Des élections législatives anticipées pour mettre fin à l’impasse politique? Dans une véritable démocratie parlementaire, cette proposition n’a rien de choquant, la dissolution du Parlement étant la norme en cas de blocage. Mais au Liban, c’est une autre histoire. La démocratie ayant été troquée depuis longtemps pour le consensus, l’appel du vice-président de la Chambre Élias Bou Saab à la tenue d’un scrutin anticipé en plein vide présidentiel semble porteur de nombreux messages politiques à l’intention de plusieurs destinataires. D’autant que le numéro deux du Parlement est réputé proche du maître du perchoir Nabih Berry, le principal adversaire de Gebran Bassil, chef du bloc auquel il appartient.
De quoi changer la donne ?
C’est vendredi, à l’issue d’un entretien avec le président du Parlement, qu’Élias Bou Saab a lancé l’appel à la tenue d’une nouvelle consultation populaire. « J’ai suggéré à M. Berry des élections législatives anticipées au cas où nous n’arriverions pas à élire un président », a-t-il déclaré. S’il est membre du groupe parlementaire aouniste, il est considéré comme un électron libre. Et c’est fort de cette marge de manoeuvre qu’il est allé contre les consignes de vote du CPL (en faveur de Jihad Azour) en soutenant le candidat du tandem chiite à la présidence Sleiman Frangié lors de la dernière séance électorale. Une décision qui a failli provoquer l’éclatement du bloc aouniste, notamment du fait de l’opposition de députés frondeurs, dont Élias Bou Saab, mais aussi de membres fondateurs du CPL, comme Alain Aoun ou Simon Abi Ramia. M. Bassil avait même accusé le parti de Dieu d’interférer dans les affaires intérieures du CPL et d’inciter certains élus à la mutinerie. « Le Parlement actuel n’est pas capable d’élire un président, surtout s’il n’y a pas de véritable dialogue », commente un proche de Aïn el-Tiné. Et de rajouter : « Nous pesons le pour et le contre, mais la proposition d’Élias Bou Saab permettrait peut-être de débarrasser l’Assemblée de quelques élus qui ne sont pas conscients de leurs responsabilités de député et serait l’occasion de voir émerger une véritable majorité parlementaire. »
Les élections de mai 2022 avaient produit un Parlement éclaté : le camp du Hezbollah et de ses alliés (dont le CPL) avait obtenu 61 sièges (en deçà des 65 strapontins qui forment la majorité). Le camp de l’opposition, lui, compte quelque 42 députés, tandis que les 25 restants sont dans une zone grise. De nouvelles élections permettraient-elles de changer la donne ? Pour les experts, les résultats pourraient être défavorables pour certains groupes. « L’opposition, notamment les députés de la contestation, pourraient perdre des voix, surtout si la diaspora n’est pas mobilisée comme en 2022, estime le chercheur électoral Mohammad Chamseddine. Les Forces libanaises pourraient également perdre un ou deux sièges à Jezzine, où elles avaient marqué un score surprenant. Mais celui qui court le plus de risques, c’est le CPL. Les aounistes ont obtenu au moins cinq députés grâce à l’alliance avec le Hezbollah, qu’ils pourraient perdre si le parti jaune était moins généreux cette fois-ci. » La formation pro-iranienne avait accordé un véritable traitement de faveur à son allié chrétien lors de ce scrutin, favorisant les candidats aounistes aux autres alliés, comme le Parti syrien national social ou des indépendants prosyriens. M. Chamseddine est rejoint par Assem Chaya, également expert électoral. « Entre 2018 et 2022, le CPL a perdu quelque 40 % de ses voix, mais a pu limiter la casse grâce au soutien multiforme du Hezbollah. La rupture avec ce dernier coûterait cher au parti aouniste, notamment dans les régions où il y a un électorat chiite important, comme Zahlé et Baabda », analyse-t-il.
« Non-sujet »
En agitant le spectre d’élections anticipées, le « tandem » Berry-Bou Saab pourrait donc vouloir dire (ou menacer ?) à Gebran Bassil que l’alignement avec l’opposition n’est pas dans l’intérêt du CPL et qu’il risque de perdre gros s’il continue dans la voie du défi au Hezbollah. En privant le parti de Dieu de la couverture dont il a désespérément besoin pour faire élire Sleiman Frangié, M. Bassil risque de perdre une poignée de députés et son bloc ne pourra plus revendiquer la tête du podium sur la scène chrétienne. Contactée, la porte-parole du CPL Maya Maalouf n’a pas souhaité commenter. « Il s’agit d’une initiative personnelle d’Élias Bou Saab. C’est un non-sujet qui n’est pas débattu par notre parti », affirme-t-elle. Les opposants sont également concernés par la « proposition » d’Élias Bou Saab. Là aussi, le message est clair : si vous continuez à refuser les appels au dialogue et vous vous obstinez à bloquer l’élection de Sleiman Frangié, vous risquez de vous retrouver en minorité et de perdre votre marge de manœuvre. « Si de nouvelles élections ont lieu, les FL sortiront renforcées », rétorque Charles Jabbour, porte-parole du parti de Samir Geagea. Mais la menace peut-elle être mise à exécution ? « Convoquer une nouvelle consultation populaire est relativement facile, affirme le constitutionnaliste Hassan Rifaï. Il suffit d’une majorité simple des voix et d’un quorum de seulement 65 élus pour raccourcir le mandat du Parlement actuel. Ça a déjà été fait en 1991. » En effet, à la fin de la guerre civile et suite à l’accord de Taëf, plusieurs députés ont été nommés par l’exécutif pour remplir les sièges vacants au Parlement, le nombre de strapontins ayant augmenté pour permettre la parité islamo-chrétienne. Face à la polémique, des élections anticipées ont été décidées par le nouveau Parlement, et elles ont eu lieu en 1992.
« Techniquement, rien ne l’empêche donc, mais d’un point de vue politique, c’est pratiquement impossible. La question fera une grande polémique, et je pense qu’il s’agit plus d’une menace que d’un véritable projet », estime M. Chamseddine. Du côté des FL, on exclut ce scénario catégoriquement. « Malgré la contestation populaire massive du 17 octobre, Nabih Berry n’a pas accepté de tenir des législatives anticipées. Aujourd’hui, il accuse le Parlement d’être incapable d’élire un président pour se protéger de la pression internationale, notamment les Américains qui l’accusent de blocage et le menacent de sanctions. Et c’est effectivement son camp politique qui bloque l’élection d’un candidat de consensus en provoquant un défaut de quorum », accusent-elles. Et de lancer : « S’il veut vraiment une résolution de la crise, le camp du 8 Mars doit surtout mettre fin à la politique de blocage. Ou bien s’inspire-t-il de la politique en Israël où il y a eu quatre élections anticipées en deux ans ? »
ce serait bien d'avoir des élections anticipées, peut-être que ceux qui réalisent à quel point ils ont ont mal voté (ou pas) en mai 2022 vont se réveiller... peut-on réver d'un sursaut d'intelligence collective? Kellon yaani kellon
14 h 06, le 21 juin 2023