Par la voix de son secrétaire général, Hassan Nasrallah, ou du numéro deux du parti, Naïm Kassem, le Hezbollah multiplie les attaques contre la communauté LGBTQ+ au Liban depuis le mois de juin. Le parti a commencé par publier un communiqué lors de ce mois des fiertés rejetant « toute tolérance envers les promoteurs de la perversion sexuelle, de la pornographie et de l'homosexualité », les considérant comme une menace pour la société. Plus récemment, la formation chiite a condamné « le phénomène croissant de déviance, de décadence, de désintégration et de chaos familial » (en allusion à l'homosexualité NDLR), estimant que cela « menace la stabilité du pays et sa composition démographique et confessionnelle ».
Mais l’attaque a atteint un niveau sans précédent avec la récente diffusion d'une vidéo de Hassan Nasrallah, largement partagée sur les réseaux sociaux, lors de l’un de ses discours à l'occasion de l'Achoura. Dans cette vidéo, il affirme que les « liwat » (terme arabe péjoratif désignant les personnes homosexuelles) doivent être tués selon les enseignements coraniques. « Si une personne hétérosexuelle commet un adultère, elle devrait être fouettée si elle a accompli de bonnes actions dans sa vie et tuée dans le cas contraire. En ce qui concerne les “liwat”, ces personnes sont immédiatement punies de mort, dès la première occurrence» instruit le chef religieux à son audience. Samedi, à l'occasion du dixième jour de l'Achoura, Hassan Nasrallah, a estimé qu'au Liban, « le danger a débuté à travers les associations et la publication de livres pour enfants qui propagent la culture déviante ». Il a appelé le ministère de l'Éducation à « interdire » cette culture et à « protéger les enfants de la génération future ».
Ce n’est pas la première fois que Hassan Nasrallah s’en prend à cette communauté dans ses discours. Dans un pays où les autorités continuent de se référer à l’article 534 du code pénal qui criminalise toute relation sexuelle « contre nature », les abus contre la communauté LGBTQ+ ont augmenté depuis le début de la crise. Mais les sorties du chef du Hezbollah semblent marquer un précédent tant par leur virulence que par leur fréquence.
Le timing de cette « campagne » a suscité un flot d'interrogations. Au-delà du caractère idéologique de ces attaques, quelles sont ses objectifs politiques à un moment marqué par une vacance présidentielle de plus de 9 mois, des accusations de corruption pesant sur le gouverneur de la banque centrale dont le mandat arrive à terme sans qu'un remplaçant ne soit désigné, une livre libanaise en chute libre depuis plus de 4 ans, une inflation frappant durement l'économie et une inquiétante augmentation de la pauvreté et de la malnutrition dénoncée par les agences de défense des droits de l'homme ? D’après Mohammad Afif Naboulsi, porte-parole du Hezbollah, cette démarche est « une attaque préventive contre une éventuelle promotion des droits des LGBTQ+ orchestrée par l'ambassade des États-Unis à Beyrouth, ainsi que d'autres ambassades occidentales ». Selon le porte-parole du Hezbollah, le Liban, « pays conservateur », est constamment sujet aux « tentatives de certaines ambassades et pays occidentaux de le pousser vers cette nouvelle tendance », faisant allusion aux États-Unis et à l'Allemagne ayant hissé le drapeau LGBTQ+ devant leurs ambassades au début du mois de juillet. Il affirme également qu'avant les élections législatives de 2018, « les États-Unis avaient envoyé un document à tous les candidats pour promouvoir les droits des LGBTQ+ au Liban ».
Des affirmations, démenties par l'ambassade des États Unis, ainsi que par plusieurs partis politiques contactés par L'OLJ. « Nous ne sommes pas dans une logique de promotion d'un quelconque mode de vie, comme on nous accuse souvent de le faire », explique le porte-parole de l'ambassade. Il poursuit : « Nous promouvons toutefois le respect des droits humains y compris ceux des les personnes LGBTQ+. »
Une dimension stratégique
Pour l'analyste politique, économiste et chercheur féministe Hussein Cheiato, ces attaques, ainsi que leur timing ont une dimension stratégique bien calculée. « Aujourd'hui avec la situation politique et économique du pays, les attaques que lancent le Hezbollah, ainsi que d'autres groupes conservateurs à l'encontre de la communauté ne sont qu'un “mécanisme de défense” qui leur permet de masquer un “échec politique fulgurant”. Ces partis, ne pouvant se projeter dans la sphère du changement, préfèrent affirmer leur pouvoir en ciblant des boucs émissaires vulnérables tels que les réfugiés, les femmes et la communauté LGBTQ+, explique-t-il. L'existence de la communauté LGBTQ+, en particulier la communauté queer, remet en question le système binaire qui perpétue le patriarcat, le sexisme et la corruption dans la société, donc les politiques traditionnels et remet leur présence en question », poursuit l'expert.
Début juin, le Centre culturel islamique avait demandé à la justice d'enquêter sur l'association HELEM pour la défense des droits de la communauté LGBTQ+ au Liban et réclamé sa « dissolution, en raison de ses actions provocatrices dans les espaces publics ». « Nous mettons en garde contre toute éventuelle attaque contre les LGBTQ+ , car elle risquerait de mettre en péril leur sécurité ou leur vie. Nous savons qui leur veut du mal, et nous les pointerons du doigt devant la justice », réagit Tarek Zeidan, directeur de Helem.
En juin 2022, pendant le mois des fiertés, le ministre sortant de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, avait publié une décision ordonnant aux forces de l'ordre d’annuler tous les événements LGBTQ+, une mesure condamnée par une coalition de groupes de défense des droits. Sauf que le Conseil d’État avait annulé la décision du ministre. Ce dernier a quand même récidivé en novembre 2022.
La stratégie du Hezbollah rappelle celle de nombreux pays conservateurs dont l’Iran ou encore la Russie sur ce sujet. Sous prétexte de lutter contre l’influence américaine, ces pays multiplient les attaques contre la communauté LGBTQ+ pour des raisons idéologiques mais aussi politiques.
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Lebanon is a secular country, and is a signatory to the UN Charter for Human Rights that stipulates protecting all communities, including marginalized minorities such as LGBTQ, women, and refugees. Nasrallah is ripping a page of the fascist playbook by attacking imaginary enemies to cover up the rule of the March 8 coalition that he presides for over 15 years. Except his narrow base, his political discourse invites outrage, mockery, and derision. The majority of us are not duped.
Mireille Kang
22 h 24, le 01 août 2023