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Nos Lecteurs ont la Parole

C’est comme si c’était hier

« Ou perdre d’un seul coup le gain de cent parties, sans un geste et sans un soupir » R. Kipling.

Trois ans se sont déjà écoulés depuis la tragédie du 4 août. C’est comme si c’était hier. Tous les jours, il est 18 heures 7 sur nos cadrans. Tous les jours, les instants qui s’égrènent sont aussi torrides, aussi accablants. Tous les jours, la plaie est remuée par ces cris stridents, par ces relents de sang. Tous les jours, les 235/7 000 sont dupliqués en chiffres de feu dans notre inconscient. Tous les jours, le souvenir demeure plus que jamais ardent, le déchirement indélébile, brûlant.

Ce cataclysme qui a soufflé le cœur de la capitale continue de souffler le chaud et le froid en moi, si bien que je me sens tour à tour envahie d’une tristesse amère puis saisie d’une indomptable colère !

Si mon quartier, ma rue, ma maison, mes proches ont été épargnés, car le front de mer a dilué l’impact de l’explosion et les silos de blé ont absorbé cette violente percussion, je reste la maman pleurant son enfant, l’épouse cherchant son complément, la sœur privée d’un confident, la fille se retrouvant sans (re)père, l’amie errant sans âme sœur, la grand-mère qui a perdu bien plus qu’une demeure, un toit, un chez-soi.

Parce qu’un chez-soi possède une âme, il se meuble amoureusement au fil du temps ; un bahut chiné aux puces, un tableau acquis lors d’une expo, une psyché trouvée à Basta dans un entrepôt, un salon invité chez vous après la ronde des galeries, un tapis resté en souvenir d’Arménie, un gracieux soliflore choisi en Tchécoslovaquie, un piano hérité de votre tante paternelle, des effets personnels, des objets à valeur sentimentale, ou pour les intérieurs plus modestes, un sofa, une petite télé, un bec à gaz, des cadres avec des photos de toute la « smala » promettant de meilleurs lendemains et, ici et là, des reproductions de tous les saints...

Si ces objets matériels déchiquetés, réduits en une traînée de poudre en une fraction de foudre, sont un crève-cœur pour ceux qui ont passé leur vie à les acquérir, que faut-il alors sentir, que faut-il alors penser de ces vies humaines si gratuitement balayées ?

De celui qui a perdu une jambe, de celui dont l’œil a sauté, de celui privé d’un être cher, de celui amputé de sa dignité, de celui qui voit que son bourreau est resté jusque-là impuni dû à une législature inique, de celui qui suite à l’incurie de nos politicards et de leur « c’était trop tard » n’a pas encore appris la version véridique, ne serait-ce que pour être rasséréné, pour fermer l’œil et enfin faire son deuil, de celui qui, toujours dévasté, se doit de garder la face et de rester digne et fier tout en portant son cœur en bandoulière ?

Où sont jusque-là les droits de l’homme, où sont les Nations unies, où sont les G7 et les G8 pour mettre ce sujet encore brûlant à l’ordre du jour, pour passer à l’action et rendre justice au troisième plus grand crime contre l’humanité après celui de l’AZF et du Japon ?

Oui, « la révolution naît des entrailles de la tristesse », oui, nous n’abdiquerons pas jusqu’à ce que justice soit faite et que tous ceux qui ont du sang sur les mains rendent l’âme et se voient souffrir au centuple pour avoir assassiné des innocents, pour avoir sapé des commerces et des entreprises de plus de cent ans, pour avoir fait voler en éclats nos plus beaux printemps, pour nous avoir fait subir ces atroces afflictions que sont l’inquiétude, la peur, le désespoir, l’abandon !

Gemmayzé, Mar Mikhaël, la rue Pasteur, le port, le centre-ville, Saïfi, Tabaris, Khandak el-Ghamik, Rmeil, Bourj Hammoud, rien ni personne ne peut vous faire plier. Vous n’êtes tombés à genoux que pour mieux vous relever, pour mieux implorer le ciel et prier !

Alexou, Kristel, Hala, Marion, Zeina, Ali, Jean-Marc, Youssef, Mohammad, Armand, Isaac, Sama et tous les soldats inconnus, votre cause n’est pas perdue, votre mort n’est ni nulle ni non avenue. Votre départ est chargé de sens et laisse une énorme béance qui ne peut que rétrécir un jour prochain comme une peau de chagrin d’où germera le Liban de demain, le Liban intègre, le Liban laïc, le Liban joyau de l’Orient, le Liban au goût de cardamome et d’encens, ce Liban-entité dont nous avons tant rêvé !

Non, vous n’êtes pas morts. Vous êtes toutes et tous une nuée de papillons blancs voltigeant dans les cieux, insufflant courage et espoir à ceux miraculés, à ceux dont les larmes de sang ne tariront jamais, à ceux qui se doivent de garder malgré tout l’élégance de porter la tête haute et de continuer...


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

« Ou perdre d’un seul coup le gain de cent parties, sans un geste et sans un soupir » R. Kipling.Trois ans se sont déjà écoulés depuis la tragédie du 4 août. C’est comme si c’était hier. Tous les jours, il est 18 heures 7 sur nos cadrans. Tous les jours, les instants qui s’égrènent sont aussi torrides, aussi accablants. Tous les jours, la plaie est remuée par ces...
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On dirait qu’ils ont fait exprès pour attaquer Achrafie

Eleni Caridopoulou

17 h 28, le 08 août 2023

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Commentaires (1)

  • On dirait qu’ils ont fait exprès pour attaquer Achrafie

    Eleni Caridopoulou

    17 h 28, le 08 août 2023

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