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Culture - Entretien

« On dit que j’ai aidé les Palestiniens, ce sont eux qui m’ont aidé à vivre »

Président de l’Institut mémoires de l’édition contemporaine et spécialiste de Jean Genet, Albert Dichy est le commissaire d’une partie de l’exposition « Ce que la Palestine apporte au monde », intitulée « Les valises de Genet ». 

« On dit que j’ai aidé les Palestiniens, ce sont eux qui m’ont aidé à vivre »

Valises ayant appartenu à Jean Genet, archives Jean Genet / IMEC. © Michael Quemener/IMEC

Les valises de Jean Genet ont tenu lieu de domicile et de bureau à un écrivain habité par le tourment de l'ancrage, magnifiquement scénographié dans l’exposition à l’Institut du monde arabe à Paris. Au fil du parcours, se posent en filigrane le sens de l’engagement, de l’écriture et de la possibilité de sortir de soi-même dans une rencontre avec autrui. Explications du commissaire  et spécialiste de Jean Genet, Albert Dichy.

Cette exposition reprend-elle à la lettre celle qui a été présentée à l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) en 2020 ?

Pas tout à fait, d’autant plus que celle de l’IMEC a fermé le lendemain de son inauguration à cause du confinement. Le catalogue de l’exposition était sorti, et curieusement, il a été un succès en librairie…Cette nouvelle exposition a mis un plus grand focus sur le rapport de Genet avec les Palestiniens. Je souhaitais évoquer ce qu’est vraiment une valise : ce ne sont pas des documents classés ou hiérarchisés. Dans le bureau d’un écrivain, on retrouve le manuscrit d’un livre dans un casier, les brouillons dans un autre… Le contenu d’une valise n’est pas organisé chronologiquement, et c’est pour cela que j’ai voulu qu'il n’y ait qu’une seule très longue vitrine qui soit un peu comme un jeté d’archives qui se déversent. On commence par un premier focus sur le monde de Jean Genet, son rapport à la prison, l’homosexualité, la délinquance, le crime... L’idée est de montrer que cet homme n’est pas semblable aux intellectuels français engagés, comme Sartre ou Foucault. Il est originaire de la prison comme d’un pays, c’est un homme à part. Il a été sollicité par quelques mouvements révolutionnaires, car il se retrouve avec eux, il porte en lui une révolte personnelle et singulière contre un monde qui l’excluait. Son œuvre a commencé en prison, et elle a pu se retrouver de façon collective avec deux grands mouvements qu’il a soutenus, les Black Panthers et les Palestiniens.

Marc Trivier, « Portrait de Jean Genet », 1985, Rabat. Marc Trivier/Nabil Boutros/Don de l’artiste/Collection du musée national d’art moderne...

Quel sens donner à l’engagement de Genet auprès des Palestiniens ?

Ce qui le lie aux Palestiniens, comme aux Black Panthers, c’est qu'ils ont été privés de territoire. Genet dit qu’on leur a retiré la terre sous les pieds. « Ma situation n’est pas celle d’un révolutionnaire, mais d'un vagabond », écrit-il. Dans un des textes exposés, l’écrivain avance même que l’origine de la guerre n’est pas territoriale ou sociale, elle se fonde sur la honte et la colère.

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Le deuxième ensemble de la vitrine concerne le lien avec les Black Panthers, en 1970. Genet est connu aux États-Unis car sa pièce Les Nègres a été très appréciée à Broadway, et son soutien est sollicité. Genet considère qu’en tant qu’ancien délinquant, il n’a pas de poids moral, mais il accepte de les accompagner, il se rend dans des ghettos où aucun Blanc n’entre, il propose des conférences dans les universités… La même année, ce sont les Palestiniens qui le sollicitent. L’exposition présente une multitude de notes écrites sur place, à chaud, au cours de ses périples, notamment dans les camps palestiniens. Les visiteurs peuvent découvrir des articles de journaux qu'il a écrits, des publications pirates, des brochures militantes, une carte de visite signée par Arafat à la fin des années 70… Il y a aussi des traductions de ses textes. Au moment des massacres de Sabra et Chatila, un silence s’est installé à ce sujet, et c’est seulement le texte de Genet paru dans la Revue d'études palestiniennes (et traduit en arabe par Mahmoud Darwich quelques mois plus tard) qui va faire connaître, y compris au monde arabe, ce qui s’est passé.

Quel est le point focal du troisième ensemble présenté dans l’exposition ?

Il concerne la construction du dernier livre de Genet, Un captif amoureux. L’auteur, qui avait décidé de tourner le dos à la littérature, recommence pourtant à écrire dans une optique politique, et il y a une raison plus profonde : un vrai écrivain ne peut pas s’empêcher d’écrire. Le désir d’écrire revient comme une vague, et s'il se refuse à écrire sur un grand cahier, il utilise des emballages de sucre, des bouts de papier journal, une de ses paperolles de l’exposition est d’ailleurs une page de L’Orient-Le Jour ! Proust ajoutait des paperolles à son manuscrit central ; chez Genet, elles ont une force de commencement, et ces bouts de papier vont devenir un livre. On ne voit jamais se dessiner un plan ou un projet, car ils constituent déjà le texte : Genet pense par phrases, c’est tout de suite de l’écriture. Il note ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il pense. Il y a une constante réflexion autour des raisons de son engagement avec les Palestiniens. Genet a composé son livre dans l’urgence, lorsqu’il se sait atteint d'un cancer, et on voit dans l’exposition de façon visuelle et physique le passage des bouts de papier à un premier manuscrit d’Un captif amoureux.

