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Lifestyle - Histoires de thérapies

L’adolescence (1/3) : Alain ou la puberté soudaine

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, les larmes, les fous rires et les silences. Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, avec des interlocuteurs qui resteront anonymes, sur un chemin emprunté à deux pour arriver à y voir clair.

L’adolescence (1/3) : Alain ou la puberté soudaine

Illustration Noémie Honein

Alain* vit avec sa tante depuis que ses parents sont tous les deux morts dans un accident de voiture. Il avait alors 3 ans et ne savait pas ce qu’était l’angoisse. Sa tante a tout fait pour lui assurer une vie tranquille, cherchant à lui éviter la souffrance d’un deuil qu’il faisait sans le faire. 10 ans après, elle m’appelle affolée et me demande un rendez-vous pour Alain. Elle ne sait plus quoi faire. Elle me raconte les circonstances terribles de l’accident des parents : Alain a appris la mort de ses parents à la télévision. Un couple de médecins célèbres qui s’était engagé en Afrique, au Malawi plus précisément. Elle n’a pas voulu le lui dire, croyant qu’elle lui évitait ainsi une douleur insupportable, préférant raconter que ses parents s’étaient perdus dans la forêt africaine et que la police était à leur recherche.

Étonné, l’enfant n’avait pas manifesté d’émotion particulière. Il s’était mis à pleurer et s’était jeté dans les bras de sa tante. Et depuis, rien. Il ne parlait pas de ses parents et ne demandait rien à sa tante les concernant. Alain vivait avec cette dernière, célibataire, depuis l’âge de 3 ans, donc. À 13 ans, une nuit, il fait un cauchemar : il était perdu dans une forêt et n’arrivait pas à en sortir. Tous les animaux l’attaquaient et cherchaient à le tuer. Deux éléphants s’approchent de lui. Avec sa trompe, l’un d’eux le prend et l’installe sur son dos. Les éléphants le protègent et l’amènent à la lisière de la forêt. Un car de flics l’attendait. Angoissé, il réveille sa tante et lui raconte le rêve. Le lendemain, elle m’appelle pour lui prendre un rendez-vous.

Lors de notre première rencontre, Alain se met à parler simplement, sans trop se demander qui j’étais, ni ce qu’il pouvait bien faire chez moi. La veille de ce cauchemar, il avait eu une érection nocturne et s’était réveillé après avoir éjaculé dans son pyjama. « C’était très agréable », mais il a eu très peur et n’a pas osé en parler à sa tante. Lorsque je lui demande pourquoi, il répond : « J’ai craint qu’elle me chasse de chez elle. » En effet, sa tante s’occupe de l’enfant qu’il a été, mais pas de l’adulte qu’il devient. Espiègle, il trouve l’idée bizarre, surtout qu’elle lui a montré un amour sans faille. Il se demande ce qu’il aurait fait sans elle, surtout après la mort de ses parents. À l’évocation de cet incident dramatique, Alain se crispe, se tait, comme si le silence lui a soudain été imposé par quelque chose de plus fort que lui. Un peu comme quand les enfants se taisent brusquement, sous l’effet du regard incisif de la part des parents. Pensif, il ajoute : « La mort de mes parents a tout gâché. »

Cette phrase le surprend. Parce que depuis la mort de ses parents et la coexistence avec sa tante, Alain s’est senti plutôt privilégié, sa tante n’ayant personne d’autre de qui s’occuper. Mais pour cela, il fallait qu’il reste enfant. Or depuis quelques semaines, il réalise qu’il change. Sa voix a mué, il a une pilosité sur le visage, il a plus de muscles et il grandit en taille. En somme, il devient adulte, un jeune homme adulte. Il n’est plus le petit garçon qu’il a été. Et sa tante, qu’allait-elle devenir ? Alain réalise qu’en grandissant, il risque de la perdre. Mais aussi de perdre le petit garçon qu’il a été. Devenir homme pour Alain s’accompagnait d’une sorte de double perte, là où les enfants en général sont confrontés plutôt à une seule perte, celle de leur enfance.

La suite de nos entretiens a permis à Alain de prendre conscience qu’en fait, il n’avait pas fait le deuil de ses parents. Qu’il ne les avait pas suffisamment pleurés. L’amour de sa tante, tout en lui évitant une très grande souffrance, a failli, innocemment, l’enfermer dans l’enfance.

*Le prénom a été modifié par souci de confidentialité.

Alain* vit avec sa tante depuis que ses parents sont tous les deux morts dans un accident de voiture. Il avait alors 3 ans et ne savait pas ce qu’était l’angoisse. Sa tante a tout fait pour lui assurer une vie tranquille, cherchant à lui éviter la souffrance d’un deuil qu’il faisait sans le faire. 10 ans après, elle m’appelle affolée et me demande un rendez-vous pour Alain. Elle ne...

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