Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Le Liban, un polytraumatisé : une population en détresse

Le Liban, un polytraumatisé : une population en détresse

En moins de trois ans, nous avons vécu – ou survécu – à une crise socio-économique, une crise sanitaire et une double explosion au port de notre capitale. Photo Anwar Amro/AFP

Premier extrait d’une intervention à Paris devant l’Assemblée nationale française, le 26 mai 2023, durant un colloque sur la communication et le traumatisme.

Il est difficile d’imaginer un sort plus ingrat que le nôtre dans ce pays.

En moins de trois ans, nous avons vécu – ou survécu – à une crise socio-économique qui a fait basculer plus de 80 % des Libanais sous le seuil de la pauvreté, d’après la Banque mondiale.

Une crise sanitaire, certes mondiale, sans pareille, avec une pandémie comme on en voit une par siècle et qui a aussi fortement impacté notre système de soins au Liban, et, « last but not least » une double explosion au port de notre capitale. Des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium stockées sans précautions dans un entrepôt près du port explosaient un maudit 4 août 2020, faisant plus de 200 morts et 6 500 blessés et provoquant un traumatisme national.

Les causes exactes de cette déflagration, l’une des plus importantes explosions non nucléaires jamais enregistrées dans le monde, sont toujours inconnues – tout comme l’identité des responsables dans un pays où règne très souvent l’impunité. Tout cela ensemble, tout cela au même moment ! Peu de peuples ont connu des sorts aussi misérables ! Tout cela nous fait considérer notre pays comme une vraie plateforme du traumatisme. On a même été jusqu’à nommer Beyrouth capitale du trauma !

Devant l’ampleur de ces catastrophes répétées à l’outrance, une pléthore d’études scientifiques, et des fois pseudoscientifiques, ont foisonné pour essayer de chiffrer l’horreur, c’est-à-dire nos réactions de peur et de hantise qu’on appelle communément l’état de stress posttraumatique, ou le PTSD.

Une métanalyse regroupant l’ensemble des études de 2003 à 2020 sur l’état de stress posttraumatique révèle que les chiffres de cette condition de PTSD, ou état de stress posttraumatique, chez les Libanais varient de 2 à 98 % ! (Journal of Asian Psychiatry).

Donc pratiquement on peut dire que dépendamment des études, de leur méthodologie, de ce qu’on met dedans, on peut retrouver des chiffres qui indiquent que de rien à presque tout le monde souffre de PTSD !

Mais au-delà des chiffres, souvent obsolètes, on voit bien que nos concitoyens souffrent et même souffrent beaucoup. On le voit, on le sent, on le palpe tous les jours !

Il suffit de plonger un jour dans l’ambiance de mon cabinet à l’Hôtel-Dieu pour voir les sollicitations auxquelles je suis soumis pour examiner des personnes qui sont dans la détresse. Détresse psychique certes, mais aussi détresse économique et financière, dans un pays désormais rongé par la précarité sociale.

S’ajoute à cette demande exacerbée depuis trois à quatre ans, une hémorragie d’exode massif de plus de 50 % des psychiatres et d’un grand nombre de psychologues, partis chercher sous d’autres cieux des moyens de travail plus sûrs, plus cléments.

Pour Jean Garrabe, grand psychiatre français décédé depuis peu et qui a marqué l’école française de psychiatrie dans la seconde moitié du XXe siècle, le mot « trauma » veut dire en grec « blessure » ; ce mot a été adopté dans le langage médical dès le XVIe siècle, à la Renaissance, mais le célèbre chirurgien Ambroise Paré, ne connaissant pas le grec, parlait en français de « blessures », voire de « plaies ». C’est celles-ci qu’il pansait et que Dieu guérissait. À l’époque, la langue française ne distinguait pas entre « penser » et « panser », de sorte que le pansement était aussi une pensée. En revanche, l’usage de l’adjectif traumatique ne s’est diffusé qu’à la fin du XIXe siècle pour qualifier le « choc traumatique » et les névroses qu’il peut provoquer.

