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Nos Lecteurs ont la Parole

« Asfourié », mon amour...

L’hôpital a ouvert ses portes en 1900. De nos jours, « Asfourié » est tellement ancré dans l’inconscient libanais que lorsque qu’on veut faire du mal à un autre, on l’accuse d’y avoir été, d’y avoir séjourné ou en tout cas de mériter un tel sort.

Et pourtant, ce fut un des fleurons de notre pays. Le Lebanon Hospital for Mental Diseases, car tel fut son vrai nom, n’a jamais été reconnu par son nom mais plutôt par le nom de la famille Asfour qui était propriétaire du terrain sur lequel a été érigé l’hôpital. Asfourié !

Cette appellation est rentrée dans le jargon libanais pour ne plus jamais en sortir ! Au Liban, dans le langage parlé courant, « Asfourié » signifie folie, instabilité, dérangement, dédain…

C’est oublier que le Lebanon Hospital for Mental Diseases a été le premier hôpital universitaire de psychiatrie du Moyen-Orient ! Cet hôpital est sans contexte un fleuron de la médecine libanaise, où les soins étaient des plus développés, le matériel des plus sophistiqués et le personnel soignant des plus chevronnés.

En 1900, à quelques kilomètres de Beyrouth, l’asile ouvrit ses portes à Hazmieh. On doit cette œuvre colossale à Theophil Waldmeier, un quaker suisse qui dirigeait la Broumana High School et qui, voyant l’état déplorable du traitement des malades mentaux, décida de se consacrer à l’ouverture d’un asile psychiatrique.

« Les chaînes de Kouzhaya furent pour Waldmeier ce que furent pour Pinel les chaînes de l’asile de Bicêtre », écrivait le père Ducruet dans son article dans la revue de l’USJ Travaux et Jours consacré à l’histoire de la psychiatrie au Liban. En effet, c’est pour libérer les malades mentaux de leurs chaînes, seul traitement possible à l’époque, que Waldmeier décida de construire Asfourié.

Avant, le couvent maronite de Kouzhaya avait la réputation d’accueillir et de soigner les malades atteints de folie. Dans des conditions désastreuses, avec le châtiment comme ultime traitement. Waldmeier décrit également des traitements similaires pratiqués dans une grotte près du mont Carmel, à Damas, au couvent el-Khodr, à Bethléem, ou chez les musulmans à Naplouse.

Dès 1896, et pour éviter ce supplice aux malades, Waldmeier se rendit avec sa femme en Europe et aux États-Unis pour lever des fonds et engranger un maximum de compétences. Ils visitèrent dès lors les plus grands asiles d’Europe. En 1898, il acheta le terrain. Ce serait d’ailleurs le père du président Camille Chamoun qui aurait persuadé le propriétaire de la famille Asfour de le vendre à Waldmeier. L’hôpital est inauguré par une jeune fille de 16 ans, admise le 8 août 1900, très vite suivie d’une quinzaine de patients.

« Il y a, dans ce lieu, un merveilleux sentiment de liberté. Il est entouré, non d’un mur, mais de haies de fleurs. Les patients y demeuraient parce qu’ils comprenaient que les espoirs de guérison sont grands et meilleurs même qu’en Angleterre. Jardinage, vannerie, tissage et autres travaux manuels aident à la guérison », lit-on dans le 45e rapport annuel de l’hôpital. L’institution était laïque et devait recevoir les patients sans la moindre discrimination, abstraction faite de leurs croyances et de leurs nationalités et ceux qui, trop pauvres, ne pouvaient payer, pouvaient être admis et soignés gratuitement.

L’histoire de « Asfourié » prit fin et le terrain fut vendu en 1973. À cause des dettes accumulées, les dirigeants de l’asile décidèrent de vendre le terrain et de reconstruire des bâtiments plus modernes à Aramoun. Construit en 1977, le nouvel hôpital n’ouvrira jamais ses portes.

Avant les médecins libanais, des médecins anglais formaient le staff médical. Par la suite, plusieurs médecins de renom ont occupé des postes de praticien à l’hôpital. On peut citer les noms des médecins suivants : Dr Antranig Manoukian qui était le premier médecin libanais arrivé en 1939 et qui fut longtemps le directeur médical, Dr Garabed Aivazian, Dr Vahe Pozantian, Dr Antoine Chakhtoura, Dr Joseph Haykal, Dr Jean Hayek, Dr Alaeddine Droubi, Dr Fouad Antoun, Dr Michel Zeidan, dernier arrivé...

Tout le monde s’accorde à dire que tous les médecins travaillaient de concert avec les psychologues et les assistantes sociales ainsi qu’avec l’équipe infirmière pour le traitement de leurs malades. On peut conclure des témoignages des personnes encore vivantes à l’esprit d’équipe qui animait tout le monde à l’époque à l’intérieur de l’hôpital.

Les patients à l’hôpital étaient répartis dans plusieurs pavillons, 25 en 1960 ! Et ce qui était merveilleux, c’est que les médecins et le personnel habitaient avec leurs familles dans l’enceinte même des lieux, près des malades. Des réunions pluridisciplinaires étaient tenues et l’enseignement académique tenu par l’AUB était de rigueur.

Madame Nadia Taoutal a été la première assistante sociale arrivée à l’hôpital, en 1963.

Même L’Orient du vendredi 9 juillet 1965 n’hésita pas à parler d’elle et de deux autres assistantes sociales débarquant de Paris pour aider les patients libanais dans les asiles ! On lui doit un changement radical de la politique des soins puisqu’elle a introduit cette dimension de travail social tant importante dans un hôpital psychiatrique et qui manquait à l’équipe.

Au début, elle venait tous les mardis et vendredis préparer les dossiers des toxicomanes incarcérés à l’hôpital dans la « Forensic Unit ». Elle sélectionnait les vrais malades qui devaient recevoir des soins et les séparait des dealers. Elle avait donné plusieurs interviews à des revues de l’époque al-Sayad et al-Hasnaa en s’insurgeant contre le fait de traiter les toxicomanes comme des criminels dès les années soixante !

Ses interviews sont de vraies secousses qui résonnent encore dans les oreilles des autorités juridiques libanaises afin d’arrêter pour délit uniquement les dealers et de traiter les usagers de drogues, malades pour leur écrasante majorité !

« Asfourié » n’a jamais été un hôpital comme un autre. Dans la conscience collective des Libanais, il garde une place à part. Sa réouverture manquée à Aramoun, malgré le fait que le matériel le plus moderne avait été acheté à l’époque d’Angleterre, marqua la fin d’une époque. Lorsque le Liban se targue d’être en peloton de la médecine au Moyen-Orient, avec des hôpitaux et des facultés de médecine prestigieux, on ne peut ne pas compter l’apport hors du commun de « Asfourié » dans ce paysage. Avoir eu un tel hôpital dans notre pays est un gage de fierté, de modernité et de développement.

Dans son autobiographie de Theophil Waldmeier, Stephen Hobhouse affirmait : « Le temps et l’expérience m’ont montré que les médecins spécialistes peuvent peu de choses pour guérir les déments par la médecine ; tout ce que nous pouvons faire dans un asile est de les traiter chrétiennement, avec humanité, patience et amour. » Tel était le slogan de cet hôpital. Il fallait y ajouter tout ce que la science savait à l’époque et qui a été introduit et utilisé par les esprits lumineux qui ont façonné « Asfourié ».

Pr Sami RICHA

Auteur de « La psychiatrie au Liban, une histoire et un regard », éditions Dergham, 2015.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

L’hôpital a ouvert ses portes en 1900. De nos jours, « Asfourié » est tellement ancré dans l’inconscient libanais que lorsque qu’on veut faire du mal à un autre, on l’accuse d’y avoir été, d’y avoir séjourné ou en tout cas de mériter un tel sort.Et pourtant, ce fut un des fleurons de notre pays. Le Lebanon Hospital for Mental Diseases, car tel fut son vrai nom,...
commentaires (2)

Très intéressant votre article, je me souviens les années 50 c’était très renommé

Eleni Caridopoulou

13 h 34, le 12 août 2023

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Commentaires (2)

  • Très intéressant votre article, je me souviens les années 50 c’était très renommé

    Eleni Caridopoulou

    13 h 34, le 12 août 2023

  • Très intéressant votre article , je me souviens les années 50 , quand quelqu’un nous embêtait on lui disait on va t’envoyer à Asfourie

    Eleni Caridopoulou

    13 h 32, le 12 août 2023

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