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Lifestyle - Culte

Takkoush, Le Mikado et Exotica, trio des fleuristes emblématiques de Beyrouth

Un restaurant, un hôtel, un bar, une boutique, une plage... Un lundi par mois, nous vous emmenons, à la (re)découverte d’un endroit inscrit, d’une manière ou d’une autre, dans la mémoire collective libanaise. À travers l’histoire de ces lieux, cette rubrique vous raconte surtout pourquoi ils sont encore, aujourd’hui... cultes.

Pour ce dix-septième numéro, trois fleuristes mythiques de Beyrouth, Le Mikado, Takkoush et Exotica, fondés respectivement en 1924, 1967 et 1978.

Takkoush, Le Mikado et Exotica, trio des fleuristes emblématiques de Beyrouth

Des fleurs et des fleuristes qui colorent les rues tristes de Beyrouth. Photo MIchèle Aoun

Le Mikado

Antoine Skayem ne se souvient pas exactement de quand son père Georges et sa tante Laure ont inauguré Le Mikado, à 50 mètres de la boutique actuelle, rue Salim Bustros à Achrafieh. « C’était il y a près de cent ans si je ne me trompe pas, nous étions les premiers fleuristes de Beyrouth », confirme-t-il, pourtant. « Mon frère aîné Toufic était alors étudiant à La Sagesse, et en cours d’histoire, on avait demandé aux élèves de choisir chacun le nom d’un empereur. Mon frère avait choisi de se faire appeler Mikado, qui était l’ancien terme pour désigner un empereur au Japon. Mes parents avaient trouvé ce mot amusant, et mon père, qui avait une teinturerie avant ça, a choisi d’appeler sa boutique de fleurs de la sorte. » Dès le départ, Le Mikado n’était pas un simple fleuriste du fait que Georges Skayem cultivait, sur un terrain de plusieurs hectares à Antoura, l’intégralité des fleurs et plantes disposées dans sa toute petite échoppe de la rue Salim Bustros, qui débordaient et se déployaient sur le trottoir. Et surtout pour ce faire, il employait près de 200 agriculteurs et travailleurs de la terre. « Le terrain était si beau, les plantations si spectaculaires que le patriarche Meouchi allait souvent s’y balader », raconte Antoine Skayem qui est contraint d’arrêter sa scolarité pour prendre le relais de son père, tombé grièvement malade en 1962.

Le Mikado, rue Salim Bustros à Achrafieh. Photo Michèle Aoun

« J’ai repris l’affaire familiale alors que je ne savais rien, ni lire ni écrire. J’étais un enfant. À vingt ans, j’ai voulu développer l’entreprise en important de la marchandise. Comme je ne maîtrisais aucune langue étrangère, un ami, Maher Jabado, s’est proposé de faire le voyage avec moi pour jouer les interprètes.

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C’est comme cela que j’ai élargi ma gamme, avec des fleurs d’Europe et d’Arabie saoudite », poursuit-il. Avec les années d’avant-guerre puis celles des « événements », Le Mikado s’intègre très rapidement dans le paysage et le tissu social d’Achrafieh, devenant l’un des repères de sa vie quotidienne. Comme un morceau de village au cœur de la ville, le tout petit magasin, où se déploient on ne sait trop comment toutes les fleurs possibles dans toutes les nuances possibles, accompagne les gens d’Achrafieh dans leurs beaux et moins beaux jours. À tel point que jusqu’à ce jour, on dit plus souvent « la rue du Mikado » que la « rue Salim Bustros. »

L'établissement a vu le jour en 1924. Photo Michèle Aoun

« Notre humble établissement était devenu une sorte de pilier du quartier. Je me souviens du jour de la naissance de ma fille, pendant la guerre. On m’avait appelé de l’hôpital pour me dire que je leur devais 2 000 livres libanaises. Je n’avais pas les sous, les temps étaient très durs. Par chance, Gebran Tuéni passe devant la boutique, il me voit en détresse, je lui explique de quoi il s’agit et là, en deux temps trois mouvements, il m’achète tout le stock exposé, et me fait une grosse commande de plantes pour les bureaux d’an-Nahar qui venaient de s’installer un peu plus loin. Il m’avait donné 500 livres de plus en guise de cadeau. C’est comme ça que je m’en étais sorti », raconte Antoine Skayem. Si les crises et la concurrence ont porté un sacré coup à l’empereur des fleurs d’Achrafieh, si depuis 2005 Le Mikado a dû arrêter l’import de ses fleurs et que du coup son activité a décliné, l’établissement reste mythique, car il cultive entre ses roses, ses géraniums et ses œillets, le souvenir d’un Beyrouth fané.

Takkoush, une histoire de famille à Hamra. Photo Michèle Aoun

Takkoush Flowers

Au début des années 60, Ibrahim Takkoush vend de la lingerie dans le quartier de Hamra d’où il est originaire. Un jour, une Américaine de passage à Beyrouth pousse la porte de la lingerie et au gré de la conversation, conseille à Takkoush d’ouvrir plutôt une boutique de fleurs. « C’était un secteur qui avait beaucoup de potentiel, surtout que le peu de commerces de fleurs se trouvaient uniquement à Souk el-Franj, dans le centre-ville », raconte Khalil Takkoush, fils d’Ibrahim. « C’est ainsi que mon père a ouvert sa première boutique sur la rue Sadate, qu’il baptise California : Takkoush, en clin d’œil en direction de la cliente américaine. » Le succès est tel que Yehya rejoint son frère Ibrahim dans son affaire et ouvre ensuite son propre magasin de fleurs, à quelques pas seulement, sur le même trottoir. Le Liban est alors en plein dans son prétendu âge d’or, et les Beyrouthins en particulier, au contact des occidentaux qui affluent en masse, se mettent à emprunter leur style de vie et leurs habitudes, notamment celle de s’offrir des bouquets de fleurs à toutes les occasions, un concept jusqu'alors peu répandu ici.

