Résultats officiels : 59 Azour, 51 Frangié, 18 ni-ni. Résultats officieux : Azour 60, Frangié 51, ni-ni 17… Visiblement, la barre psychologique des soixante voix est jugée trop lourde à porter en haut lieu. Dont acte : on s’invente une petite confusion, Nabih Berry joue les effarés, fait la sourde oreille aux appels à recommencer le décompte et décrète qu’une voix de plus ou de moins ici ou là ne changerait rien à l’affaire. Avant d’attribuer la voix à un troisième larron, bref aux ni-ni. Ou peut-être c’était le contraire, on n’en sait rien…
Au-delà de l’incident de parcours, symptomatique de l’état dans lequel se trouve depuis des lustres la démocratie libanaise, la séance électorale du mercredi 14 juin est tout entière synonyme de surplace, d’agonie, de pourriture. En ce sens qu’on n’en est plus à répertorier les irrégularités qui s’accumulent dans ce genre d’exercice, mais au contraire à s’étonner de ce qu’il y reste encore des choses plus ou moins régulières.
Commençons par une clarification nécessaire : les candidats concernés ne sont pas le problème. Sleiman Frangié n’est guère un produit des Grandes écoles et ses fréquentations politiques peuvent troubler. Mais c’est un homme qui a érigé la fidélité en principe de vie, qui est doté de bon sens et qui semble s’être converti il y a quelque temps déjà aux vertus du pardon et du dialogue. Jihad Azour n’est pas l’héritier d’une tradition politique établie et n’incarne certes pas l’image de « l’homme fort », mais son cheminement, sa position actuelle et ses expertises dans un domaine aussi précieux pour le Liban que le sont les finances publiques, tout comme sa jeunesse relative, peuvent être d’un grand bénéfice pour le pays. Ziyad Baroud a pu à des moments donner le sentiment d’être à la recherche d’opportunités politiciennes, mais c’est au final un juriste d’un sérieux inattaquable et la trop grande « délicatesse » de caractère que lui reproche M. Frangié pourrait même être un atout. Enfin Joseph Aoun consacrerait certes la pratique pas toujours heureuse consistant à favoriser l’itinéraire de Yarzé à Baabda, mais il semble être un homme à poigne qui fait en même temps preuve d’habileté et jouit d’une bonne réputation à l’international.
Le vrai problème est ailleurs. Il réside dans le fait qu’indépendamment de tel ou tel nom, certains types de vote contribuent, dans le contexte libanais, à enfoncer le pays encore davantage dans son statut d’État failli et ingouvernable. Pourquoi? Parce qu’ils perpétuent les dérives constitutionnelles et politiques qui ont mené la gouvernance libanaise là où elle est aujourd’hui, c’est-à-dire à la vétocratie totale imposée en particulier par un parti, le Hezbollah. La vétocratie, qui est l’autre nom de ce qu’on appelle de manière enjolivée la « démocratie consensuelle », n’est certes pas l’apanage du parti de Dieu, mais il en est à coup sûr le dépositaire suprême, celui qui en use le plus souvent et de la manière la plus abusive et la plus décisive. Les autres formations politiques ont bien des choses à se reprocher, mais le Hezbollah n’est pas qu’une sorte de primus inter pares par rapport à elles, il est aujourd’hui, qu’on veuille bien l’admettre ou pas, celui par qui le plus grand mal arrive (à l’État libanais).
Au point où sont les choses, on savait bien, depuis que le Hezbollah a monté sa campagne contre Jihad Azour, que ce dernier n’avait plus aucune chance d’être élu président. Récolter 0 voix chiite sur 27 au Parlement ne peut, dans un contexte de vétocratie communautaire, mener à Baabda, même si par ailleurs on est crédité de 60, 70, 80 ou même de 90 voix sur 128. L’enjeu ne résidait donc pas, ce mercredi, dans le sort de la candidature de M. Azour. Il était bien davantage dans la taille qu’allait prendre le club des facilitateurs des basses œuvres du Hezbollah.
Posons le problème différemment : Jihad Azour a obtenu 59 ou 60 voix, peu importe. Il aurait pu, sans le retournement de certains députés indépendants qui avaient auparavant été considérés comme plus ou moins favorables à sa candidature, en obtenir 65 (soit le seuil nécessaire pour être élu au second tour) ou même plus, en comptant les autres ni-ni. Cela signifie que si Azour avait récolté 65 voix au premier tour, il aurait été considéré comme virtuellement élu. On savait bien sûr que le quorum allait de toutes les manières sauter, de façon à ce qu’il n’y ait pas jamais de second tour, à moins d’un accord général ou quasi général sur un candidat acceptable par le Hezbollah.
Faire sauter le quorum alors qu’aucun candidat n’a atteint le score de 65 est assimilable à un acte de prévention. Le faire dans le cas où un candidat a déjà 65 voix est un coup d’État en règle. Toute la différence est là. Dès lors, on aurait pu s’attendre à ce que le parti chiite soit contraint d’avancer à découvert, quitte à devoir assumer une telle extrémité. Le problème à ce stade est qu’il y a encore dans ce pays trop d’« idiots utiles » au Hezbollah, trop de gens qui lui facilitent la tâche.
Puisque de toutes les façons, le résultat sera au final le même, celui qu’impose la sotte et stérile vétocratie, pourquoi ne pas ajouter un peu de piment à la vie politique en forçant ces joyeux drilles du Hezb à vivre dangereusement ?…
""""SLEIMAN FRANGIE N’EST GUERE UN PRODUIT DES GRANDES ÉCOLES ET SES FRÉQUENTATIONS POLITIQUES PEUVENT TROUBLER. MAIS C’EST UN HOMME QUI A ÉRIGÉ LA FIDÉLITÉ EN PRINCIPE DE VIE, QUI EST DOTE DE BON SENS ET QUI SEMBLE S’ÊTRE CONVERTI IL Y A QUELQUE TEMPS DÉJÀ AUX VERTUS DU PARDON ET DU DIALOGUE"""". Plutôt la constance dans ses choix politiques, l’autre signe de l’allégeance d’un ancien milicien-chef. Mais le pardon en politique dans l’après-guerre n’est qu’une étape sur le chemin de la réhabilitation. On se veut d’une probité après tant de mal commis... En effet, il n’a jamais renoncé à ses troublantes ""fréquentations politiques"", par fidélité.
10 h 31, le 17 juin 2023