Alors que le Liban continue de faire face aux conséquences économiques et sociales dramatiques de la crise protéiforme qu’il traverse depuis plus de trois ans, l’essentiel des mesures prévues par le plan de redressement adopté par le gouvernement sortant n’a toujours pas vu le jour. Au point que ces difficultés, conjuguées à l’apparente résilience de la population et aux perspectives de production de gaz, finissent par même faire douter de la participation du Fonds monétaire international (FMI). Or, miser sur les revenus potentiels des hydrocarbures – dont l’exploitation n’a pas commencé – comme solution à la crise n’est pas viable : il n’y a aucune certitude – en termes de montant et de calendrier – sur ces revenus et, selon la plupart des prévisions, ils ne représenteront de toute façon qu’une petite fraction de la dette publique. Par ailleurs, il sera de toute façon nécessaire de renforcer la gouvernance afin que ces recettes ne soient pas mal gérées. Quant à la capacité d’adaptation de la population libanaise face aux nouvelles réalités économiques et sociales, elle n’exclut pas la nécessité de prendre des mesures pour inverser l’augmentation massive et soudaine des taux de pauvreté, ou celle d’améliorer immédiatement l’accès à des services sociaux décents – à commencer par la santé et l’éducation – aux larges segments de la population qui n’y ont plus accès. Plus largement, il est plus que jamais urgent de prendre des mesures de grande envergure pour remédier aux déséquilibres du secteur public et de la balance des paiements, rétablir la viabilité de la dette, assurer une protection sociale efficace, restaurer la crédibilité de la monnaie et renforcer la gouvernance économique.
Effet catalyseur
Certes, le Liban pourrait mettre en œuvre ce programme de réformes sans la participation du FMI, d’autant que le programme qui a été convenu avec ses services n’impose aucune mesure qui ne soit déjà incluse dans le plan de redressement du gouvernement et que le Fonds ne considère pas comme étant dans l’intérêt du Liban. Cependant, la participation du FMI – en aidant à formuler le programme, en surveillant sa mise en œuvre et en fournissant une évaluation indépendante de l’adéquation des politiques – donnerait au programme de réforme du Liban la crédibilité dont il a besoin, à savoir que des politiques appropriées sont prises pour remédier à ses déséquilibres macroéconomiques et à ses faiblesses structurelles. En outre, bien que le financement éventuel assuré directement par le FMI soit nettement inférieur aux besoins du Liban, la mise en œuvre d’un programme négocié avec lui permettrait à d’autres institutions financières internationales, comme la Banque mondiale et d’autres créanciers et donateurs bilatéraux, d’apporter un soutien supplémentaire : c’est ce qu’on appelle couramment le rôle catalyseur du FMI.
Un programme du FMI ne serait d’ailleurs pas approuvé par son conseil d’administration du FMI sans l’assurance de la part des donateurs et des créanciers que les besoins de financement extérieur du Liban seront satisfaits. Cette aide supplémentaire est estimée à environ 8 à 10 milliards de dollars sur la durée de quatre ans du programme. Un accord avec le FMI faciliterait également les négociations avec les détenteurs d’eurobonds, qui en ont fait une condition d’une négociation sur la restructuration de la dette publique, comme ils l’ont fait avec d’autres pays auparavant, dans la mesure où cela donnerait des garanties sur la capacité du Liban à honorer les conditions renégociées des contrats d’obligations.
Assistance prioritaire
Le Liban pourrait recevoir un soutien financier supplémentaire du FMI une fois que la mise en œuvre du programme aura commencé. Selon la politique du FMI, les prêts au Liban, actuellement en défaut sur sa dette souveraine, sont limités à des plafonds spécifiques liés à sa quote-part au sein de l’organisation. Selon les limites actuelles, les prêts du FMI aux pays dont la dette publique est jugée insoutenable ne peuvent dépasser 145 % de leur quote-part par an, ou un cumul de 435 % à tout moment. La quote-part du Liban est de 633,5 millions de DTS (droits de tirage spéciaux), soit environ 840 millions de dollars. Cette limite de prêt se traduit par un montant d’environ 1,2 milliard de dollars par an, sous réserve d’un plafond total d’environ 3,6 milliards. Les montants dépassant ces limites sont considérés comme exceptionnels et sont soumis à des critères supplémentaires liés à la nécessité d’un financement plus élevé, à la viabilité de la dette, à la capacité de retrouver l’accès au marché et aux perspectives de réussite du programme. Le FMI peut donc avoir une certaine marge de manœuvre pour augmenter les prêts au Liban, même si la dette de ce pays est jugée insoutenable, dans le cas où il y aurait un besoin de balance des paiements et que le programme est en bonne voie.
Un programme du FMI donnera par ailleurs la priorité aux demandes d’assistance technique gratuite dans plusieurs domaines économiques et financiers. Les demandes d’assistance technique des pays dépassant la capacité du FMI à la fournir, les pays ayant un programme en cours avec le FMI sont en général prioritaires, en particulier pour les mesures qui sont essentielles au succès du programme. Cette aide couvre un large éventail de domaines liés à la banque centrale, aux mesures fiscales et au développement des statistiques, autant d’éléments qui pourraient être très utiles au Liban alors qu’il reconstruit ses institutions publiques.
Si le fait de devoir recourir au FMI est parfois stigmatisé, les avantages qui découlent d’un accord avec cette institution en font une solution difficilement contournable, à condition cependant que le pays devienne vraiment sérieux dans sa volonté de réformes économique et financière.
Par Sami GEADAH
Ancien directeur du Centre d’assistance technique pour le Moyen-Orient, ancien membre du conseil d’administration du Fonds et chercheur associé de l’Institut Issam Farès pour les politiques publiques et les questions internationales (IFI) de l’AUB.
Ce pays a été transformé en mendiant permanent par sa classe politique défaillante et sans vergogne !
12 h 50, le 20 février 2023