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Lettre à mon enfant qui s’envole chez l’Oncle Sam

Lettre à mon enfant qui s’envole chez l’Oncle Sam

Photo d’illustration Bigstock

Mon cher enfant, le moment redouté par tes parents est arrivé. Tu as brillamment achevé tes études scolaires et tu souhaites maintenant voler de tes propres ailes. Plein d’ambitions et d’inspirations, tu as mis le cap sur les États-Unis pour poursuivre tes études universitaires et décrocher, par la suite, un emploi gratifiant qui te permettra de mettre en valeur tes compétences dans toute leur grandeur et splendeur. Il ne fait aucun doute que l’Oncle Sam représente l’endroit idéal pour entamer un nouveau chapitre de ta vie. Cependant, compte tenu de ma riche expérience, permets-moi de te fournir quelques informations pratiques et typiques en comparant la vie au Liban avec celle aux États-Unis.

La vie au Liban

Évidemment, l’horizon professionnel est sombre au Liban. Mais malgré les inextricables problèmes politico-économiques, le Liban offre de nombreux avantages non négligeables. D’abord, tu ne te sentiras jamais seul. Tu seras entouré en permanence par tes parents, tes grands-parents, tes tantes, tes oncles, tes cousins, tes voisins, tes amis, voire tes collègues de travail. Ils seront toujours présents à tes côtés. Ensuite, ta maison aura un cœur battant grâce à son entourage bienveillant et son va-et-vient incessant. Tu seras choyé comme nulle part ailleurs. Tu mangeras de délicieux plats cuisinés avec amour. Ton linge sera toujours impeccable. Tes chemises seront parfaitement repassées. Ta chambre sera toujours propre et bien rangée. De surcroît, tu trouveras tout ce dont tu as besoin chez l’épicier du coin qui te connaît depuis ta plus tendre enfance. Il te choisira ses meilleurs produits, en te prodiguant de précieux conseils sur la façon de les déguster, et en te disant avec un brin d’humour : « Tu me paieras plus tard, à moins que tu ne déménages demain. »

Au Liban, tu ressentiras toujours la chaleur humaine, aussi délicieuse que les rayons resplendissants du soleil qui caressent langoureusement les 10 452 kilomètres carrés du pays durant les trois cents jours de l’année. Si tu frappes à la porte de parfaits inconnus pour une raison quelconque, tu seras joyeusement et généreusement accueilli. Si en marchant dans la rue tu glisses sur une peau de banane et tombes brutalement, tout le quartier se mobilisera pour te prêter main-forte : les marchands laisseront leurs clients en suspens, les voisins dévaleront les escaliers quatre à quatre, et même les passants nonchalants joueront les bons Samaritains. Si par hasard tu as un pneu crevé, une foule s’attroupera instantanément autour de toi. Des mains s’activeront avec frénésie pour dévisser les boulons, poser le cric, tourner la manivelle, mettre le pneu de secours et revisser les boulons. En un tour de main, le travail sera accompli comme par enchantement.

Si tu as envie de faire une petite escapade en voiture durant la journée, la magnifique nature sera à portée de main. En un temps record, tu pourrais descendre des magnifiques montagnes aux sommets enneigés pour rejoindre les charmantes plages au sable doré. Si ta voiture tombe en panne quelque part, tu pourras appeler ton mécanicien qui viendra la chercher à l’endroit indiqué et te la ramènera une fois les réparations terminées. Il te suffira de laisser les clés chez ton affable concierge. Et puis tu pourras vieillir sereinement et paisiblement dans ta propre maison et ses repères rassurants. Tu seras entouré de personnes qui t’aiment sincèrement et qui seront à tes côtés jusqu’à ton tout dernier souffle.

La vie aux États-Unis

Incontestablement, l’Oncle Sam est le pays des grandes opportunités professionnelles. Ses universités font partie des plus prestigieuses au monde. Ses entreprises sont d’une ingéniosité et d’une créativité exemplaires. Ses populations éclectiques se fondent dans un mélange culturel harmonieux appelé le « melting-pot américain ». C’est le pays de Wall Street, Google, Amazon, NASA, Hollywood, Disney, Broadway, pour ne mentionner que quelques noms illustres. Le pays incarne la quintessence de ceux qui rêvent grand. En effet, tout est gigantesque chez l’Oncle Sam, des vastes océans aux fleuves géants, du Grand Canyon aux chutes du Niagara, des gratte-ciel extravagants aux centres commerciaux impressionnants, des résidences opulentes aux voitures imposantes, des buffets somptueux aux boissons à gogo, et j’en passe. Tu ressentiras chez l’Oncle Sam cette exquise sensation que le ciel est à portée de main pour ceux qui ont du talent, de l’énergie et de l’audace.

