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Lifestyle - Histoires de thérapies

Au nom de l’amour

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, des larmes, des fous rires et des silences. Un passage obligé qui rassemble les confidences, les pièces d’un puzzle qui constitue une vie. Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, avec des interlocuteurs qui resteront anonymes, sur un chemin emprunté à deux pour arriver à y voir clair.

Au nom de l’amour

Illustration Noémie Honein

Il y a longtemps, sachant que j’étais psychiatre et psychanalyste, un homme âgé de 70 ans est venu me consulter pour modifier son traitement. Il avait pris du Valium pendant de nombreuses années et voulait le remplacer par un autre anxiolytique. Quand je lui ai demandé pourquoi il voulait changer ce médicament qu’il prenait depuis longtemps, il m’a prié de ne pas lui poser de questions. Devant mon insistance, il finit par me raconter son histoire.

À 20 ans, il est tombé amoureux d’une femme qui a vite partagé son amour. C’était un amour exceptionnel qu’ils ont vécu intensément pendant un an. Seulement ils se disputaient en permanence, et c’était infernal. Suivant les conseils d’un médecin ami de la famille, ils ont fini par consulter un psychiatre qui leur a prescrit du Valium à tous les deux. Puis, brusquement, cette femme disparaît. Après l’avoir cherchée désespérément, il apprend qu’elle avait épousé un Français et qu’elle était partie vivre en France avec lui.

Son amour blessé était terrible, il ne dormait plus, ne mangeait plus, ne sortait plus. Les envies de suicide furent nombreuses, mais avec l’aide de son entourage, il réussit à survivre. Depuis, il vit avec son frère et sa famille, ce qui lui donne du courage et une certaine joie de vivre à la vue de ses neveux et nièces.

Une fois seul et sans nouvelle de cette femme, il ne supportait plus de prendre du Valium qui représentait à ses yeux leur traitement à tous les deux, et qui était censé leur permettre de ne plus se disputer et de sauver leur couple. Il consulta de nouveau un psychiatre qui lui donna du Tranxène à la place, médicament qu’il a pris donc jusqu’à il y a 6 mois. « Et pourquoi voulez-vous changer du Valium » ? « Parce qu’elle est revenue », répond-il. J’avoue que j’étais un peu largué et je lui demande des éclaircissements.Il m’explique alors qu’il avait changé de médicament « contre elle ». Le Valium leur avait été prescrit à tous les deux, un peu pour leur permettre de maintenir leur couple en place. Une fois seul, il ne voulait plus de ce médicament qui n’avait plus de sens. Mais elle est revenue il y a six mois. « Alors » ? lui demandais-je. « Son mari est mort, elle est revenue à Beyrouth et elle a cherché à me revoir. » Il était si heureux qu’il ne lui fit aucun reproche. Elle justifia son départ cinquante ans auparavant par la peur. Peur que leurs disputes permanentes ne finissent par avoir raison de leur couple. Elle ne voulait pas, une fois mariée, continuer à vivre cela. Elle a donc épousé ce Français qui voulait l’emmener vivre en France pour fuir leur relation. Et comme auparavant, les disputes sont revenues. Comme auparavant, ils finirent par consulter un psychiatre qui leur a prescrit de nouveau du Valium qu’ils ont pris tous les deux. « Et alors » ? lui ai-je demandé. « Nos disputes étaient si fortes qu’elle m’a quitté à nouveau. » « Voilà pourquoi vous voulez arrêter le Valium... »

Cet homme de 70 ans est resté amoureux de cette femme pendant cinquante ans, et son amour n’a pas faibli. Et comme il se retrouve avec elle dans la même situation qu’auparavant, et que rien n’a changé, les disputes reprenant le dessus, le Valium, prescrit à tous les deux à cinquante années d’intervalle, est devenu le symbole de leur amour. Et par réaction contre elle, il voulait à nouveau l’arrêter.

Il y a longtemps, sachant que j’étais psychiatre et psychanalyste, un homme âgé de 70 ans est venu me consulter pour modifier son traitement. Il avait pris du Valium pendant de nombreuses années et voulait le remplacer par un autre anxiolytique. Quand je lui ai demandé pourquoi il voulait changer ce médicament qu’il prenait depuis longtemps, il m’a prié de ne pas lui poser...

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