Le XXe siècle nous a fourni, hélas, d’innombrables occasions, lors de guerres mondiales et civiles, de persécutions, de génocides, de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme, etc., de réunir un abondant matériel clinique de troubles psychiques chez les survivants des populations soumises à ces traumatismes et dont la symptomatologie est étrangement similaire quelles que soient les circonstances où ceux-ci ont eu lieu et correspond à un syndrome connu depuis la fin du XIXe siècle.

Les psychiatres militaires nord-américains ne l’ont redécouvert que lors de la seconde guerre du Vietnam, et ce pour des raisons très pratiques : il fallait permettre aux anciens combattants qui en souffraient d’être pris en charge au titre de « vétérans ».

On peut en déduire que le PTSD est retrouvé partout, il est le propre de l’Homo sapiens. Effectivement, universalité de l’être humain et similitude cérébrale dans toutes les cultures rassemblent tous les hommes dans leur réponse au trauma. Le trauma peut des fois nous diviser, mais le PTSD lui nous rassemble !

Le patient souffrant d’un PTSD se plaint d’un sentiment de désespoir ou d’horreur associés à une triade de symptômes persistants :

– Intrusion : l’individu revit l’événement traumatisant. Il ne s’agit pas seulement de vagues réminiscences, mais d’incapacité à empêcher ces souvenirs de revenir le hanter.

– Évitement : l’individu tente d’éviter les situations et les facteurs déclencheurs qui pourraient lui rappeler l’événement traumatisant. Il aura ainsi tendance à éviter d’en parler pour éviter d’y être confronté directement. Cela peut conduire jusqu’à une amnésie partielle ou totale de l’événement.

– Hyperstimulation : le patient souffre de plusieurs symptômes d’hypervigilance et a par conséquent de la difficulté à se concentrer et à mener à terme ses activités. Il peut avoir notamment de l’insomnie, de la nervosité, une tendance à s’effrayer facilement, une impression constante de danger ou de désastre imminent, une grande irritabilité ou même un comportement violent.

Cela est le tableau complet du PTSD.

Vu la multiplicité des crises par lesquelles nous sommes passés et leur concomitance, on peut dire que tous les chiffres des différentes études sérieuses concernant la forme complète du PTSD dans la population libanaise ces dernières années varient entre 40 et 70 % de personnes touchées, encore une fois fourchette assez large.

Toutefois, c’est compter sans les signes frustes qui ne caractérisent pas un tableau complet de maladie posttraumatique.

En effet, il existe des signes a minima, souvent gênants, parfois persistants, même depuis plus de deux ans et demi après la double explosion. Ces signes sont décelés chaque fois que l’on discute amèrement de nos conditions de vie dans ce pays.

Ces signes sont ressentis par toutes les Libanaises et tous les Libanais ayant été d’une façon ou d’une autre impactés par la crise ou les crises que nous traversons.

Ces signes peuvent être des troubles du sommeil par-ci ; de l’anxiété ou de l’irritabilité par-là ; un manque de concentration ou des pertes de mémoire ; une sensibilité exacerbée aux bruits ; des troubles de l’appétit ou encore des réminiscences fréquentes de la scène de la double explosion. Que de fois nous sommes interpellés par nos concitoyens sur ces signes qui ne trompent pas et qui dénotent un malaise généralisé doublé de ce qui fait le lit de l’angoisse, l’incapacité à se projeter dans le futur.

Psychiatre et écrivain

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Premier extrait d’une intervention à Paris devant l’Assemblée nationale française, le 26 mai 2023, durant un colloque sur la communication et le traumatisme.Il est difficile d’imaginer un sort plus ingrat que le nôtre dans ce pays.En moins de trois ans, nous avons vécu – ou survécu – à une crise socio-économique qui a fait basculer plus de 80 % des Libanais sous le seuil de...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut