens éclairés, ayant le sens de l’État. Ils pouvaient avoir des idées différentes mais ils pouvaient conserver des valeurs communes. Nous sommes à une période où un vieux monde s’éteint et un nouveau qui n’apparaît pas. En attendant, il y a des profiteurs qui profitent, des assassins qui tuent et des voleurs qui font main basse sur les biens de l’État. Pour construire un État il faut renoncer à son pouvoir de nuisance et respecter l’interaction sociale. Le drame de notre pays fait que des voyous du pouvoir se mettent à penser et à vouloir jouer les guides du peuple. Si pour aboutir au pouvoir il y a une dose d’opportunisme, la pratique du pouvoir implique de la hauteur d’esprit et une grandeur d’âme. Une révolution doit naître de cette injustice et de cette détérioration sociale. Un soulèvement populaire qui pourra ramener à l’État les institutions harmonieuses et les rapports sociaux au niveau du droit chemin. S’ajoute à notre misère, la misère des flux de réfugiés syriens qui viennent bousculer tout le tissu social du pays. Aucun des responsables au Liban n’ose s’exprimer à ce sujet. La conjoncture internationale aidant, le désordre mondial croissant (petites et grandes guerres), le tout va déstabiliser le consensus mondial accepté jusque-là. Certains Libanais sans le dire semblent complices ou plutôt favorables à ce déplacement de réfugiés syriens vers le Liban. C’est un déplacement qui semble préparer un grand remplacement d’une partie de la population libanaise. Déjà en 1994 il y a eu un prélude par un décret de naturalisation massive. Comment ont réagi les intellectuels, les historiens, les penseurs, les influenceurs en cette période ? Seule la Ligue maronite s’est exprimée par un recours auprès du Conseil d’État mais sans résultat. Il faut une réaction concertée pour écarter les pervers qui minent les fondements de ce pays. La communauté des démocrates est très frileuse, elle s’abrite derrière son petit confort qui semble en voie d’extinction. Ces démocrates devraient savoir que la liberté n’est pas une rente, la liberté est un combat. Le pays a été épuisé sciemment dans le but de tout lui imposer. Les pays étrangers se permettent de nous dire, nous ferons la paix chez vous, nous ferons le président sans vous et presque contre vous. Ceci nous fait penser à la réflexion que « les grands États sont des bandits et les petits États sont des putes ».

Notre démocratie était représentée par des personnes respectables que les autres pays pouvaient apprécier et respecter. Notre démocratie faisait que les responsables pouvaient s’entendre même sans être d’accord sur tout. Notre espoir est dans une démocratie où cohabitent des êtres humains qui acceptent d’avoir la faculté de tout désirer et qui acceptent l’impuissance de tout obtenir. Une démocratie avec convergence de destin pour relever le pays. Nos politiciens en place ont retenu la réflexion de G. Clémenceau : « On ne ment jamais tant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse. » Ils peuvent ajouter « on ment quand on est au pouvoir au Liban ». Nous aspirons à une démocratie libérale loin des démagogues et des populistes dominants et destructeurs. Une démocratie tolérante qui reconnaît et accepte que les autres aient une vision du monde différente, avoir d’autres goûts, d’autres façons de voir et d’agir dans l’espace intérieur et sans contraintes. Une démocratie ouverte au dialogue avec des concessions et une reconnaissance de l’autre. Une démocratie respectueuse de l’humain et d’un vivre ensemble. Une démocratie où les personnes s’entraident sans s’entretuer. C’est l’espoir et c’est possible au Liban avec un État rationnel, loin des états passionnels. Dans cette période sombre de notre histoire que chacun médite à ce qu’il doit faire pour assurer l’avenir de notre jeunesse. Que chacun cesse de se complaire dans son égoïsme basique, son confort factice en suivant les ingénieurs du chaos dans le bal des ambitieux et des passionnés. Nos responsables sont comme des nuages, quand ils disparaissent il fera un temps magnifique.

Psychiatre, psychanalyste

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J.-P. Marat en 1792 : « Tout est perdu chers amis de la patrie, tout est perdu, si le peuple continue à se laisser endormir par ses perfides mandataires et si la nation entière ne se soulève pas à la fois, contre les suppôts du despotisme. Sans une insurrection générale, c’en est fait de nous pour toujours. »Notre situation au Liban continue de se dégrader à cause de...

commentaires (1)

Nos responsables sont comme des nuages, quand ils disparaissent il fera un temps magnifique. J'adore cette phrase

M.J. Kojack

16 h 51, le 11 octobre 2023

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Commentaires (1)

  • Nos responsables sont comme des nuages, quand ils disparaissent il fera un temps magnifique. J'adore cette phrase

    M.J. Kojack

    16 h 51, le 11 octobre 2023

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