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Nos Lecteurs ont la Parole

Plus qu’une détonation et moins qu’un silence assourdissant !

Il n’en reste plus que le son...

Rien n’est plus saisissant dans notre histoire qu’un événement qui, en quelques secondes, s’inscrira à jamais dans les esprits, telle l’explosion du port de Beyrouth. Ce fut l’affaire de fractions de seconde, durant lesquelles la bête de la mort, délivrée de sa cage en chute libre, s’abattit sur Beyrouth le 4 août 2020, emportant avec elle la vie de plus de 220 âmes, dévastant corps et esprits et laissant en ruine les maisons de milliers d’autres. Puis elle rebondit dans l’attente impatiente de sa prochaine incursion.

Il est essentiel de rappeler que cette explosion est survenue à cause de la présence non aléatoire d’explosifs. Il s’agit là d’un crime commis à grande échelle, portant atteinte aux populations civiles et violant ouvertement les droits de l’homme. Ainsi, toute conceptualisation de cet événement meurtrier mérite inéluctablement le titre de crime contre l’humanité. Dans cette scène de violence, comme dans tout autre acte violent, il est crucial de réfléchir au criminel, à la victime, aux témoins, à l’endroit du passage à l’acte et à l’acte en soi.

En ce qui concerne le criminel, il s’agit d’un malfaiteur connu de tous, mais qui sombre dans ses illusions en pensant rester dans l’ombre. Se retrancher derrière la clause de l’accident ne dégage en rien les différents intervenants, qu’ils soient meurtriers, corrompus ou négligents, de leur responsabilité. Se dissimuler derrière les coulisses en témoins ne diminue en rien la clarté de vue des vrais témoins qui ont bien compris, dans leur conscience collective, qu’une telle éruption ne peut guère être absurde dans son occurrence et son impact. Dans ce crime, comme dans n’importe quel autre crime, la dernière personne qui accepte et pardonne le mal qui a eu lieu est le criminel lui-même. En fin de compte, il n’y a rien de pire que de vivre en se faisant désillusionner en permanence qu’on n’a pas contribué à un tel acte défigurant sa capitale, son peuple, son histoire, voire son existence. Il y a ici une part de justice qui s’établira, quoique différée...

En ce qui concerne les victimes, il s’agit de plus de 220 personnes qui n’ont pas choisi d’aller combattre ce jour-là. Pourtant, elles sont mortes pour une cause légitime et importante qui n’est autre que la vie exigeant la paix et la sécurité. La mort de ces victimes est un rappel à tous que ce qui compte le plus sur terre, c’est la vie dans toutes ses formes, et qu’aucun conflit, si important qu’il soit, n’est plus important que la cause originelle pour laquelle ce conflit s’est établi et qui consiste en la préservation de la vie ! Trois ans plus tard, nous pensons toujours à ces morts ainsi qu’aux morts-vivants, dans une quête révoltante d’un avenir meilleur, où deux êtres vivants dialoguent ensemble, réfléchissent et unissent leurs efforts pour coexister sans s’éliminer mutuellement. Nous avons payé un lourd tribut en vies pour réaliser que nous ne dialoguons pas suffisamment, que nous recourons toujours aux armes de destruction massive sans réflexion approfondie et que nos efforts pour respecter les droits des humains demeurent superficiels et surtout insuffisants...

En ce qui concerne les témoins, ils jouent un rôle très important dans cet acte violent vu qu’ils sont invités à se positionner entre le statut de spectateurs et celui de témoins. En effet, un spectateur est doté de la capacité de rester passif alors qu’un témoin devient complice si, humainement, il reste passif. Le jour de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, l’humanité entière a été assignée au rôle de témoin. Ainsi, nous sommes tous appelés, pour toujours, à témoigner contre le véritable criminel. Peu importe ce que décideront les investigateurs qui peuvent parfois compter sur les paroles de complices pour témoigner de la non-contribution d’autres complices. Ce qui importe, c’est que tout le monde porte le voile de cette justice et juge avec justesse quand il sera appelé au tribunal qui s’établit tantôt à chaque instant, tantôt une fois tous les quatre ans...

En ce qui concerne l’endroit du passage à l’acte, c’est-à-dire Beyrouth, cela englobe une signification bien plus distincte et remarquable. Il s’agit de la ville qui a gardé une identité culturelle unique, des Phéniciens aux occupants les plus récents, en passant par les Romains, les Byzantins, les Arabes, les croisades, les Ottomans, les Français et les Syriens. À aucun moment de son histoire cette ville n’a perdu sa caractéristique la plus importante, celle de pouvoir dialoguer, résister, capituler, combattre ou s’allier stratégiquement à tous ces avides voulant occuper son emplacement unique entre les différents mondes qui nous entourent. Dans une réaction impulsive et mal calculée, ces avides auraient cru, bien évidemment à tort, que la géographie, la politique, l’économie, l’histoire, l’anthropologie et la sociologie s’inclineraient devant l’anarchie d’une explosion maladroite...

En ce qui concerne l’acte d’explosion qui a eu lieu, il faut bien en retenir le son. Ce bruit était horrible, bizarre, mouvant et assourdissant, à tel point que le sol a frissonné, l’air a été contaminé de poussières, le ciel plafonné d’un nuage de fumée et les esprits embrouillés par la peur. Pendant quelques minutes par la suite, un silence a régné. Ce silence régnait alors que des enfants pleuraient, des sonneries d’alarme sifflaient, des blessés gémissaient, des pierres s’écroulaient, des vitres se brisaient, des klaxons de voiture et des sirènes d’ambulance retentissaient... Une détonation très forte, puis un silence pesant, malgré le chantier du chaos qui prépare la construction d’une nouvelle Beyrouth. Une Beyrouth qui vivra avec une cicatrice jusqu’à la fin des temps. Certains ont prétendu avoir entendu les sons de moteurs d’avions pouvant être en relation avec l’attaque de cette bête mortelle. Certains continuent à entendre des explosions jusqu’à ce jour-ci. Certains entendent des sons en même temps lointains et perçants à chaque fois qu’ils se rappellent des mères, des enfants, des vieux, des blessés qui crient, pleurent et gémissent. Et certains ont entendu ces sons avant de nous quitter juste après. Tous ces gens partagent ce qu’ils ont entendu et c’est ce qui doit être rappelé le plus pour ne plus se laisser assourdir par une telle détonation jusqu’au stade de l’acceptation par endoctrinement...

Une explosion, bien que malveillante, pourrait être une occasion pour un début. Les chercheurs pensent qu’une grande explosion a paradoxalement constitué le début de notre univers... Si certains le pensent quand cela concerne le début de l’univers, n’avons-nous pas le droit d’y croire quand cela concerne notre capitale bien-aimée ? Rappelons-nous sans cesse et sans évitement le son brutal qui habite notre mémoire collective et qui fait référence à cette mort injuste dans le but de réussir à transformer cette fin en un début prometteur... N’est-ce pas ce pourquoi la nature fait que l’on se rappelle de ces traumatismes avec reviviscence ?

Rami BOU KHALIL, MD, PhD

Chef du service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph

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Il n’en reste plus que le son...Rien n’est plus saisissant dans notre histoire qu’un événement qui, en quelques secondes, s’inscrira à jamais dans les esprits, telle l’explosion du port de Beyrouth. Ce fut l’affaire de fractions de seconde, durant lesquelles la bête de la mort, délivrée de sa cage en chute libre, s’abattit sur Beyrouth le 4 août 2020, emportant...
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