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Nos Lecteurs ont la Parole

Entre le Liban et la Syrie...

Entre le Portugal et la France, se trouve l’Espagne. Entre Oklahoma et Illinois, se trouve Missouri. Entre le Brésil et le Panama, se trouve la Colombie. Entre la Croatie et la Slovaquie, se trouve la Hongrie. Entre l’Iran et l’Ouzbékistan, se trouve le Turkménistan. Entre l’Égypte et l’Algérie, se trouve la Libye. Entre le Liban et la Syrie, se trouve un « n’y va jamais de la vie ».

Je suis de retour à Beyrouth, c’est un dimanche, il est 17h, l’avion vient d’atterrir venant de l’aéroport de Larnaka, je n’ai qu’un sac à dos, je passe le contrôle rapidement, je prends ma mère dans mes bras, puis mon père, je les serre fort, je monte dans la voiture et je commence à observer Beyrouth.

Nous discutons de tout, de l’avancée de mon projet de fin d’études, de mes plans pour l’année prochaine, de mon voyage à Malte, de mon week-end en bivouac au désert des Bardenas... Mon père s’arrête pour m’acheter un chawarma, l’odeur de la sauce à l’ail lézarde mon nez jusqu’au fond de mes narines, je mets la ceinture alors que je suis assis à l’arrière, quelques secondes de silence envahissent la voiture. Tout est bien jusqu’à ce que ma mère me tende mon livret personnel :

« – Tiens habibi, mais pourquoi t’en as besoin ?

- Je pars en Syrie la semaine prochaine. »

Je n’oublierai jamais le regard troublant de mon père à travers le rétroviseur et la voix tremblante de ma mère :

« – Qu’est-ce que t’as à faire en Syrie toi ?

- Rien, je pars découvrir ce pays. Ce pays qu’on ne m’a jamais décrit ! »

Entre Beyrouth et Jezzine, les journées passèrent très vite. Ma mère pensa qu’avec le temps, je lâcherai l’idée de partir en Syrie. J’ai revu ma famille et mes ami(es), j’en ai rencontré d’autres, j’ai bu beaucoup de cafés à Badaro, j’ai acheté des boîtes de cigarettes à même pas un euro, j’ai passé mes derniers moments avec ma grand-mère, j’ai chanté à Byblos devant le coucher de soleil, j’ai fait la fête comme un fou, ya tabtab w ya dalaa, hommos, falafel, taboulé. Puis arriva le lundi. Le lundi, je pris mon sac à dos, un bus jusqu’à l’ambassade du Koweït au Liban, un autre jusqu’à Chtaura, puis me voilà à Damas.

J’ai traversé cette fameuse frontière pour la première fois de ma vie. J’ai stressé en traversant les points de contrôle syriens, j’ai vu les montagnes qui bordent la vallée de la Békaa, mais de l’autre côté cette fois-ci. J’ai vu Bab Touma, Bab Charqi et Souk al-Hammidiyya. J’ai mangé une cuisine identique à celle de mon pays. J’ai compris que la série Bab al-Hara ne représente pas la culture syrienne. J’ai parlé aux gens, nous avons évoqué la guerre, j’ai pleuré, mes larmes ont coulé dans tous les sens alors que j’avais une bière syrienne à la main puis je suis parti rejoindre la fille de l’application « couchsurfing » qui m’hébergeait.

Qamar ! Et juste avant de prononcer la première lettre de son prénom, le sourire vient prendre la place sur mes lèvres. Qamar qui adore le Liban, Qamar qui connaît Beyrouth, Qamar qui vit de voyage, Qamar qui parle de féminisme, d’homosexualité et de paix au beau milieu de Damas, dans une Syrie anarchique et chaotique. Qamar qui a tout perdu, mais qui continue à sourire. Qamar d’Alep, et qui dit Alep dit la guerre et l’envie de partir ailleurs. Serait-elle un simple sourire face à la haine de l’être humain ? Qamar qui vit seule, Qamar qui a dit au revoir à ses frères avant qu’ils ne partent à pied demander l’asile à Bruxelles, Qamar qui attend le retour de sa meilleure amie, kidnappée par al-Nosra en 2013. Qamar qui a tout perdu, mais qui veut tout offrir.

Depuis que j’ai quitté le Liban, je ne fais que voyager. Je suis en pleine phase de construction de ma propre identité, le chemin est encore long et le chantier est loin d’être fini. Je suis, malheureusement, tombé dans le piège de la société de consommation actuelle. Oui, j’ai mangé un croissant sous la tour Eiffel à Paris. Oui, j’ai fait la fête à Berlin. Oui, j’ai fumé un joint à Amsterdam. Oui, j’ai vu la cathédrale de Milan. Oui, j’ai pris le tramway à Lisbonne... Aujourd’hui, je suis fier d’avoir rencontré des Syriens qui n’ont jamais renoncé à la vie, de m’être baladé dans une ville comme Damas et d’avoir rencontré Qamar. En espérant, un jour, que le regard de ma société envers les Syriens renverse les clichés racistes et les stéréotypes absurdes.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Entre le Portugal et la France, se trouve l’Espagne. Entre Oklahoma et Illinois, se trouve Missouri. Entre le Brésil et le Panama, se trouve la Colombie. Entre la Croatie et la Slovaquie, se trouve la Hongrie. Entre l’Iran et l’Ouzbékistan, se trouve le Turkménistan. Entre l’Égypte et l’Algérie, se trouve la Libye. Entre le Liban et la Syrie, se trouve un « n’y va jamais de...

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