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Lifestyle - Événement

« Madonna, sainte patronne de Copacabana ! » : dans les coulisses d’un concert historique

Ils étaient plus d’un million et demi sur la plage mythique de Rio de Janeiro ce 4 mai à acclamer (gratuitement) la reine de la pop qui souffle la quarantième bougie d’une carrière aussi démesurée que son personnage. « L’Orient-Le Jour » y était et conte les dessous d’un week-end qui a fait vibrer le Brésil.

« Madonna, sainte patronne de Copacabana ! » : dans les coulisses d’un concert historique

Madonna sur scène à Copacabana beach à Rio de Janeiro, le 4 mai 2024. Pablo PORCIUNCULA/AFP

Il n’est pas encore 10 heures en ce vendredi ensoleillé que les températures avoisinent déjà les 30 degrés. Assise sur le sable chaud de la plage de Copacabana, Roula observe attentivement les va-et-vient d’agents de sécurité et d’ingénieurs du son consciencieux. Comme elle, des centaines de badauds se sont attroupés pour suivre la mise en place d’une titanesque scène de 800 mètres carrés. Celle qui accueillera leur idole dans un peu plus de 24 heures.

« Je vais enfin voir ma star à moi ! », s’esclaffe cette Libanaise d’origine et résidente de São Paulo ayant fait le déplacement jusqu'à Rio de Janeiro. Admiratrice de la première heure d’une timide Louise Ciccone - de son vrai nom - sur les scènes étroites de la MTV en ascension, la quinquagénaire confie lui vouer encore aujourd’hui un véritable culte. « J’étais à Beyrouth au début de la guerre civile. Elle était une échappatoire dans mon quotidien de misère. Une icône féministe avant l’heure, une punk et une inspiration pour toutes les femmes de ma génération », poursuit la native d’Achrafieh qui quitte le pays du Cèdre avec sa famille en 1986 « sur une barque, à l’image de rares Libano-Brésiliens qui ont d’abord fait escale en Europe ».

Un kilomètre plus loin, d’autres fans prennent peu à peu possession du parking et de l’entrée du Copacabana Palace où la diva a posé ses valises Vuitton. Dans la suite présidentielle au dernier étage de cet établissement cinq étoiles, les assistants personnels de la Madone scrutent, soucieux, la foule qui entonne un à un, les tubes de l’égérie des eighties sulfureuses.

Publicité géante pour le concert. Pablo PORCIUNCULA/AFP

« C’est un événement ici ! Toute la ville est mobilisée en attendant samedi soir ! », lance Ursula, une drag queen vêtue d’un soutien-gorge conique couleur or, clin d'œil au célèbre costume scénique signé Jean-Paul Gaultier.

Dans les rues de la baie azur ou sur les aires d’autoroutes menant au littoral quasi-bouclé, impossible d'échapper aux larges affiches tapissant les panneaux publicitaires fraîchement repeints. « Elle nous devait bien ça, c’est sa première et seule représentation en Amérique latine depuis 2012 ! », ajoute la performeuse queer à la veille d’un concert ouvert à tous et entièrement gratuit, clôturant un « Celebration Tour » qui s’est joué à guichets fermés, sur 80 dates, à travers l’Europe et le continent nord-américain. « Rien n’est trop beau pour sa majesté ! On sera là pour l’applaudir ! », s’égosille de nouveau Ursula devant un parterre d'iPhones levés au ciel, espérant apercevoir aux fenêtres de sa suite la chevelure blonde d’une Madonna en terre promise, plus que jamais vénérée.

« Opération M »

À l’occasion du plus grand concert de l’artiste au parcours jalonné par les scandales et les coups d’éclat, les organisateurs et les autorités de la ville de Rio ont dû répondre aux exigences de cette dernière, réputée pour son perfectionnisme autoritaire, presque militaire.

Dix-huit ans après le dernier événement de cette même ampleur – un show des Rolling Stones en 2006 – trois avions et 270 tonnes de matériel ont dû investir Copacabana Beach pour les besoins d’un spectacle réadapté aux besoins d’un public de plus de 1,5 million de personnes, dont 150 000 étrangers de passage à Rio pour admirer, même de très loin, la "Material Girl" de 65 ans.

Une vue aérienne de la foule, plus d'un million et demi de personnes attendant Madonna. Daniel RAMALHO/AFP

Si la mairie de la mégalopole de 7 millions d’habitants s’est tout de suite montrée ouverte à l’idée d’orchestrer ce concert géant au mois de février dernier, c’est que l’aubaine est essentiellement financière. Au total, 293 millions de reals, soit 57 millions de dollars, devraient être générées, 30 fois plus que ce qui a été investi…

« C’est tout bénéf’ pour l’économie locale, on s’arrache mes T-shirts », se vante Maria, une vendeuse ambulante qui a délaissé ses serviettes de plage habituelles pour se consacrer à la liquidation d’accessoires à l'effigie de l'interprète de Holiday. Dans les bars, on propose des cocktails Like a Virgin. Dans les petits magasins aux devantures délabrées comme dans les grandes surfaces aux parquets luisants, les titres les plus reconnaissables de la chanteuse passent en boucle, jusqu'à influencer les ventes de ses albums. Sur Spotify comme sur Apple Music, la compilation de ses singles est en pôle position, une première depuis sa sortie en 2009.

