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Culture - Rencontre

Charles Dantzig à « L'OLJ » : Beyrouth, ça parle tendre

Dans son dernier livre, « Paris dans tous ses siècles », publié chez Grasset en janvier, l'écrivain et éditeur français revient à la forme romanesque, neuf ans après son dernier roman, « Histoire de l’amour et de la haine ». 

Charles Dantzig à « L'OLJ » : Beyrouth, ça parle tendre

Charles Dantzig. Photo Joel Saget/AFP

Paris dans tous ses siècles : au premier abord, on pourrait croire que Charles Dantzig signe un essai historique. Un condensé des événements qui ont marqué Paris. Une exploration érudite comme celle qu’il a consacrée à l’univers de Proust (Proust Océan, Grasset, 2022), une collection d’observations comme son Traité des gestes (Grasset, 2017).

On se tromperait. Neuf ans après Histoire de l’amour et de la haine (Grasset, 2015), il revient à la fiction avec un roman grandiose. On y retrouve la prose vive et jubilatoire de Dantzig.

« Pour moi, le temps n’existe pas. » D’emblée, Charles Dantzig explique sa volonté de faire exister simultanément, dans un seul roman, toutes les périodes qu’a connues Paris. « C’est comme ça que je vis ! » Lorsqu’il marche dans les rues de la capitale, Charles Dantzig se balade entre passé, présent et futur : « Une plaque commémorative me fait basculer dans un autre temps. » Et on s’imagine que pour accéder à son bureau d’éditeur chez Grasset, rue des Saints-Pères – où il nous reçoit – il doit frôler bien des spectres illustres.

Comment fait-on, alors, pour retranscrire ce foisonnement dans un roman ? On refuse de se laisser contraindre par le morne réalisme ambiant. « Le roman réaliste est mon ennemi principal, déclare-t-il à L'Orient-Le Jour, avant de préciser, une appellation fallacieuse d’ailleurs, car il n’y a pas plus féerique que Balzac ! Je parle de cette idéologie actuelle qui est une forme de terreur et qui enferme les écrivains dans des narrations très scolaires. Ces romans-là sont mensongers parce qu’ils croient au destin. Ils font des objets de leurs personnages et remplissent artificiellement les trous de leur vie. »

Personnages de toute espèce

Les personnages de Charles Dantzig, eux, ne sont pas les jouets du destin. Les « trous de leur vie » sont laissés béants. Ils flânent dans leur vie comme dans les rues de Paris, des galeries d’art du VIe arrondissement aux fêtes de Belleville en passant par les ballrooms du Marais. Celui qui a animé pendant six ans l’émission Personnages en personne sur France Culture professe son amour pour les personnages de fiction : « Essentiels dans un roman parce que ce sont eux qui sécrètent ce qui se passe. »

Dans ce roman-ci, il y a Gabrielle, digne représentante de la très matrilinéaire famille Mattromer, sa fille Irène et sa mère Ismena. Il y a aussi son meilleur ami Victor, grincheux écrivain en passe de devenir franchement réactionnaire, racheté par le talent et l’impertinence de son fils queer, Victorien. Et Wilson, escort brésilien, parisien d’adoption. Autour d’eux s’agite une foule de personnages secondaires, humains ou non. Car les Parisiens ne se savent pas observés si minutieusement par leurs animaux, moins domestiqués qu’il n’y paraît. Des animaux qui prennent la parole pour révéler les mensonges, les contradictions et les petites impostures des humains qu’ils côtoient.


L'écrivain et éditeur français Charles Dantzig. Photo Grasset

De la même manière que les personnages humains, libérés du joug du destin, les animaux s’affranchissent, par la fiction, du rôle subalterne que nos sociétés leur assignent : « Ils parlent pour nous dire quelque chose du statut que nous leur réservons, jusque dans le langage. Certains de notre supériorité, nous avons créé pour eux un lexique singulier et infériorisant : on parle de gueule ou de pattes plutôt que de bouche ou de jambes. »

Nous connaissions l’engagement de Charles Dantzig pour les luttes queers (son roman Histoire de l’amour et de la haine dénonçait la poussée homophobe qui avait accompagné la promulgation du mariage gay en France). Nous lui découvrons ici une sensibilité antispéciste. « Nous serons jugés sur le rapport atroce que nous avons aux animaux. Je pense qu’ils ne parlent pas parce qu’ils sont horrifiés par le sort qu’on leur a fait subir il y a 3 millions d’années. Mais ils ont tout de même inventé un langage pour se faire comprendre. »

Et c’est cela, sans doute, la question principale de ce roman – et peut-être de la littérature, en général : qui a accès au langage ?

« La littérature sert à faire parler des gens qui ne parlent pas. Les meilleurs livres ont conquis des territoires et donné la parole à des espèces de gens que la société se gardait de faire parler. Les premiers ouvriers, c’était Dickens. Les premiers travestis, Genet. Les handicapés mentaux, Faulkner. »

La parole de Paris

Il est étonnant de voir les animaux occuper un rôle central dans un roman aussi urbain. Paris cesse d’être une cité sur laquelle nous régnons en maîtres incontestés, nous découvrons une ville grouillante de créatures plus ou moins apprivoisées, où les libellules assistent au Colloque international des insectes, au Jardin du Luxembourg, et les rats sont admis au Club de lecture des taupes.

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Charles Dantzig dresse le culte des chefs-d’œuvre littéraires

Tout comme il s’oppose à l’idée d’un récit linéaire, Charles Dantzig détruit les images stéréotypées de Paris : ville-musée, statique, uniforme. On découvre un Paris bruyant, vif, sauvage même, en évolution permanente. « Paris, ça parle ! » résume-t-il. Et l’une des innovations littéraires de ce roman vient de sa manière de retranscrire le brouhaha de Paris. Charles Dantzig insère dans le récit les bribes de phrases que l’on peut saisir sur un trottoir, des graffitis qu’on lit sur les murs. Il fait entendre par là le multilinguisme de Paris, de l’anglais au wolof.

Connaissant son amour pour les capitales – il fait dire à Gabrielle Mattromer : « Les capitales, qui semblent si exclusives les unes aux autres, s’adressent des clins d’œil inaperçus du troupeau des villes et des campagnes » –, nous ne résistons pas à lui demander ce qu’il pense de la nôtre. Et Beyrouth, alors, comment parle-t-elle ?

« Moi je dirais que Beyrouth ça parle tendre, ce qui se manifeste par l’accent beyrouthin qui est chantant, très modulé et très doux, que ce soit en français ou en arabe. Peut-être une tentative de noyer la violence dans le miel. »

Paris dans tous ses siècles : au premier abord, on pourrait croire que Charles Dantzig signe un essai historique. Un condensé des événements qui ont marqué Paris. Une exploration érudite comme celle qu’il a consacrée à l’univers de Proust (Proust Océan, Grasset, 2022), une collection d’observations comme son Traité des gestes (Grasset, 2017).On se tromperait. Neuf ans après...
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