Khalil Takkoush devant sa boutique. Photo Michèle Aoun

Au fil de ces années d’avant-guerre, pas une naissance, pas une visite d’hôpital, pas un mariage ou un enterrement, n’avait lieu sans un bouquet ou une plante de chez Takkoush, avec leur petit autocollant rouge et or qu’emploie jusqu’à ce jour Khalil Takkoush pour décorer ses emballages. « Initialement, mon père et mon oncle ne faisaient que des fleurs saisonnières, jusqu'au jour où un client de l'ambassade de Bulgarie à Beyrouth a décrit à mon oncle les pépinières qui existaient dans son pays. Après avoir obtenu l'autorisation de l'État libanais, les Takkoush sont devenus les premiers grossistes libanais de fleurs et de plantes importées de Bulgarie, des Pays-Bas et de la Belgique », explique Zakaria Takkoush, fils de Yehya, et actuel propriétaire de l’une des branches de l’enseigne familiale, située dans le local où la première boutique avait été ouverte.

Des fleurs qui sentent le printemps. Photo Michèle Aoun

Si le long de la guerre civile l’entreprise familiale est lourdement atteinte, entre les commandes de fleurs qui n’arrivent jamais à cause de l’aéroport qui ferme à tout va, les ressortissants étrangers qui prennent la fuite et les Libanais qui n’ont pas le cœur à la fête, il n’empêche que la deuxième génération des Takkoush, notamment Ibrahim et Zakaria, se débrouillent pour garder leurs boutiques sur pied. Aujourd’hui, près de soixante ans plus tard, les deux cousins, avec une dizaine d’autres dont les magasins ont entre-temps fleuri partout dans Hamra, conservent dans leurs échoppes arrachées à une autre époque, une manière de faire lente, humaine et surannée. Et bien sûr, leurs fleurs, plus belles que jamais en ce mois d’avril, fragiles et éphémères, comme une métaphore de cette ville.

Exotica, une véritable success story. Photo Michèle Aoun

Exotica

La véritable et peut-être seule success story libanaise dans le domaine des fleurs, des plantes, et plus globalement du paysagisme et de l’horticulture, c’est incontestablement celle d'Exotica. Fondée en 1978 au sein du groupe familial par le propriétaire terrien et entrepreneur dans l’agriculture Étienne Debbané, l’enseigne s’est très vite positionnée en leader sur le marché libanais. En plus d’avoir une première boutique et pépinière à Zalka en 1978, puis dans les années 80 trois enseignes à Verdun, Achrafieh et Kaslik, Exotica étale ses fleurs, ses plantes et ses services de paysagisme partout dans le Moyen-Orient, à savoir au Koweït (jusqu’à la première guerre du Golfe), à Dubaï et Abou Dhabi (où l’entreprise existe encore à ce jour), mais aussi au Qatar, en Égypte, en Arabie saoudite, et même brièvement au Canada. « À travers cette stratégie d’expansion, nous avons été des pionniers dans le secteur », affirme Marc Debbané, PDG de la compagnie depuis 2018.

Pépinière et boutiques font le succès de l'enseigne. Photo Michèle Aoun

« Jusqu’à ce jour, et malgré tous les défis, nous sommes les seuls à être dans la plantation et la vente au détail. » En effet, il suffit d’aller faire un tour dans la pépinière d'Exotica, à l’arrière de l’un de leur showroom à Jounié, pour prendre la mesure du calibre de ce gros bolide, qui à son pic employait 350 personnes, entre horticulteurs et vendeurs. Et c’est d’ailleurs dans ce qui ressemble à un champ sous serre en pleine ville, qu’est par exemple planté avec soin et respect le million de roses vendues chaque année par l'entreprise.

Vente en gros et en détail. Photo Michèle Aoun

« Nous avons également des terrains à Jezzine où nous cultivons d’autres variétés de fleurs plus exotiques telles nos hortensias et nos pivoines, mais aussi tous nos feuillages », explique Debbané. « L’idée, en se développant, était de proposer une approche holistique de l’horticulture, avec du paysagisme, de la décoration d’événements, mais aussi un entretien de fleurs et de jardins à domicile. » Fleuriste résolument de luxe, rares sont donc les foyers bourgeois du pays où les plantes d'Exotica n'ont pas fait intrusion, pendant la guerre et après, aux fêtes comme aux occasions plus tristes. Et c’est sans doute pour cette raison, qu'Exotica reste un fleuriste culte pour une partie des Libanais.

Le MikadoAntoine Skayem ne se souvient pas exactement de quand son père Georges et sa tante Laure ont inauguré Le Mikado, à 50 mètres de la boutique actuelle, rue Salim Bustros à Achrafieh. « C’était il y a près de cent ans si je ne me trompe pas, nous étions les premiers fleuristes de Beyrouth », confirme-t-il, pourtant. « Mon frère aîné Toufic était...

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