Lorsque Genet a rencontré Arafat, ce dernier lui demande, comme à d’autres artistes (Godard, Moravia, par exemple) de témoigner pour les Palestiniens. Le romancier entend cette demande et, depuis les années 70, il a en tête de laisser un témoignage. Mais il n’est pas sensible aux notions de territoire et de patrie, ce qui l’intéresse, c’est la transformation des Black Panthers, d’anciens esclaves qui deviennent dangereux, et celle des Palestiniens, qui passent du statut de réfugiés à celui de fedayine. Dans ce mouvement-là, il voit un peuple qui se dresse dans la révolte et qui retrouve une dignité. Il saisit bien le danger que cela peut avoir, tout en percevant comment les Palestiniens, ou les Noirs américains, ont retrouvé ce qu’il appelle leur beauté, c’est-à-dire leur façon de se dresser contre la société.

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Peut-on dire qu’il s’intéresse plus à l’essence de la révolte qu’à sa finalité ?

Genet accompagne davantage un moment de cette révolte que la cause elle-même, même s’il reste sensible à ce qui est vécu par les peuples concernés. Dans le cadre d’une exposition sur la Palestine, on pourrait penser que Genet devient une sorte de militant de la cause palestinienne, mais il a tout de suite été clair lorsque nous avons fait l’exposition qu’on montrait l’ensemble du cheminement de Genet, et pas seulement les textes qu’il a écrits sur la cause palestinienne. Je voulais qu’on montre qu’avant d'être un militant, il est d’abord un écrivain, et c’est en tant que tel qu’il rend service aux Palestiniens. Je voulais éviter une récupération politique, car, au fond, Genet reste réfractaire à tout : c’est un poète parmi les Palestiniens. Il y a une très belle phrase de Genet à l’entrée de l'exposition : « Quelle sottise, on dit que j’ai aidé les Palestiniens, ce sont eux qui m’ont aidé à vivre. » Là réside peut-être le secret de l’échange qui se réalise entre les Palestiniens et Genet : ils sont dans le moment de leur éclat, de leur jeunesse, et l’auteur retrouve avec eux son goût de vivre et d’écrire qui vont ensemble chez lui. Il reçoit une charge émotive de leur part, et il va leur offrir le plus grand livre qu’un écrivain occidental ait écrit sur les Palestiniens. Ce qui est au centre de son livre, ce n’est pas la question de la Palestine, mais les Palestiniens eux-mêmes, les êtres vivants, en lutte. Aujourd’hui, on peut dire qu’ils n'ont jamais été dans une position aussi critique et peut-être désespérée, mais dans Un captif amoureux, on a une image de ce qu’est leur vitalité et ce qu’il y a d’inaltérable en eux. Genet sait aussi que son texte ne sera un vrai livre que s’il y mêle son histoire et sa propre mémoire. Sinon, ce n’est qu’un livre politique de plus, or il est comme Homère avec les Troyens.

Ce qui n’empêche pas une dimension critique dans son approche, il craint que les Palestiniens ne s’embourbent dans le temps, ce qui fera gagner Israël, et c’est une phrase terrible parce que c’est un peu ce qui risque de se passer. Genet n’est jamais dupe de ce qu’il voit, comme dans un des textes exposés, rédigé place des Canons. Il écoute les conversations des gens qui se croisent dans un café, des Kurdes, des Arméniens, des Iraniens…, et il entend les blessures de chacune des communautés de Beyrouth.

Comme c’est une petite exposition par rapport au reste sur la Palestine, il aurait pu y avoir un problème de visibilité, d’autant plus qu’elle se situe dans les étages, mais elle attire un public toujours plus nombreux.

Les valises de Jean Genet ont tenu lieu de domicile et de bureau à un écrivain habité par le tourment de l'ancrage, magnifiquement scénographié dans l’exposition à l’Institut du monde arabe à Paris. Au fil du parcours, se posent en filigrane le sens de l’engagement, de l’écriture et de la possibilité de sortir de soi-même dans une rencontre avec autrui. Explications...

commentaires (1)

Les Français d'Algérie , aussi nombreux que les Palestiniens ont été chassés de leur terre natale . Comme les Palestiniens ils ont fait exploser des bombes mais moins de 10 ans après ils avaient retrouvé une vie acceptable . Vous citez Genet qui est icône pour la gauche parce que taulard et homosexuel .Ces Palestiniens qui vivent dans un océan arabo-musulman n'ont réussi qu'une chose , faire couler le sang libanais . Pour retrouver un Liban en Paix il faudrait d'abord que l'ONU oblige les Arabes a régler se problème . Sinon dans 5 ou 10 ans , peut-être même avant le Liban va voir revenir l'Armée Syrienne .Tant qu'il y aura Israël comme Ennemi Public il n'y aura pas de démocratie au Proche Orient .

Yves Gautron

20 h 52, le 02 août 2023

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Commentaires (1)

  • Les Français d'Algérie , aussi nombreux que les Palestiniens ont été chassés de leur terre natale . Comme les Palestiniens ils ont fait exploser des bombes mais moins de 10 ans après ils avaient retrouvé une vie acceptable . Vous citez Genet qui est icône pour la gauche parce que taulard et homosexuel .Ces Palestiniens qui vivent dans un océan arabo-musulman n'ont réussi qu'une chose , faire couler le sang libanais . Pour retrouver un Liban en Paix il faudrait d'abord que l'ONU oblige les Arabes a régler se problème . Sinon dans 5 ou 10 ans , peut-être même avant le Liban va voir revenir l'Armée Syrienne .Tant qu'il y aura Israël comme Ennemi Public il n'y aura pas de démocratie au Proche Orient .

    Yves Gautron

    20 h 52, le 02 août 2023

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