« Pas l’école, s’il vous plaît ! Ne touchez pas à l’école ! » La nuit du 29 juin 2023, dans le quartier de la Ferrandière à Villeurbanne, près de Lyon, une femme s’époumone en courant vers un groupe d’émeutiers en train de saccager la cantine de l’école primaire Grandclément. Venant du cœur, sa requête devient supplication, quand un adolescent muni d’un mortier d’artifice la met en joue. Samar Antoun aurait pu être frappée de plein fouet si un autre jeune n’avait pas dévié le tir d’un geste de la main, tandis qu’un habitant accourait pour la protéger.
Franco-libanaise établie en France depuis 1984, cette directrice de l’école maternelle Antonin Perrin a suivi son instinct après avoir entendu de chez elle des bruits d’explosions. Sortie en trombe, elle tenait à s’assurer que son établissement était préservé, mais elle arrive sur une scène de guerre. Et ce dans un contexte d’émeutes qui ébranlent la France en ce début d’été, deux jours après le décès de l’adolescent franco-algérien Nahel Merzouk tué à bout portant par un policier lors d’un contrôle routier.
« Après mon intervention, ils ont quitté les lieux. Je crois bien que l’un d’entre eux m’a reconnue. C’était probablement le frère d’un de mes petits », observe-t-elle, contactée par L’OLJ. Mais un voisin, terré, a filmé la scène et, très vite, la vidéo fait le buzz sur les réseaux sociaux. Publiée par l’humoriste Sophia Aram sur son compte X (ex-Twitter), la séquence est reprise par le ministre français de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Gabriel Attal, le 8 septembre courant, sur son propre compte après une cérémonie lors de laquelle il a décoré la directrice des Palmes académiques. Louant « son courage » qui a « ému toute la France », le ministre revient sur ce « cri » de Samar Antoun qui « disait tout l’attachement de la nation à notre école ».
Du Zaïre à Lyon, en passant par le Liban l’été
« C’est aujourd’hui ma trente-troisième rentrée scolaire en maternelle », annonce fièrement cette mère de deux adultes devenue professeure des écoles en 1991. Rien ne la destinait à cette voie, pourtant, elle qui, arrivée en France peu avant ses 18 ans, se dirigeait de prime abord vers les sciences économiques. D’origine libanaise, l’éducatrice précise n’avoir « jamais vécu au Liban », mais dans l’ex-Zaïre (République démocratique du Congo actuellement). Pour elle et les siens, le Liban et Mtein, son village d’origine dans le Metn, sont plutôt synonymes de vacances. « Mon père était enseignant avec l’Unesco », explique-t-elle. Mais lorsque ses parents décident de quitter le Zaïre, le Liban est en guerre. La famille se dirige alors vers la région lyonnaise, où elle a déjà des attaches.
Exerçant depuis plus de trois décennies donc au sein d’institutions en réseau éducatif prioritaire (REP), qui hébergent un public présentant des difficultés sociales importantes, Samar Antoun tisse au fil des ans une relation de confiance avec les familles d’élèves. Un de ses anciens écoliers, aujourd’hui parent d’élève, est récemment venu la saluer avec émotion, raconte-t-elle. « Ma relation avec les familles d’élèves est un de mes points forts », elle qui communique en arabe au besoin devant des écoliers allophones.
Mais Samar Antoun se bat aussi pour que les autorités françaises se penchent plus sur la question des enfants en situation de handicap, sans oublier « les droits des enseignants, proches de l’épuisement ». C’est d’ailleurs à son équipe qu’elle dédie la distinction reçue, qui le lui rend bien : « Samar a été récompensée pour son geste courageux, certes, mais aussi pour son parcours exemplaire, son travail acharné, sa bienveillance et son humilité au service de l’institution, des familles et des enfants », applaudit sa collègue et amie Isabelle Brun. Elle ajoute : « Il faut aussi dire que, pour Samar, l’école est la preuve qu’on peut réussir tout en étant d’une autre origine. »
Le soutien aux étudiants libanais
Avec le Liban, Samar Antoun a toujours maintenu le contact, même si sa dernière visite remonte à 2012. « J’ai gardé le lien avec la paroisse Notre-Dame du Liban, dirigée par les pères Antonins, au sein de laquelle j’ai pratiqué 15 années de bénévolat », dit cette chrétienne engagée, mais aussi fervente partisane de la laïcité à l’école républicaine, et donc de l’interdiction du port du voile, et, plus récemment, de la abaya. À son poignet, une discrète icône de saint Charbel ne la quitte pas, mais « je ne porte jamais de croix à l’école », soutient-elle.
Bénévole, depuis près de neuf ans, au sein de l’association Les Amis du Liban en France-Lyon dont elle est la trésorière depuis 2020, elle y « soutient les étudiants libanais nouvellement arrivés en France ». « Pour ma part, je me charge de les garantir pour qu’ils trouvent un logement », souligne-t-elle. Mais en coulisses, son amie de longue date Hasmik Ghazarian Boustani, également bénévole, relève sa « grande disponibilité » : « Elle assure aussi des cartons alimentaires à des familles nécessiteuses. »
Samar Antoun n’aime pas « être dans la lumière » et se dit « embarrassée » par le tintamarre autour de sa personne. Mais le soutien massif des parents d’élèves lui a fait chaud au cœur. Au lendemain des émeutes, elle était présente à son poste. Malgré la peur ressentie après l’incident et qui la hante encore, ainsi qu’un dos douloureux dû à un handicap, pas question pour elle de décevoir ses « petits loulous » et d’annuler l’événement qui devait marquer la fin de l’année scolaire : la performance de la chorale. Ce jour-là, l’école était pleine à craquer.
Bravo Mme Antoun , votre courage et votre engagement resteront un exemple à suivre , surtout au Liban. Puissions nous préserver nos écoles, les enfants que nous y accueillons et leurs familles que nous assistons . Que la Providence continue à guider vis pas. Joseph Raffoul AFEL Association du Foyer de L'Enfant Libanais
11 h 14, le 20 septembre 2023