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Rosier sauvage

Le lierre a rosi. Ses feuilles font de petites flammes qui oscillent sous le vent. Les lianes déjà ligneuses qui les portent enserrent les murs de la maison, en font presque le tour, et c’est comme de l’amour, cette longue fusion du végétal et du minéral que rien ne peut séparer. La pierre flamboie au crépuscule, on la dirait gorgée de sève. Sous son feuillage, l’Hedera déploie un réseau de veines grises que l’on prendrait pour des reliefs du calcaire.

Bientôt les passereaux quitteront la montagne. Lequel d’entre eux donnera-t-il le départ ? Par quel signal lui-même alerté ? Sublime moment de cette murmuration qui s’élève derrière la forêt, prend des formes de nuages, passe au-dessus de vos têtes puis tourbillonne vers son point de départ et revient. Chercheraient-ils un retardataire trop jeune pour croire à l’hiver ? Ou peut-être est-ce un rituel d’adieu, un tour d’honneur pour un dernier regard, un dernier coup d’aile ému au bonheur que l’on quitte ?

En vain cherche-t-on, de retour à la ville, cette unité des gens, des créatures et du paysage. Au seuil de l’automne, la première impression qui vous saisit sur les routes encombrées d’impatients est cette absence de cohésion ou de cohérence. Enfants, nous appelions « cousins » les jeunes voisins qui partageaient avec nous la permission de 4h, le goûter au pied du cyprès agacé qu’entortille un bougainvillée sans manières. Odeurs de pin et de chats errants. Ballon chasseur. Marelle sans ciel. Gardien pervers émergeant de sa loge. Les liens que tout cela créait étaient si forts qu’il nous était inconcevable qu’ils ne fussent pas de sang.

Derrière les jacarandas résiduels et quelques ficus blasés crevant un peu plus les trottoirs inutiles, le long des immeubles où s’égrènent des vies en attente, tout semble tout à coup dispersé. N’était-ce les fils électriques par quoi les immeubles tiennent les uns aux autres, ou tiennent tout court, partageant inconsciemment leur dépendance à ce réseau échevelé – peut-être les tentacules d’une bête sadique qui régit les vies selon ses caprices –, rien ne s’attacherait à rien.

Beyrouth est bipolaire. Sans doute l’amour-haine que lui infligent ses habitants. La ville ne sait plus ni qui elle est ni qui elle abrite. Les touristes partis, on voit des enfants à peine sortis des langes vibrionner entre les voitures à l’arrêt, se hisser sur la pointe des pieds pour cogner aux fenêtres, quémander n’importe quoi. Une petite fille de deux, trois ans essaie un serre-tête à fleurs en se mirant dans un rétroviseur. Pieds nus, cherchant son charme. Comment désarmer le bourgeois. Si jeune. Les voitures passent, aveugles, manquent de l’écraser, mais elle connaît déjà les esquives, pirouette chair contre métal. Les voitures ont une forte odeur de taureau, mélange de soufre et de macadam brûlé. Qui lui a appris ?

Septembre, et on essaie la ville comme un vêtement de l’automne dernier. Elle ne passe pas. Trop large ici, trop serrée là. Qui nous a fait cet habit-là ? Qui saura retoucher la vareuse qui n’a rien au bon endroit ? C’était notre manteau de roses.

« Le Liban est une barrière. Si le Liban s’effondre, alors toute l’Europe aura un problème », plaidait, il y a quelques jours, le ministre chypriote de l’Intérieur. « Le Liban est un rosier sauvage », avertissait Amin Maalouf en 2006, expliquant la pratique des vignerons, en Bourgogne et dans le Bordelais, qui consiste à planter des rosiers en tête des rangées de vignes comme des sentinelles chargées, en s’infestant de parasites, d’alerter les agriculteurs sur la santé du raisin. Comment appelle-t-on un pays qui s’écroule tout en restant debout ?

Le lierre a rosi. Ses feuilles font de petites flammes qui oscillent sous le vent. Les lianes déjà ligneuses qui les portent enserrent les murs de la maison, en font presque le tour, et c’est comme de l’amour, cette longue fusion du végétal et du minéral que rien ne peut séparer. La pierre flamboie au crépuscule, on la dirait gorgée de sève. Sous son feuillage, l’Hedera...
commentaires (8)

Sii beau et si poétique ! Merci pour cet article

BAPTISTE Hoda

15 h 08, le 26 septembre 2023

Tous les commentaires

Commentaires (8)

  • Sii beau et si poétique ! Merci pour cet article

    BAPTISTE Hoda

    15 h 08, le 26 septembre 2023

  • Ça ramène Moustaki et l'air de sa "rose de Baalbeck" ... Merci Fifi pour ce diagnostic quand même douloureux.

    Wlek Sanferlou

    14 h 07, le 25 septembre 2023

  • Merci C trop beau

    Iman Noueiry Naja

    17 h 12, le 24 septembre 2023

  • Bel article

    Eleni Caridopoulou

    20 h 12, le 21 septembre 2023

  • Si Monsieur l’Académicien le dit : ""le Liban est un rosier sauvage"" dans le sens, un pays tellement sensible aux caprices de la météo politique régionale pour alerter d’un danger imminent, il arrive souvent que tout un vignoble ou tout un pays soient déjà touchés et ravagés sans qu’un rosier ne donne l’alerte. Dans ce cas de figure, le rosier sauvage est une mauvaise sentinelle. Je suis sûr du sens de la métaphore, mais en fait elle ne veut rien dire. Le rosier sauvage, l’églantier, s’il fait de bonnes haies pour se protéger des intrusions, il est meilleur en porte-greffe. Et là, la métaphore prend un autre sens, car chez nous, on a tout essayé, mais la greffe n’a jamais pris. On vit par capillarité, et c’est le rosier sauvage qui en profite quand on arrose le rosier qui donne de belles fleurs. Ne dit-on pas sur les rosiéristes : ""على حجة الورد بيشرب العليق"" . Quand ""un pays s’écroule tout en restant debout"", c’est qu’il est déjà un fantôme…

    Nabil

    16 h 41, le 21 septembre 2023

  • Heureusement que nous avons un porte paroles chipriote pour plaider la cause de notre pays avec les mots appropriés puisque nos irresponsables politiques, ministres, comme députés, président du parlement et zaims n’ont jamais trouvé ne serait ce qu’une phrase pour réveiller les consciences du monde, occupé à se goinfrer et s’enrichir sur le dos de ce pauvre peuple abandonnés à son sort, sans argent ni électricité ni eau, ni infrastructures ni président ni gouvernement et bientôt sans une terre libre pour lui servir de refuge. Nous courrons à notre perte et tout le monde s’en fout.

    Sissi zayyat

    15 h 46, le 21 septembre 2023

  • Très bel article qui pourrait également intéresser les proprios de pépinières.

    Hitti arlette

    12 h 21, le 21 septembre 2023

  • They call me Mr. Lebnén!

    Charles Ghorayeb

    05 h 32, le 21 septembre 2023

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