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L’islam et les gens du Livre : une coexistence et des défis

Afin de comprendre la situation des « gens du Livre » dans le monde islamique et d’évaluer le niveau de tolérance de l’islam envers les minorités religieuses, il est important de se référer à la source principale de la religion musulmane, le Coran. Il est également crucial, dans cet objectif, de comprendre les diverses périodes marquantes de l’histoire de l’islam, depuis ses débuts jusqu’à la fin de l’Empire ottoman en 1922, car les pratiques envers les minorités religieuses ont varié selon les périodes et les régions, et cela en dépit du fait que l’enseignement de la tolérance dans l’islam a existé dès ses débuts.

Le Coran considère les juifs et les chrétiens comme des « gens du Livre » et encourage la tolérance envers eux. En effet, le verset 256 de la sourate 2 affirme qu’il ne doit y avoir aucune contrainte en matière de religion, tandis que le verset 62 de la même sourate indique que les croyants, les juifs, les chrétiens et les sabéens qui croient en Dieu seront récompensés. Cependant, le Coran impose certaines restrictions, telles que le paiement de la jizya, afin que ces groupes soient protégés par les musulmans. Les restrictions imposées sont souvent considérées comme des mesures de protection, mais le Coran appelle aussi à un traitement bienveillant et juste envers les gens du Livre. Il condamne toute contrainte en matière de foi et encourage la tolérance envers les croyances autres que celles de l’islam. Ainsi, il apparaît que les gens du Livre ont été traités de manière différente de celle appliquée aux polythéistes et aux athées.

Durant les débuts de l’islam, le prophète Mohammad avait conclu des accords avec certaines communautés juives et chrétiennes, accords connus sous le nom de « pacte de Médine ». Ce pacte, qui se fondait sur les sourates du Coran relatives aux gens du Livre, garantissait leur liberté de pratiquer leur religion ainsi que leur protection contre les attaques extérieures. Toutefois, il prévoyait également certaines restrictions, telles que l’interdiction pour les non-musulmans de construire de nouveaux lieux de culte ou de faire du prosélytisme auprès des musulmans.

L’expansion de l’islam a débuté au VIIe siècle en Arabie et s’est étendue, par la suite, à la Palestine, à la Syrie, à l’Égypte et à l’Afrique du Nord. Bien que perçue comme une libération de l’occupation byzantine par les habitants des pays conquis, l’expansion de l’islam n’a cependant pas été complètement pacifique. Il y a eu des cas isolés où la force militaire a été utilisée pour imposer l’islam aux non-musulmans. Mais de manière générale, les conquérants musulmans n’ont pas cherché à imposer leur religion, et l’islamisation des territoires conquis s’est faite à des rythmes différents. Les chrétiens et les juifs sont restés majoritaires pendant plus de trois cents ans sous le règne musulman et leur statut était protégé par la loi islamique indiquée dans le Coran. Les musulmans étaient minoritaires et vivaient entre eux dans des sociétés multiconfessionnelles.

Pendant les périodes omeyyade et abbasside, les musulmans ont appliqué la loi basée sur le Coran qui permettait aux gens du Livre de pratiquer leur religion, en échange du paiement d’un impôt spécial appelé jizya, afin de bénéficier de la protection de l’État musulman. Les dhimmis, bien qu’ayant certains droits tels que la liberté de culte, étaient soumis à des restrictions concernant leurs pratiques religieuses. Les Abbassides ont encouragé la traduction et la préservation des textes anciens ainsi que le développement des sciences islamiques et arabes. Ils ont notamment créé la Maison de la sagesse à Bagdad, un centre de traduction et d’études scientifiques, et ont favorisé la collaboration entre les savants musulmans, juifs et chrétiens, ce qui a donné lieu à des avancées significatives dans de nombreux domaines. Toutefois, tous les dirigeants omeyyades et abbassides n’ont pas adopté la même politique à l’égard des gens du Livre. Il y a eu, en effet, des périodes de persécution, comme sous le règne de Omar ben Abdul Aziz (717-720) et du calife abbasside Jafar al-Mutawakil (847-861). Des lois discriminatoires ont également été imposées aux chrétiens et aux juifs, telles que l’obligation de porter des vêtements distinctifs, l’interdiction de construire des maisons plus élevées que celles des musulmans et la limitation de la construction de nouveaux lieux de culte.

Pendant la dynastie fatimide (909-1171), les gens du Livre ont été, de manière générale, traités avec tolérance et respect, et ont même occupé des postes importants dans l’administration et dans les institutions académiques. Cependant, il y a eu des périodes de tension et de persécution, notamment sous le règne du calife al-Hakim bi-Amr Allah (996-1021) qui a suivi une politique contradictoire envers les gens du Livre. Avant 1014, il a détruit des églises en Égypte et en Palestine sans même épargner la basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem, et il a également pris des mesures humiliantes à l’égard des chrétiens et des juifs. Cependant, après 1014, il a changé radicalement sa politique et a encouragé la construction de plusieurs églises. Malgré cela, on peut dire que la politique générale de la dynastie fatimide envers les gens du Livre a été caractérisée par la tolérance et le respect de leurs droits religieux et culturels.

