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Lifestyle - Histoires de thérapies

Quand le corps parle à la place du patient

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, les larmes, les fous rires et les silences. Un passage obligé qui rassemble les confidences, comme les pièces d’un puzzle qui constituent une vie. Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, avec des interlocuteurs qui resteront anonymes, sur un chemin emprunté à deux pour arriver à y voir clair.

Quand le corps parle à la place du patient

Ilustration Noémie Honein

Samira*, trente ans, est venue me voir pour des douleurs diffuses que rien n’a pu arrêter ni même diminuer. Comme ses douleurs n’avaient pas de zone spécifique au niveau corporel, elle a consulté un grand nombre de médecins et de spécialistes, sans aucun résultat. De guerre lasse et dans un état de désespoir grandissant, elle a fini par prendre rendez-vous avec moi. « Mais dit-elle, je viens sans aucune attente, parce qu’une amie que j’estime beaucoup me l’a demandé. » Dans ce genre de situations, la prudence est de mise et laisser parler le patient sans trop l’interroger permet de rompre avec le circuit médical. Il n’est pas question ici de poser un diagnostic ni d’établir un traitement quelconque. Mais de laisser le patient parler. Au bout de quelques entretiens, intriguée, elle me dit : « Mais je parle, je parle et vous ne dites rien… Avez-vous une idée de ce qui m’arrive » ? « Il est temps de commencer à parler et de ne plus laisser votre corps parler à votre place. » Ma remarque a fait sur elle l’effet d’une sidération. Un long silence a suivi. Samira reprend la parole pour me dire : « Je n’ai jamais pensé que mon corps pouvait parler à ma place… Et pourtant, cela a toujours été comme ça. »

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Une douleur innommable

Dernier enfant d’une fratrie de cinq, il a fallu qu’elle se batte pour se faire entendre. Les quatre autres passaient toujours avant elle. Elle avait beau hausser le ton, crier, bouder, sa mère était insensible. Elle a fini par tomber malade pour être entendue, la douleur se baladait sur son corps. Tantôt elle avait mal à la tête, tantôt à l’estomac, tantôt aux jambes etc. Mais là, à trente ans, de quoi souffrait-elle ? Mariée, mère de trois enfants, elle a dû arrêter l’université pour s’occuper d’eux. Ils sont nés l’un après l’autre et son mari n’a pas voulu prendre de précautions et attendre deux ou trois ans entre la naissance de l’un et de l’autre. Elle avait commencé des études de droit qu’elle a dû interrompre à sa première grossesse. Et par la suite, la deuxième et la troisième grossesse ont scellé son avenir d’étudiante. « Ne vous méprenez pas, j’adore mes enfants et je ferais tout pour eux, mais ils m’ont empêchée de poursuivre mes études. Et mon mari ne comprend pas cela. » « Parlez-moi de votre mari. » « Il est adorable, mais il ne me comprend pas. » « En quoi il ne vous comprend pas ? » « Pour lui, je n’ai pas le droit de me plaindre, on a tout ce qu’il faut. Il me veut à la maison, à la cuisine plus précisément. Il trouve que c’est là la place de l’épouse et de la mère, ni à l’université ni dans le monde du travail. »

« Et il vous oublie comme femme. » « Je ne veux pas en parler mais nos relations sexuelles se sont arrêtées après la naissance de notre premier enfant ; et lorsqu’il y en a, il jouit très vite, tourne son dos et s’endort. » « Vous en parlez avec lui ? » « Il refuse d’en parler, prétextant qu’il a honte de le faire. » « Pourtant entre deux époux, ce n’est pas tabou. » « Pour lui si. »

Elle décrit alors la souffrance de son corps et se plaint de ne pas être touchée, caressée. « Nos relations sexuelles sont devenues pour lui une affaire de besoin. Sans aucune caresse préalable, il me pénètre, éjacule, tourne son dos et s’endort. Croyez-moi docteur, j’en ai mal, et en plus je ne peux pas me plaindre. »

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Au nom de l’amour

Le cas de cette patiente est très fréquent, surtout dans une société comme la nôtre. La femme est déniée dans son désir, comme si ce désir n’existait pas. Elle est là pour satisfaire le « besoin » sexuel de son partenaire et ne pas se plaindre. À travers son corps, elle laisse éclater cette plainte avec pour seul interlocuteur le médecin. C’est ce qu’on appelle, depuis plus de deux mille ans : l’hystérie. Au temps d’Hippocrate, soit environ 2400 avant le Christ, l’hystérie posait un sacré problème à la médecine. Comme aucune lésion corporelle ne pouvait expliquer ses douleurs, les Grecs ont construit un mythe, celui de « l’utérus baladeur ». En mal de sperme, chez l’hystérique, l’utérus se balade à travers le corps, à la recherche de ce même sperme, comprimant les différentes parties du corps et provoquant les douleurs dont l’hystérique se plaint. Quoique risible aujourd’hui, ce mythe contient une vérité, celle de l’insatisfaction sexuelle de l’hystérique qui continue jusqu’à aujourd’hui de poser une question à la médecine.

*Le prénom a été modifié par respect de l’anonymat

Samira*, trente ans, est venue me voir pour des douleurs diffuses que rien n’a pu arrêter ni même diminuer. Comme ses douleurs n’avaient pas de zone spécifique au niveau corporel, elle a consulté un grand nombre de médecins et de spécialistes, sans aucun résultat. De guerre lasse et dans un état de désespoir grandissant, elle a fini par prendre rendez-vous avec moi. « Mais...

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