Je ne reconnais plus le Liban. Je ne romance pas son passé compliqué mais je m’accroche désespérément à une image qui était mais n’est plus. Jour après jour, cette image semble relever de l’histoire ancienne, être une illusion.
Ce pays, autrefois considéré comme un phare des libertés politiques et sociales dans le monde arabe, s’est transformé en un abîme sombre et sans fond où la mort triomphe sur la vie, où le fanatisme religieux viole les droits individuels, où la liberté d’expression est muselée et où l’identité sexuelle est persécutée car considérée comme une « menace pour la société ». Pendant ce temps, les criminels circulent librement, les fugitifs internationaux deviennent des héros et la vie humaine n’a aucune valeur.
La communauté LGBTQ+ du Liban affronte une dangereuse campagne nationale de haine menée par le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a explicitement incité à la violence contre les gays et les lesbiennes et a appelé à les tuer. D’autres chefs religieux, des hommes politiques et des groupes chrétiens d’extrême droite ont alimenté la résurgence de cette rhétorique homophobe, déjà présente à travers le monde arabe.
Mercredi dernier, un bar de Beyrouth a été attaqué lors d’un spectacle de Drag Queens par les « Soldats de Dieu », une milice chrétienne d’extrême droite. Cet incident tire la sonnette d’alarme sur une communauté de plus en plus vulnérable, sans aucune protection. Mais il ne s’agit pas d’une première…
À ce jour, l’homosexualité reste criminalisée au Liban. Depuis des années, les personnes LGBTQ+ sont persécutées. Le gouvernement a interdit leurs rassemblements et les manifestations, tandis que la police a réprimé leurs événements et détenu des personnes accusées d’homosexualité. La semaine dernière, le député sunnite Ashraf Rifi a même déposé une proposition de loi visant à élargir le champ de cette répression en criminalisant « tout ce qui propage l’homosexualité et les déviances sexuelles », alors même que quelques jours auparavant neuf de ses collègues avaient, eux, déposé un autre texte visant à abolir l’article 534 du code pénal qui criminalise toute relation dite « contre nature ».
Silence coupable
La plupart des Libanais restent silencieux et complaisants face à cette oppression. Ils semblent indifférents et non concernés, ne voyant pas qu’une répression contre les personnes LGBTQ+ est une répression contre les libertés individuelles, une répression contre les droits de l’homme et l’aspiration de chaque Libanais à vivre la vie qu’il a choisie. S’ils autorisent cette répression, ils permettent à d’autres de dicter et d’imposer leur mode de vie. Et si aujourd’hui, ce sont les personnes LGBTQ+ qui sont visées, demain, ce sera quelqu’un d’autre... Ils ne se rendent pas compte non plus que cette campagne homophobe vise avant tout à détourner l’attention de leurs électeurs des vrais problèmes : un pays qui s’effondre. La communauté LGBTQ+ ne détient pas un arsenal d’armes en dehors de la juridiction de l’État, elle ne stocke pas de nitrate d’ammonium dans un port en activité, qui a mené à l’explosion de la moitié de Beyrouth, elle ne crée pas des montages ingénieux pour financer la corruption, elle n’a pas appauvri ou affamé sa population, elle ne vole pas d’emploi.
Le Liban s’engouffre dans une crise économique sans précédent, décrite comme l’une des pires depuis le XIXe siècle. Or certains Libanais, au lieu de s’en prendre aux responsables de leur situation, sont indignés par les gays et les lesbiennes et sont déterminés à lutter contre leur existence, mais heureux de vivre parmi les voleurs et les criminels qui sont responsables à la fois de la crise économique et de l’explosion de Beyrouth mais n’ont jamais rendu de comptes jusqu’à présent. Nous devons combattre la médiocrité de la rhétorique politique et populiste qui tente de diluer les véritables problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Résister
Pendant de nombreuses années, en tant que journaliste au Liban, j’ai travaillé au sein de la communauté LGBTQ+ et rencontré nombre de ses membres, dont certains que je considère fièrement comme mes amis. Ils m’ont touchée par leurs histoires douloureuses, mais m’ont aussi enhardie par leur courage. Les drag queens du Liban ont formé un mouvement de résistance souterrain, en utilisant la comédie, la danse et la musique pour transmettre un message : leur droit d’exister. Elles m’ont fait rire et m’ont émerveillé avec leurs performances audacieuses et flamboyantes, mais elles vivent avec la peur constante d’une descente de police, la peur d’être arrêtées et torturées. Elles se voient refuser leur droit d’être et de vivre.
Nous sommes tous nés égaux et devons être traités comme tels. Nous ne pouvons pas continuer à ostraciser et à criminaliser les autres parce qu’ils sont différents et parce que leur différence nous met mal à l’aise et repousse nos frontières socialement construites.
Enfin, à la communauté LGBTQ+ du Liban et du monde arabe, à Sandra, Diva, Hoedy, Latiza, Melanie, Zuhal et aux autres, je voudrais dire simplement ceci : je sais que vous avez peur aujourd’hui, mais votre endurance nous donne de l’espoir. Vous êtes la couleur et la vie, ne laissez personne vous dire le contraire. Restez en sécurité, restez courageux.
Journaliste libanaise basée à Paris. Dernier ouvrage : « All She Lost. The Explosion in Lebanon, the Collapse of a Nation and the Women Who Survive » (Non traduit, Bloomsbury, 2023).
Bel article qui me redonne espoir dans ce Liban qui s'enfonce dans l'obscurantisme et qui ne me ressemble plus ! C'est un procede classique d'instrumentaliser la religon opium du peuple et de pointer comme bouc emissaire la communaute la plus vulnerable ! Il n'y a point de salut pour le Liban sans l'instauration de la laicite !
23 h 53, le 27 août 2023