La période des Mamelouks (1250-1517) a également été difficile pour les gens du Livre qui ont subi une sorte de vengeance due à la collaboration d’une partie des chrétiens avec les croisés. Une grande partie des conversions du christianisme à l’islam a eu lieu au cours de cette période, lorsque les musulmans sont devenus progressivement majoritaires.

Entre 711 et 1492, l’Andalousie a été marquée par des périodes de tolérance religieuse, mais aussi par des périodes d’intolérance, surtout sous les gouverneurs (de 961-976) et sous Yousouf al-Mu’taman ben Hud (1228-1238). Malgré cela, des échanges intellectuels intenses ont eu lieu entre les différentes communautés culturelles présentes en Andalousie. Les traducteurs andalous, souvent juifs et chrétiens, ont joué un rôle important dans la traduction de textes dans divers domaines, tels que la philosophie grecque, les sciences, la médecine, les mathématiques, l’astronomie, la littérature et l’art. Ces échanges intellectuels ont eu un impact significatif sur la Renaissance européenne. La fin de cette période culturelle riche et diversifiée en Andalousie est survenue avec l’expulsion forcée des juifs et des musulmans après la conquête de Grenade par les rois catholiques en 1492. Le sultan ottoman Bayezid II a alors envoyé ses navires pour sauver les juifs qui fuyaient vers l’Afrique du Nord et les a invités à s’installer dans l’Empire ottoman, où ils ont été accueillis et protégés.

Pendant la période ottomane, la même loi que précédemment était appliquée envers les minorités religieuses. Cependant, ce qui était nouveau durant cette période, c’était que les chrétiens et les juifs étaient groupés en différentes communautés confessionnelles appelées melleh, ce qui leur a permis de s’organiser et de prospérer culturellement, socialement et économiquement. Dans certaines régions de l’Empire, le nombre de juifs et de chrétiens a augmenté de manière proportionnellement plus rapide que celui des musulmans. La politique de l’Empire ottoman à l’égard des melleh a varié au fil du temps, passant de la tolérance et l’intégration à la répression et la discrimination, bien que ces discriminations aient souvent été motivées par des facteurs autres que la religion. De plus, les Ottomans ont pratiqué le devchirmé, qui impliquait d’enlever des enfants chrétiens des Balkans et d’Anatolie pour les convertir à l’islam et en faire des soldats ou des fonctionnaires de l’Empire.

Au XIXe siècle, les réformes des Tanzimat ont cherché à garantir l’égalité entre tous les citoyens ottomans, indépendamment de leur religion, en leur permettant d’accéder aux plus hauts postes de l’État et de l’armée. Cependant, ces réformes ont également créé des tensions avec les musulmans, qui ont perdu certains de leurs privilèges en raison de ces changements. Pendant cette période, des événements tragiques ont eu lieu au Liban et à Damas, où des milliers de chrétiens ont été victimes de massacres entre 1894 et 1897, causant entre 80 000 et 300 000 victimes.

L’histoire de la coexistence entre l’islam et les gens du Livre est complexe et nuancée. D’une part, les chrétiens et les juifs ont apporté une contribution significative au développement de la civilisation arabo-musulmane. D’autre part, cette histoire est marquée par des périodes de tolérance et de conflits, ainsi que des politiques variables en matière de restrictions et de droits, selon le contexte historique, culturel et politique. Les restrictions imposées aux minorités religieuses ont pris diverses formes, telles que le paiement de la jizya, le port de vêtements distinctifs, les restrictions sur la construction de lieux de culte, l’interdiction du mariage mixte, l’accès limité aux postes publics et l’inégalité devant les tribunaux.

Architecte D.P.L.G.

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Afin de comprendre la situation des « gens du Livre » dans le monde islamique et d’évaluer le niveau de tolérance de l’islam envers les minorités religieuses, il est important de se référer à la source principale de la religion musulmane, le Coran. Il est également crucial, dans cet objectif, de comprendre les diverses périodes marquantes de l’histoire de l’islam,...

commentaires (1)

Très intéressant votre article je voudrais bien l’avoir dans mon dossier byzantin

Eleni Caridopoulou

18 h 22, le 05 juillet 2023

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Commentaires (1)

  • Très intéressant votre article je voudrais bien l’avoir dans mon dossier byzantin

    Eleni Caridopoulou

    18 h 22, le 05 juillet 2023

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