Discrètement, et surtout sans tapage médiatique, le Liban officiel a quasiment rejeté la proposition française que le ministre Stéphane Séjourné avait présentée comme une « feuille de route » pour empêcher toute escalade ou embrasement sur le front du Sud. Les responsables libanais ont toutefois pris la peine de répondre en 14 points au document écrit en anglais (avec toutefois une traduction fidèle en français) qui leur a été remis par l’ambassadeur de France Hervé Magro, après le départ du ministre français des AE. Mais dans les coulisses politiques libanaises, le ton avait été donné : la proposition française est globalement inacceptable et le Liban attend le retour de l’émissaire américain Amos Hochstein, dès qu’une trêve sera annoncée à Gaza. Des milieux proches à la fois du Sérail et de Aïn el-Tiné laissent même entendre que les dernières propositions lancées par Hochstein seraient plus acceptables et, dès qu’il y aura une trêve à Gaza, il serait prêt à revenir à Beyrouth pour en discuter. Les mêmes milieux ajoutent que les discussions devraient à ce moment-là être plus faciles et rapides.
Il est impossible de vérifier cela pour l’instant, puisque l’émissaire américain ne semble pas avoir présenté aux officiels libanais un document écrit. Mais ce qui apparaît, c’est que les Libanais considèrent d’emblée que le rôle principal dans les négociations au sujet du front du Sud doit être dévolu à l’administration américaine et à M. Hochstein en particulier, qui a déjà à son actif le succès des négociations sur la frontière maritime en 2022, alors que la principale réalisation de la France dans ce contexte remonte aux « arrangements d’avril » en 1996.
Selon les responsables libanais, Hochstein a reconnu le fait que sans trêve à Gaza il est impossible de s’entendre sur des arrangements sur le front du Sud, même s’il n’y a pas d’inconvénient à préparer le terrain pour une entente dès que le moment propice sera arrivé. C’est pourquoi en dépit du fait que sa visite à Beyrouth a été annoncée à plusieurs reprises ces dernières semaines, Hochstein, qui a passé plusieurs jours en Israël, n’est pas venu au Liban et ceux qui sont en contact avec lui affirment qu’il ne viendra pas avant la conclusion d’une trêve à Gaza. De plus, selon un des interlocuteurs libanais de Hochstein, ce dernier aurait formulé des remarques au sujet du document français. Ce qui laisse entendre une fois de plus qu’en dépit de l’harmonie affichée, les Français et les Américains ne seraient pas d’accord sur l’approche à adopter à l’égard du dossier libanais. Selon des sources proches de Aïn el-Tiné, la position américaine serait plus souple que celle de la France, qui, toujours selon les mêmes sources, serait plus influencée par la thèse israélienne que par la thèse libanaise.
Parmi les exemples cités à cet égard par les sources précitées, il y a la demande française écrite du retrait des combattants de l’unité al-Radouan du sud du Liban sur une profondeur de 10 kilomètres et même du démantèlement de toutes les installations attribuées au Hezbollah dans cette zone, comme les tentes, les conteneurs, les petits radars et autres systèmes de surveillance, alors qu’évidemment, rien de tel n’est prévu du côté israélien. D’ailleurs, dans sa réponse, le Liban a mentionné ce point. De son côté, le Hezbollah, à travers ses sources, s’est demandé pourquoi l’unité al-Radouan est spécifiquement mentionnée et comment peut-on affirmer qu’un tel en est membre alors, qu’en général, ceux qui en font partie n’affichent pas cette appartenance et ils sont généralement originaires de la région.
Un autre point qui a provoqué la méfiance des Libanais, c’est l’augmentation des prérogatives de la Finul au point de lui permettre d’agir en toute liberté, sans même en référer à l’armée libanaise. Sans aller jusqu’à dire, comme le font certains, que le document français est une façon déguisée de placer l’application de la résolution 1701 sous le chapitre 7 (qui autorise l’usage de la force internationale pour imposer cette application), les responsables libanais ont fait remarquer que la 1701 est très clair au sujet de la nécessaire coordination entre l’armée libanaise et la Finul, d’autant que le rôle de cette dernière est d’« épauler » la première. Il est vrai qu’au cours des dernières années, à chaque renouvellement du mandat de la force en août, il y a eu des tentatives d’élargir sa mission et de la rendre moins dépendante de l’armée libanaise, mais le Liban a toujours rejeté ces propositions.
Toujours au sujet de l’armée libanaise, le document français prévoit l’augmentation de ses effectifs au sud du Liban. Ce sujet était déjà évoqué dans la 1701, mais le Liban officiel a eu du mal à l’exécuter en raison de la forte demande dont fait l’objet l’armée qui est appelée à remplir des missions sur l’ensemble du territoire libanais et même le long de la frontière avec la Syrie. Il faut certes augmenter les effectifs, mais cela prend du temps et il faut aussi assurer leurs besoins. Le document français évoque ainsi la possibilité pour la Finul d’assurer les besoins de l’armée au Sud en logistique, en nourriture et en médicaments. Ce qui, aux yeux des Libanais, place l’armée dans une situation de dépendance à l’égard de la force internationale.
Ces points peuvent être considérés comme des détails qui pourraient être réglés dans le cadre de discussions entre les Français et les Libanais. Mais, d’une part, le document n’a été remis aux autorités libanaises qu’après le départ du ministre des AE et, d’autre part, ce dernier s’est rendu en Israël pour en discuter et des échos sont parvenus au Liban sur l’existence de réserves israéliennes. Malgré cela, le Liban a envoyé sa réponse écrite par égard pour les Français. Mais la tendance générale reste donc d’attendre les développements à Gaza, ainsi que le résultat des négociations menées sous la houlette des Américains, avec les médiateurs égyptien et qatari.
Par Beyrouth vous voulez dire le duo Chiite ? Point a la ligne.
07 h 07, le 12 mai 2024