Cependant, il y a l’autre face de la médaille avec une réalité moins reluisante. Spécifiquement, tu ressentiras cette lugubre sensation de solitude insoutenable. En effet, tu seras une personne anonyme au milieu d’une foule d’inconnus. Dans cet environnement oppressant, si tu as besoin d’un ami fidèle, tu n’auras pas d’autre choix que d’adopter un chien. Naturellement, tu feras des rencontres intéressantes ici et là, mais il s’agira davantage de connaissances éphémères que d’amitiés sincères.

Aux États-Unis, en cas d’urgence, tu es livré à toi-même. Si tu glisses sur du verglas dans la rue et que tu te blesses, personne ne viendra te secourir. Les passants détourneront leur regard et continueront leur chemin prestement comme si de rien n’était. Si tu sonnes par erreur à la porte de personnes inconnues, elles te regarderont avec distance et méfiance. Il y a même un risque qu’on te prenne pour un vulgaire criminel et qu’on te tire dessus. Comme si cela ne suffisait pas, les saisons peuvent être rigoureuses. Dans certaines régions, les hivers sont extrêmement rugueux et cafardeux. Dans d’autres, les étés sont excessivement torrides et humides. De surcroît, le continent est souvent en proie à des catastrophes naturelles telles que les ouragans, les tornades et les inondations.

Le travail chez l’Oncle Sam est certes gratifiant, mais stressant. La compétition est méchante et les coups bas sont monnaie courante. Les heures de travail sont accablantes et les vacances sont insuffisantes. Pour éviter les problèmes, il est nécessaire de ne pas manifester un excès d’affection envers tes collègues. Par exemple, un compliment sincère sur l’apparence d’une femme peut être mal interprété. Même le président Obama a reçu des critiques acerbes en 2013 lorsqu’il a malencontreusement qualifié Kamala Harris, alors procureure générale de Californie, de femme séduisante.

Lorsque tu rentreras chez toi le soir après une éprouvante journée de labeur, tu trouveras ta maison singulièrement vide et sinistrement insipide. Elle sera dépourvue d’animation et d’agitation, de passion et de compassion. Tel un nomade, tu devras fréquemment changer d’adresse pour des raisons professionnelles. Comme l’a mentionné Antoine de Saint-Exupéry dans sa lettre au général X, l’amour du foyer est « inconnaissable aux États-Unis ».

Chez l’Oncle Sam, lorsque tu atteindras un âge avancé, tu seras pris en charge dans une maison de retraite. Dans cette prison dorée, on te demandera de porter en permanence une étiquette avec ton nom clairement indiqué pour que l’on puisse t’identifier correctement parmi la masse d’individus. Le personnel impersonnel de l’établissement décidera de ton emploi de temps au quotidien. Passivement et docilement, tu les laisseras faire à leur guise. Tu éprouveras cette étrange sensation de vivre dans une usine qui expédie machinalement des produits inertes et dont la date d’expiration est imminente. Tu éprouveras ce désir ardent de goûter, du moins une ultime fois, à la précieuse liberté avant qu’il ne soit trop tard. Malheureusement, tu n’es plus maître de tes propres décisions. Le maudit destin en a décidé ainsi. Ensuite, viendra le jour fatidique où tu rendras enfin l’âme, dans l’indifférence et le silence, la solitude et la décrépitude.

Pour conclure, je comprends parfaitement que tu veuilles avoir un avenir reluisant et enrichissant. Incontestablement, l’expérience professionnelle chez l’Oncle Sam est exceptionnelle. Les jeunes âmes du monde entier convoitent ce que l’on appelle le « rêve américain ». Néanmoins, j’espère que tu retourneras éventuellement au berceau où il fait si doux de vivre pour fonder ta famille. En d’autres termes, inspire-toi du parcours incroyable des saumons qui naissent dans l’eau douce, migrent ensuite vers l’eau salée, et puis naviguent vigoureusement à contre-courant pour pondre leurs œufs dans la sérénité de leur lieu d’origine.

Bonne chance, mon cher enfant.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Mon cher enfant, le moment redouté par tes parents est arrivé. Tu as brillamment achevé tes études scolaires et tu souhaites maintenant voler de tes propres ailes. Plein d’ambitions et d’inspirations, tu as mis le cap sur les États-Unis pour poursuivre tes études universitaires et décrocher, par la suite, un emploi gratifiant qui te permettra de mettre en valeur tes compétences dans...
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C’est la vérité, un bel article

Eleni Caridopoulou

17 h 35, le 02 août 2023

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Commentaires (1)

  • C’est la vérité, un bel article

    Eleni Caridopoulou

    17 h 35, le 02 août 2023

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