« C’est la folie Madonna. Le Brésil lui a toujours été fidèle, c’est la raison pour laquelle elle nous offre sa seule représentation gratuite. Pour nous remercier », explique Caio, 20 ans à peine et vivant dans la favela de Rocinha. « On peut critiquer l’aspect commercial de ce week-end, mais la réalité est que la venue de M. est l’opportunité pour des gens comme moi d’aller à leur premier concert », poursuit-il, drapeau arc-en-ciel en main et pressé d’assister aux échauffements en plein air de sa « sainte patronne ».

Préparatifs et inquiétudes

Les spots lumineux installés et les caméras branchées, voilà que Madonna, masquée, apparaît enfin dans un nuage de fumée pour des répétitions nocturnes, trois jours après avoir atterri à Rio. Acclamée par quelques milliers d’admirateurs planqués derrière des grillages, les plus jeunes en live sur Instagram et TikTok ne boudent pas leur plaisir de se retrouver aux premières loges d’un événement que les médias internationaux couvrent abondamment.

« Il est assez simple de comprendre cet engouement. Le Brésil est un pays qui adule les célébrités ! Tout le monde, spécialement à Rio, veut être une star ! Et Madonna en est la plus grande », affirme une autre Maria, DJ à ses heures perdues. « En plus, elle ne reçoit pas autant de critiques qu’ailleurs ici parce qu’on respecte plus les artistes qui traversent les époques. Et peu importe toute la chirurgie esthétique qu’elle a pu faire ! On est tous passés par la case botox et bistouri ! », confie-t-elle en touchant son nez tout retroussé…

Le lendemain à midi, c’est sous 37 degrés que les plus courageux des carioques bravent la canicule automnale pour se frayer un chemin vers une plage déjà bondée.

Un fan arborant le fameux soutien-gorge créé par Gaultier pour Madonna. Tercio TEIXEIRA/AFP

« Police, police ! », s'époumone une adolescente à qui l’on vient de voler son téléphone. Une longue série suivra. Si les forces de l’ordre sont exceptionnellement déployées tout au long des 4 kilomètres de Copacabana, le dispositif de sécurité inquiète ou impressionne. « Je regarderais peut-être un peu à la télé ou depuis mon balcon. Mais j’ai trop peur de descendre en ville ce soir », relate un quadragénaire, habitant les beaux quartiers faisant face à l'Atlantique.

Icône un jour…

Il est 22 heures et la foule noircit la plage qui continue ce soir de cultiver son mythe et sa réputation fringante d'attrape-paillettes. Madonna, petite fille qui arrive à New York avec 35 dollars en poche au creux de l’année 1978, s'apprête à monter sur la scène que seuls une poignée d’artistes peuvent se targuer d’avoir frôlée.

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B*tch, she's Madonna !

Dans l’assistance, des pompiers aspergent légèrement d’eau certaines zones pour éviter tout malaise, alors que les premières notes de Lucky Star viennent électrifier un public trépignant d’impatience.

Sous les applaudissements, la chanteuse s’avance et les milliers de haut-parleurs installés dans tout le périmètre semblent ne plus pouvoir couvrir l’acuité des hurlements et sifflets rappelant la ferveur des grands soirs de matches.

De Music, repensée en version samba - et accompagnée des danses lascives de la star drag du pays Pabllo Vittar - à l’apparition d’Anitta, autre chanteuse aux penchants provoc’, l’Américaine reprend les éléments d’interprétation qui ont fait d’elle l’artiste féminine ayant vendu le plus de disques de l’histoire, entre exhortation à la liberté sexuelle et militantisme chevronné.

En ce 4 mai, jour anniversaire de la naissance de Keith Haring, fauchée par le sida en 1990, la célèbre blonde, engagée depuis les années 1980 à contrer l’épidémie qui a décimé les communautés les plus marginalisées, offre un hommage déchirant aux victimes qu’on ne voulait pas voir. Renato Russo, Cazuza, Herbert de Souza, les visages de figures activistes brésiliens, décédés des suites de leur maladie au tournant de la décennie 90, se succèdent sur fond de Live to Tell, vivre pour raconter. Tout un symbole.

Un concert mémorable. Tercio TEIXEIRA/AFP

Au total, près de deux heures de show auront suffit pour donner envie à Rio de faire nuit blanche. « C’était gigantesque, légendaire ! », scande Tony entre deux bousculades vers la sortie. « Elle a prouvé au monde entier qu’elle n’était pas finie. Au contraire, elle est plus hype que jamais », renchérit le jeune homme trempé d’un mélange de bière et de sueur.

Sur toutes les chaînes de télévision du pays, le concert est vanté comme étant un succès pour l’État plus que jamais divisé. Le maire de la ville, lui, se gargarise de ce succès en duplex depuis chez lui.

La soirée terminée sans incident notable, Madonna, son pari réussi et sa tournée clôturée, entrent en ce soir de mai 2024, un peu plus dans la légende. Femme pugnace et libre dans une industrie toujours dominée et actionnée par les hommes, artiste libérée et politique à l’heure où il n’est plus bon de s’engager, la rainha de Rio représente, sans doute naïvement, ce que la pop culture a de meilleur. Un imaginaire pailleté et une fenêtre vers l’ailleurs pour celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Il n’est pas encore 10 heures en ce vendredi ensoleillé que les températures avoisinent déjà les 30 degrés. Assise sur le sable chaud de la plage de Copacabana, Roula observe attentivement les va-et-vient d’agents de sécurité et d’ingénieurs du son consciencieux. Comme elle, des centaines de badauds se sont attroupés pour suivre la mise en place d’une titanesque scène de 800...
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