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Nos Lecteurs ont la Parole

L’élection présidentielle et le quorum

Je réagis à la tribune du 16 février 2023 « Le quorum requis pour l’élection du président de la République » (parue dans la rubrique Courrier et signée par Anthony Issa el-Khoury, NDLR).

Chaque échéance politique nous apporte son lot d’hérésies constitutionnelles. En voici un florilège :

(i) Lors de la formation du gouvernement par le Premier ministre désigné, le président de la République s’octroie un droit de veto sur la mouture proposée sous prétexte qu’il lui appartient de promulguer le décret de formation en application des articles 53.4 et 64.2 de la Constitution. Or, ce veto est abusif, car en droit constitutionnel, sauf disposition contraire contenue dans les articles en question, la promulgation est une « compétence liée » et non pas discrétionnaire, c’est-à-dire que le détenteur de ce pouvoir est obligé de l’appliquer.

(ii) Lors du second vote à l’Assemblée de la loi sur le vote des étrangers, selon le mécanisme de l’article 57 de la Constitution, les opposants à la loi ont fait feu de tout bois pour défendre que les huit députés démissionnaires et les trois députés décédés participaient encore à composer légalement l’Assemblée et donc affecter le calcul de la majorité absolue requise. Tout en gardant le respect pour les défunts, cela a fait bien sourire dans les chancelleries.

(iii) En période de vacance de la présidence de la République, l’article 62 stipule que les pouvoirs du président de la République sont exercés par le Conseil des ministres dont les décisions sont prises en dernier ressort par vote interne, conformément à l’article 65. Les opposants demandent à ce que les décisions soient prises à l’unanimité des ministres, ce qui vide de sens l’article 62.

(iv) Lors des tentatives successives infructueuses d’élire le président de la République, le premier tour de scrutin est recommencé indéfiniment comme si la Chambre des députés ne s’était pas déjà réunie à cet effet. Le but serait de contourner l’article 75 et de permettre ainsi à la Chambre de continuer à légiférer pour les questions urgentes dans la situation de crise absolue que traverse le pays. Le but est louable, mais la ficelle constitutionnelle est grossière. Quel pays autre que le Liban fait onze premiers tours de scrutin ? Puisqu’il est notoire que les élections présidentielles au Liban sont un chemin de croix, il aurait fallu depuis longtemps amender cet article 75.

(v) Lors de ces mêmes tentatives infructueuses, on nous invente un quorum du collège électoral requis à partir du second tour fixé aux deux tiers de l’Assemblée entière, soit un collège électoral minimum de 86 députés, alors que la Constitution n’énonce rien de tel.

La tribune précitée soutient cette thèse du quorum des deux tiers à tous les tours de scrutin en présentant deux arguments.

1 – L’article 34 fixant le quorum des réunions de la Chambre des députés serait inopérant une fois la Chambre constituée en collège électoral pour élire le président de la République, car délibérer sur une loi est une chose et élire un président de la République en est une autre.

On peut être réceptif à l’argument. Mais c’est manier le ciseau constitutionnel un peu vite, d’autant que la Constitution n’a pas prévu de quorum électoral de remplacement. L’article 34 énonce que la Chambre des députés est valablement constituée dès lors que la moitié de ses membres est présente, soit 64 députés. L’article 74 énonce que c’est cette même Chambre qui se réunit « immédiatement et de plein droit » pour élire un nouveau président de la République. La lecture des deux articles dans la continuité peut induire que si la chambre législative était de plein droit avec 64 députés présents, elle le reste quand elle devient collège électoral, en l’absence de disposition contraire.

Par contre il est exact que le collège électoral doit s’adapter pour franchir efficacement les seuils requis par l’article 49. Le texte arabe de l’article 49 est ambigu. S’agit-il des seuils exprimés en pourcentage de l’Assemblée entière (128 députés) ou bien exprimés en pourcentage de l’Assemblée réunie ? En Allemagne, en Grèce, en Italie où le président de la République est aussi élu par les représentants, le seuil du premier tour est calculé en pourcentage de l’Assemblée entière. Il n’est donc pas choquant que dans l’ambiguïté, le Liban ait choisi dans la pratique constitutionnelle de faire de même.

Dans ce cadre, les seuils de 86 députés au premier tour et 65 députés aux tours suivants constituent des quorums de facto pour un vote conclusif.

La première règle d’interprétation des textes de loi est la recherche d’efficacité du texte sans le modifier, et c’est tout à fait possible dans ce cas.

J’ajoute que l’interprétation de la Constitution selon laquelle le quorum du collège électoral à partir du 2e tour serait de 86 députés conduit à un dysfonctionnement. Exemple : imaginons que 84 députés soient prêts à voter au second tour pour leur candidat. D’après l’article 49, ce candidat devrait être élu sans discussion puisqu’il dépasserait et largement le seuil des 65 votes requis. Mais avec l’interprétation de la tribune précitée, les 44 députés contradicteurs pourraient organiser un défaut de quorum et empêcher l’élection du candidat réunissant 84 votes potentiels. Un grave dysfonctionnement constitutionnel.

2 – L’importance de l’institution de la présidence de la République justifierait un quorum élevé du collège électoral à tous les tours de scrutin.

L’institution de la présidence de la République n’est pas moins importante en Allemagne ou en Grèce. En Allemagne, le président élu doit réunir les suffrages de la majorité absolue du corps électoral aux deux premiers tours et la majorité simple des suffrages au troisième et dernier tour. En Grèce, il est requis les suffrages des deux tiers du corps électoral au premier tour puis des seuils dégressifs jusqu’à atteindre la majorité simple des suffrages au cinquième et dernier tour. Dans notre Constitution, le président élu doit réunir les suffrages de la majorité absolue du corps électoral au deuxième tour et suivants, c’est-à-dire un seuil supérieur à ces deux exemples. Il n’y a pas lieu donc de faire de la surenchère avec un quorum excessif à partir du deuxième tour. Ce quorum excessif, outre qu’il n’est pas constitutionnel, a en fait un effet pervers tout à fait contraire aux souhaits de la tribune du 16 février en ce sens qu’il oblige à un marchandage politique pour satisfaire toutes les composantes politiques dont l’élection présidentielle se rend excessivement dépendante. Ce n’est pas un facteur de progrès. D’ailleurs l’institution de la présidence de la République au Liban n’a su ni veiller au respect de la Constitution (voir paragraphes ci-dessus), ni sauvegarder l’économie et la monnaie, ni enrayer la corruption, en dépit ou plutôt en partie à cause des consensus de façade.

En conclusion, l’article 49 définissant le seuil des suffrages nécessaires à l’élection du président de la République se suffit à lui-même en fixant les quorums de facto requis pour les scrutins successifs de l’élection. Il est inutile et inconstitutionnel d’instaurer un nouveau quorum du collège électoral.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, «L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Je réagis à la tribune du 16 février 2023 « Le quorum requis pour l’élection du président de la République » (parue dans la rubrique Courrier et signée par Anthony Issa el-Khoury, NDLR).Chaque échéance politique nous apporte son lot d’hérésies constitutionnelles. En voici un florilège :(i) Lors de la formation du gouvernement par le Premier ministre désigné, le...
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Il y a encore une institution?

Eleni Caridopoulou

21 h 32, le 01 mars 2023

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Commentaires (1)

  • Il y a encore une institution?

    Eleni Caridopoulou

    21 h 32, le 01 mars 2023

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