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Nos Lecteurs ont la Parole

Il faut imaginer Sisyphe heureux

Le mythe de Sisyphe n’est pas anodin. Albert Camus le décèle dans son livre afin d’en tirer une leçon de vie, afin de mettre en exergue le déroulement de la réalité de toute vie humaine.

Ayant porté offense aux dieux, Sisyphe fut condamné à rouler à tout bout de champ un rocher jusqu’au sommet d’une montagne, qui dévalait la pente à la suite de chaque montée : une tâche éternellement ardue.

Ce prototype du héros tragique n’incarne-t-il pas la réalité de notre vie humaine ? Sisyphe est-il si loin de nous ?

Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, on se réveille, on travaille, on mange, on dort, et ainsi de suite. On est si habitué à ce rythme qu’on croit rocambolesque qu’on ne prend plus conscience de cette roue éternelle dans laquelle nous tournons.

La vérité ? Au fin fond d’un tel fatum, l’homme peut trouver un sens à sa vie. Cela se fait par sa conscience. Lorsque Sisyphe retourne vers le bas, dans cet instant, cette pause est « l’heure de la conscience ». Dès qu’un homme est conscient, il devient un héros tragique : « Sisyphe, prolétaire des dieux, impuissant et révolté, connaît toute l’étendue de sa misérable condition »... Car où serait sa tragédie si à travers chaque pas l’espoir était comme une épaule pour lui ? La prise de conscience ne doit pas aboutir au suicide, mais à la révolte. Car la conscience et non le déni est à elle seule une victoire.

Donc l’homme peut se libérer et cesser d’être un esclave dès lors qu’il est conscient. Il peut dépasser la condition humaine telle qu’elle est et devenir heureux et libre. Il peut vivre dans un monde en se créant un sens unique : « Je tire ainsi de l’absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion. »

Les dieux, eux qui pensaient qu’il n’y a pas de pire châtiment que de condamner un homme à un tel travail inutile, ont cru que cet espoir sans cesse renouvelé de pouvoir finalement arrêter le rocher ne peut que torturer Sisyphe encore plus.

On pourra constater, à tort, que Sisyphe préfère la mort plutôt que ce châtiment sans espoir, plutôt que cette osmose entre lui et son rocher. Mais ce n’est pas le cas.

Sisyphe est un héros lutteur car il choisit de vivre en faisant de son rocher sa chose. Il est heureux dans sa tâche. Il défie les dieux à nouveau et s’attache à sa vie, il lutte. Il ne cesse de rouler : « Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. » Et c’est là que se cache le sens de son existence.

Car finalement, selon la fameuse expression camusienne : « La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureIux. »

Faut-il vraiment imaginer heureux un homme qui est condamné à un travail infécond ad vitam comme celui de Sisyphe ?

Oui, je pense qu’il faut imaginer Sisyphe bienheureux. Car si la vie est vraiment un éternel recommencement de tout, un tourment perpétuel, un « loop » des mêmes gestes, on peut conquérir le bonheur face à ce sort qui nous est infligé, tout en étant conscient de ce sort.

Car en fin de compte, on a tous un rocher de Sisyphe à rouler. Cela dit, on doit tous être comme lui. Survivre dans un monde qui nous impose la misère. Placer des étoiles dans ce ciel obscur qu’est la vie. Peindre son petit monde. Savoir se débrouiller. Aimer chaque graine de notre pierre de Sisyphe. Se rebeller contre un monde où règne la misère, en étant heureux. Avancer malgré la souffrance qu’on endure. Devenir maître de son fatum. Passion et amour d’être en vie.

Veni, vidi, amavi.

Haya AL-ZEIN

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Le mythe de Sisyphe n’est pas anodin. Albert Camus le décèle dans son livre afin d’en tirer une leçon de vie, afin de mettre en exergue le déroulement de la réalité de toute vie humaine. Ayant porté offense aux dieux, Sisyphe fut condamné à rouler à tout bout de champ un rocher jusqu’au sommet d’une montagne, qui dévalait la pente à la suite de chaque montée : une tâche...
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