Candidat à la magistrature suprême sans l’être… mais tout en l’étant grâce au soutien indéfectible du tandem chiite, Sleiman Frangié semble déjà, à trois jours de la séance électorale du Parlement, préparer sa sortie… faute de soutien large, notamment dans les rangs des partis chrétiens, unanimement rangés derrière Jihad Azour, ancien ministre des Finances et actuel haut responsable au sein du Fonds monétaire international. « Je n’ai aucun problème si un candidat fait l’objet d’une entente élargie », a déclaré le chef des Marada dimanche, comme pour préparer les esprits à une éventuelle décision qui le contraindrait à abandonner la course pour Baabda.
Mais on n’en est pas encore là. À la veille de la douzième séance parlementaire consacrée à l’élection d’un nouveau président de la République, mercredi, Sleiman Frangié joue la carte chrétienne à fond et s’efforce de se présenter comme un leader chrétien en bonne et due forme, en dépit des maigres résultats qu’il a enregistrés lors des législatives de mai 2022. Telle est la principale conclusion à tirer de son discours prononcé dimanche à l’issue d’une messe commémorant le massacre d’Ehden (13 juin 1978). Un commando Kataëb avait alors assassiné son père Tony Frangié, sa mère Véra et sa petite sœur Jihane. C’est d’ailleurs sous le prisme de ce drame que le leader zghortiote a lancé ses piques en direction de tous ses adversaires, à commencer par les Forces libanaises, avec qui il s’était pourtant réconcilié en 2018. « Quand les miliciens sont venus (le 13 juin 1978), nous étions endormis. Mais aujourd’hui, nous sommes bien éveillés et ce qui s’est passé le 13 juin n’aura pas lieu le 14 », a tonné M. Frangié, dans une référence à la réunion du Parlement prévue mercredi. Cette séance devrait en effet témoigner du premier duel entre M. Frangié et son adversaire, Jihad Azour, appuyé par les principaux partis chrétiens et des protagonistes de l’opposition, dont le Parti socialiste progressiste du leader druze Walid Joumblatt, et plusieurs députés indépendants et issus de la contestation.
Réagissant à cette entente, le leader des Marada a mis l’accent sur son appartenance chrétienne, alors que ses détracteurs l’accusent de se lancer dans la course pour le plus haut poste réservé à cette communauté dans la hiérarchie officielle, sans toutefois bien représenter le pouls de la communauté. « Personne ne peut faire de surenchère par rapport à notre identité chrétienne, nationale et arabe », a tonné M. Frangié, avant de poursuivre : « Je suis maronite, chrétien, libanais et arabe. Et c’est là que réside leur problème. » Et de rappeler qu’il est l’héritier d’une famille présente sur la scène politique depuis plus d’un siècle.
Jihad Azour dans le viseur
Sur un autre registre, Sleiman Frangié a naturellement réitéré son appartenance au projet politique du camp de la moumana’, piloté par le Hezbollah, dont il est l’allié le plus constant. Sur ce plan, le chef des Marada a tenté de mettre à nu ce qu’il estime être une contradiction entre la volonté de ses détracteurs de faire face au parti de Dieu et le rapprochement ponctuel concocté notamment avec le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, allié traditionnel du parti de Dieu, tant en 2016 qu’en 2023. « Samir Geagea est contre le candidat de la moumana’, mais je voudrais rappeler que la moumana’ a soutenu Michel Aoun (à la présidence) en 2016 et que le quorum a été torpillé lors des séances parlementaires plus de vingt fois, jusqu’à ce que les FL (de M. Geagea) soutiennent le candidat du Hezbollah. » « Leur problème n’est donc pas avec le Hezbollah, mais avec tout candidat qui rassure et est ouvert », a estimé le chef des Marada, avant d’ajouter : « Il est temps de rassurer les chrétiens et de leur dire que notre partenaire dans la nation n’a pas l’intention de les supprimer. » Une allusion évidente au Hezbollah perçu comme celui qui veut défier la volonté des chrétiens dans le cadre d’une échéance qui les concerne d’abord.
S’il ne s’est pas explicitement lancé dans la course pour le palais de Baabda, Sleiman Frangié veut désormais donner l’impression d’officialiser sa candidature. Il s’en est donc naturellement pris à son adversaire, Jihad Azour, qui n’est toujours pas sorti, lui, de son silence, plus d’une semaine après l’entente entre l’opposition et le CPL autour de son nom. « Quand ils ont dit qu’ils allaient nommer un candidat hors du système politique au pouvoir, nous pensions qu’ils allaient opter pour le délicat Ziyad Baroud », a tonné M. Frangié sur un ton badin, faisant référence à l’ancien ministre de l’Intérieur dont le nom a déjà été évoqué à plusieurs reprises dans les rangs des opposants. Il gagnera d’ailleurs le vote d’Élias Jaradé, député de la contestation, lors de la séance de mercredi.
Sleiman Frangié s’est dans ce cadre adressé à son ancien allié, le CPL, en ces termes : « Vous voulez un candidat hors du système politique traditionnel mais votre candidat est issu du système et il a été le ministre des Finances du “quitus” impossible », a-t-il dit, dans une référence à l’ouvrage publié en 2013 par Ibrahim Kanaan, député du CPL, dans lequel il accuse Fouad Siniora, ex-Premier ministre, d’avoir manipulé les comptes et détourné des fonds publics, à hauteur de 11 milliards de dollars. Entre 2005 et 2008, Jihad Azour a été ministre des Finances dans le gouvernement de M. Siniora.
Sauf que le courant aouniste a déjà fait son choix : tous ses députés voteront pour l’ex-ministre des Finances, peut-on lire dans un communiqué publié dimanche par le bureau politique du parti, quelques heures après un tweet de Gebran Bassil rendant hommage aux victimes du massacre d’Ehden et saluant Sleiman Frangié (sans le nommer) pour avoir « pardonné » aux auteurs du crime. La séance du 14 juin promet donc d’être chaude. Ce qui fait dire à M. Frangié « qu’il sera difficile d’élire un président dans ces circonstances ». Conscient donc que la solution passe par une troisième voie, il s’est dit ouvert à tout « dialogue exhaustif, ou à un dialogue bipartisan qui mène à un dialogue avec toutes les parties ». « Mettons tous les noms sur une seule table de dialogue et sans conditions préalables de la part des différentes parties », a-t-il dit, avant d’affirmer qu’il n’a aucun problème (à se retirer) si un candidat parvient à rassembler autour de lui « une majorité » de députés. Mais comme pour confirmer que l’heure de ce retrait n’a pas encore sonné, le chef des Marada a tracé les grandes lignes de son programme électoral : « Je m’engage à mener les réformes, respecter l’accord de Taëf et appliquer la décentralisation administrative. » « Si je deviens président, je serai le président de tout le Liban, de ceux qui sont avec moi comme contre moi », a conclu le chef des Marada.
Monsieur Frangié, vos propos me font honte d’être libanais, d’être maronite et d’être du Liban Nord. 95% des chrétiens ne veulent pas vous, 95% des chiites vous utilisent pour leur projet d’hégémonie sur le pays et les sunnites sont très partagés mais aucun n’est pour vous. Briguer un poste de président, c’est aussi avoir une certaine popularité légitime et non pas être imposé par la force des armes iraniennes.
18 h 10, le 12 juin 2023