
Une manifestation pour les droits LGBTQ+ à Beyrouth. Photo João Sousa
À contre-courant des discours contre la communauté LGBTQ+ qui sont montés d’un cran depuis juin, une proposition de loi inédite visant à abolir l’article 534 du code pénal qui criminalise toute relation dite « contre nature», punie par un an d’emprisonnement et utilisée contre les personnes homosexuelles, avait été présentée au Parlement le 12 juillet et signée par neuf députés. Parmi eux, quatre députés issus de la contestation – Marc Daou, Najat Aoun Saliba, Paula Yacoubian, Cynthia Zarazir –, mais aussi de partis traditionnels – Nada Boustany (Courant Patriotique Libre), Georges Okais (Forces libanaises), Camille Chamoun (Parti national libéral), Adib Abdel Massih (proche de Michel Moawad) et Élias Hankache (Kataëb). Cette initiative a suscité cette semaine sur les réseaux sociaux des réactions très critiques dans des milieux conservateurs.
Récemment interrogé à ce propos sur une chaîne locale, Georges Okais est depuis la cible de critiques en ligne pour sa prise de position, qu’il a ensuite justifiée sur son compte X (anciennement Twitter) : « La campagne qui me cible prouve à quel point notre société est empoisonnée par l’ignorance, la haine et la malice », a-t-il ainsi lancé à ses détracteurs. Pas suffisant pour calmer la tempête, la proposition étant rattrapée par le climat actuel d’homophobie qui règne dans le pays. Contacté par L’Orient-Le Jour, le député FL n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Derrière cette proposition de loi, l'on retrouve l’association Proud Lebanon qui travaille depuis 2018 auprès de différents partis politiques pour abroger cet article. « Nous voulions toucher un large éventail, pas uniquement les députés du changement », rapporte Bertho Makso, directeur exécutif de l’ONG. « C’est la première fois qu’une telle loi est proposée au Parlement. L’abolition de cet article est le but ultime pour la communauté LGBTQ+ au Liban, même si nous sommes confrontés à d’autres difficultés » au vu de la crise multidimensionnelle que traverse le pays depuis quatre ans. « Nous ne demandons pas le mariage gay, comme cela a pu être dit », renchérit Bertho Makso, qui ajoute que d’autres parlementaires soutiennent la proposition de loi même s’ils ne l’ont pas signée.
De son côté, l’association Helem, qui milite pour les droits de la communauté LGBTQ+, souligne l’importance de toute proposition de loi visant à décriminaliser les relations homosexuelles. « Les députés qui l’ont présentée sont des pionniers dans la région », avance Tarek Zeidan, son directeur exécutif. Néanmoins, il ajoute qu’en raison de la crise économique, les priorités ont changé : « Les besoins de la communauté sont devenus d’ordre social et économique, et non plus seulement d'ordre politique. Beaucoup sont maintenant sans emploi ou ont perdu leur logement », poursuit-il. En 2021, Helem répertoriait 4 007 violations des droits de personnes faisant partie de la communauté, contre 2 161 en 2020. Si la majorité était liée au logement, à l’emploi, à l’accès aux soins de santé et aux moyens de subsistance, douze cas d’arrestation de personnes LGBTQ+ ont été enregistrés sur base de l’article 534 du code pénal, souligne le rapport de l’association.
Contre-proposition
« C’est une honte, il est grand temps pour le Liban de dépénaliser les relations homosexuelles », commente Paula Yacoubian, également contactée, qui rappelle que certains juges n’ont pas appliqué cet article à l’encontre des homosexuels ces quinze dernières années. « Alors que le pays est en faillite, il y a une campagne contre cette proposition de loi sans en connaître le contenu. Ces arriérés inventent une cause en prétextant défendre les valeurs de la famille », dit-elle. En référence à la proposition de loi, Hassan Ezzedine, député Hezbollah , a déclaré, le 24 juillet, que sa formation « ne laissera pas une telle loi passer », alors que le parti chiite multiplie les discours haineux à l’encontre de la communauté LGBTQ+ depuis le mois de juin. Contacté, le parti de Dieu n’a pas répondu à nos sollicitations.
La bataille dans l'hémicycle s’annonce donc rude. En effet, le député Achraf Rifi (sunnite, Tripoli) explique à L'Orient-Le Jour d'ores et déjà travailler sur une contre-proposition « criminalisant tout ce qui propage l’homosexualité et les déviances sexuelles ». « Je fais cela car nous tenons à nos valeurs familiales, que nous soyons chrétiens ou musulmans. Sinon la société va s’effondrer », dit-il. Des propos allant dans le sens des autorités religieuses du pays.
Mardi dernier, le Premier ministre Nagib Mikati a tenu une réunion ministérielle informelle dans la résidence d'été du patriarche maronite Béchara Raï à Dimane. Une déclaration commune publiée à l'issue de la réunion appelle ainsi « toutes les autorités, les institutions éducatives, les médias et la société civile à se concentrer sur l'identité nationale, son éthique et ses valeurs, y compris la famille ». Toujours selon ce communiqué, « les idées qui vont à l'encontre de l'ordre divin et des principes partagés par tous les Libanais doivent être combattues ».
En 2022, durant le mois des fiertés (en juin), le cheikh Abdellatif Deriane avait déclaré dans un discours que Dar el-Fatwa (la plus haute autorité sunnite au Liban) « ne permettrait pas la légalisation de l'homosexualité ou du mariage civil ». À l’époque, le ministre sortant de l’Intérieur Bassam Maoulaoui avait alors appelé à empêcher les regroupements qui « font la promotion des relations sexuelles contre nature », dans une lettre adressée à la direction de la Sûreté générale et à celle des Forces de sécurité intérieure.
Concernant la proposition de loi, Marc Daou explique que celle-ci devrait être transférée à la commission des Droits de l’homme et celle de l’Administration et de la Justice. « Mais cela n’a pas encore été le cas », dit-il. « Je ne pense pas que cette proposition de loi passera au sein de ce Parlement qui attise les dissensions confessionnelles », regrette Paula Yacoubian. « Mais ouvrir le débat est important, nous devons prendre une position claire et forte. »
Enfin des politiciens courageux, bravo et merci
00 h 53, le 15 août 2023