Raisonner par l’absurde est une chose, verser dans l’absurde en est une tout autre. Dans le premier cas, on a recours à l’une des diverses démarches qu’offre la dialectique, cet art de convaincre à l’aide d’arguments logiques. Pour prouver que sa propre allégation est vraie, l’auteur démontre alors que son contraire est faux, et le tour est joué.
Chère au cœur de Hassan Nasrallah est décidément la recette. En dépit de l’énorme déséquilibre des pertes humaines et matérielles noté lors de la guerre de 2006, elle lui permettait de revendiquer une divine victoire, en ce sens que l’assaillant israélien n’avait pu atteindre ses objectifs déclarés. C’est le même cheminement intellectuel qu’empruntait le chef du Hezbollah pour décréter, lundi soir, que le Hamas palestinien a d’ores et déjà gagné la guerre de Gaza. Il ne s’est d’ailleurs pas privé de tirer à lui un bon coin de couverture en rappelant les mérites du front de diversion ouvert par sa milice sur le front du Liban-Sud.
C’est toutefois quand elle s’aventure sur les flots que cette rhétorique tout-terrain est, le plus manifestement, prise en faute. Prenant soin de décliner toute responsabilité officielle, l’invisible mais incontournable négociateur qu’est le Hezbollah a acquiescé en 2022 à un accord des plus controversés sur la délimitation de la frontière maritime avec Israël. Voici maintenant qu’il appelle à ouvrir la mer aux embarcations de migrants cherchant à gagner l’Europe, accusée de vouloir au contraire maintenir ces derniers sur le sol libanais. Perçu comme un vulgaire et infamant pourboire, l’octroi au Liban d’une aide d’un milliard d’euros n’a fait, il est vrai, que donner consistance – et large audience politique – à cette accusation, laquelle fera l’objet aujourd’hui d’un débat au Parlement.
Un prêté pour un rendu : dans l’assourdissant concert de récriminations en perspective, il se trouvera probablement des élus pour reprendre à leur compte la vengeresse idée d’un débarquement massif de désespérés sur ce fieffé égoïste de Vieux Continent. Mais ce serait oublier, ou feindre d’oublier, que ceux qui aujourd’hui veulent se lancer dans l’exportation de migrants sont ceux-là mêmes qui ont guerroyé aux côtés du régime syrien. Et qui ont donc grandement contribué à la fabrication de réfugiés et de déplacés, puis à leur importation forcée au Liban à travers les innombrables voies de passage illégales bien connues des contrebandiers comme des combattants.
Non moins trompeuses sont les motivations déclarées de la milice. En menaçant de l’inonder de migrants, il s’agirait en effet de contraindre l’Europe – et par ricochet les États-Unis – à lever les sanctions contre la Syrie : à l’aider même dans sa reconstruction afin qu’elle soit en mesure, toujours grâce à l’assistance occidentale et arabe, de réinstaller sur place ses populations en cavale. De fait (et le Liban n’a cessé de le faire valoir, mais en vain), les crédits internationaux alloués à notre pays trouveraient bien meilleur usage en Syrie même, où le régime contrôle désormais de vastes portions de territoire. Mais c’est oublier cette fois, ou feindre d’oublier, que le régime baassiste ne veut tout simplement pas de ces brebis égarées ; ou bien qu’à la faveur d’un odieux chantage, il ne consentira à leur rouvrir les portes du bercail que s’il est reconnu comme le passage obligé de la charitable manne internationale…
Les rapatriements au compte-gouttes, tels ceux organisés par la Sûreté générale, se sauraient faire illusion : c’est sous ces mêmes fourches caudines que semble être acculé à passer le Liban. Contact sera établi dès jeudi, en marge du sommet arabe de Bahreïn. Le 27 mai, c’est à la 8e conférence de Bruxelles sur l’aide de l’UE à la Syrie et aux pays de la région que notre pays sera appelé à montrer patte blanche. Durement critiqué dans l’affaire du don européen, le chef du gouvernement démissionnaire a préféré s’y faire représenter par le ministre des Affaires étrangères.
Eh oui ! il est certains pots-de-vin qui ont vite fait de tourner au vinaigre.