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Lifestyle - La Mode

Caoutchouc, main, ciseaux, la trilogie magique de Marco Ward

S’il a reçu sa formation à l’Institut français de la mode, Marco Ward ne s’identifie surtout pas comme couturier. La couture, qui en appelle au tissu, au fil, à l’aiguille et à la machine à coudre, ne fait pas partie de sa pratique. Ce créateur libanais de 23 ans se définit avant tout comme un artisan, et la deuxième vie qu’il offre aux chambres à air et aux canettes de soda des déchèteries est simplement bluffante.

Caoutchouc, main, ciseaux, la trilogie magique de Marco Ward

Marco Ward, 23 ans, a le purisme d’une génération inquiète pour l’avenir de la Terre. Photo tirée de son compte instagram mimimalwaste. design

Marco Ward ne reconnaît que deux instruments : la main et les ciseaux ;et pour le moment deux ou trois matériaux : les chambres à air de bicyclettes, les canettes de soda et les capsules de café. À 23 ans, ce créateur a le purisme d’une génération inquiète pour l’avenir de la Terre. Faire du vêtement, oui. Alimenter la mode, l’une des industries les plus polluantes – et parfois cruelles – de la planète, définitivement non. Quand il faisait des robes, Marco Ward s’inscrivait dans ce qu’il appelle la « basse couture » : un concept qui sollicite les valeurs de temps et d’artisanat essentielles au secteur de la haute couture, mais avec des matériaux pauvres, récupérés dans les déchèteries. Il veut faire partie de la solution, plutôt que du problème.

Le vêtement pour Marco Ward est un support d’expérimentation comme un autre. Photo @t.d0risofficiel/ @conundrum_m Photo @conundrum_m.

Qu’on lui demande si sa démarche relève de l’activisme, il répond que non, qu’il s’agit tout simplement de « bon sens, dans un monde qui possède en surplus de quoi habiller cinq générations, et qui n’a pas besoin qu’on en rajoute ». D’ailleurs, le vêtement est pour lui un support d’expérimentation comme un autre, une forme créée à partir de modules, qui peuvent aussi bien servir à construire des objets que des tableaux.

Sac Marco Ward. Photo DR

Le potentiel d’une matière proche du cuir

La nécessité étant mère de l’invention, c’est en réfléchissant aux cadeaux de Noël qu’il pourrait offrir à sa famille qu’il découvre l’inépuisable mine dont il fera bientôt ses trésors. Il se rend ainsi aux dépôts de Vélib pour demander des pneus de vélos à partir desquels il taille des ceintures. Le fournisseur lui demande bientôt de le débarrasser des chambres à air qui s’entassent dans ses stocks. Marco Ward voit tout de suite le potentiel de cette matière proche du cuir, sans les connotations de souffrance et de mort associées au cuir. Élastique, malléable, solide, sensuel, le caoutchouc est une bonne alternative pour le créateur dont la démarche consiste à remonter aux origines des savoir-faire et techniques pour mieux les réinventer. Les chambres à air de vélos, tout comme les canettes et les capsules de café, commencent leur nouvelle vie dans une baignoire où elles sont dûment nettoyées. Elles sont ensuite taillées en lanières de largeurs régulières et maillées entre elles avec des effets de volumes quasi organiques.

L’univers de Marco Ward. Photo @ayalagadoue @lois_andre @kilian.sj @conundrum_m

Physiques, mathématiques et maille modulaire

« Il n’y a pas eu d’idée de départ. Il s’agit plutôt d’une technique que j’ai développée. Elle résulte d’un long cheminement fait d’une suite de hasards », explique le créateur. « J’ai commencé à expérimenter avec les chambres à air, à les tisser en chaîne et trame, avec plusieurs types d’armures, la toile, le sergé, le satin, jusqu’à découvrir en fin de compte que la maille, la maille modulaire en l’occurrence, aurait été plus pertinente pour les mouvements et les formes que je voulais fabriquer », précise-t-il. Marco Ward met de longs mois à développer sa technique de manière à pouvoir l’appliquer aussi à d’autres matières. « Plus d’un an et demi », nous confie-t-il. « Cette technique est normalement appliquée à d’autres domaines, tels que l’architecture moléculaire. Elle est inspirée des nœuds dans les protéines. J’ai donc dû faire énormément de recherches dans les domaines de la physique et des mathématiques pour mieux comprendre comment exprimer les volumes que je voulais ou pouvais exprimer grâce à ce type de géométrie », détaille Marco Ward.

Sculpture Marco Ward. Photo DR

À la question de savoir si les créations finies ressemblent à ce qu’il avait imaginé au départ, le créateur répond « pas du tout ! » Il se dit à la merci de cette géométrie et architecture moléculaire préexistantes et ne peut faire que ce qu’elles lui permettent de faire. « J’écoute la matière, quand je commence un vêtement, une sculpture ou un tableau, je n’ai pratiquement aucune idée de ce qu’en sera le résultat final. C’est la matière qui me mène là où elle veut », ajoute Marco Ward : « J’écoute et je fais. »

Les créations de Marco Ward avec un mot d'ordre : l'éthique. Photo @ayalagadoue @lois_andre @kilian.sj Photo @conundrum_m

Au sujet du nom de sa marque, MinimalWaste, le créateur, basé à Paris, affirme qu’il ne s’agit ni d’activisme ni de posture politique. « Cela relève du simple bon sens, dans n’importe quelle industrie, d’essayer de minimiser autant que possible les déchets qu’on produit. S’il récupère ses chambres à air chez Vélib, ses cannettes et capsules sont, elles, puisées dans un centre de tri. » Au départ je les ramassais toutes à la main, directement dans les poubelles, mais je me suis vite rendu compte de la somme de travail que cela représentait. De plus, j’avais besoin d’une variété de couleurs, et dans les poubelles de Paris, on trouve surtout des canettes de Heineken, ce qui me limitait au vert, confie Marco Ward qui a désormais une forme de partenariat avec un centre de tri auquel il se rend régulièrement, remplissant les sacoches de son vélo de canettes qu’il retravaille chez lui en plusieurs étapes : nettoyage, découpage, pliage, contrôle de qualité surtout, pour éviter les égratignures que les bords effilés des bandes d’aluminium pourraient causer.

« La seule manière d’être éthique, en tant que designer, aujourd’hui, est de faire de l’upcycling ». Photo @t.d0risofficiel/ @conundrum_m

La seule manière d’être éthique en tant que designer

Parlant de vêtement, et quand on songe au temps et aux recherches que représentent les étapes de ce type de confection, Marco Ward affirme que ces techniques peuvent parfaitement s’appliquer au prêt-à-porter, avec une nuance, cependant : « L’upcycling peut et doit s’adapter au prêt-à-porter, mais avec de nouvelles règles. Il faut savoir que les tissus qu’on reçoit pour l’upcycling sont tous différents. Les clients qui en font commande doivent savoir qu’ils recevront le même modèle mais pas dans les mêmes tissus. Cela dit, la seule manière d’être éthique, en tant que designer, aujourd’hui, est soit de faire de l’upcycling, soit d’arrêter de produire des vêtements, tout court, vu qu’il y a sur cette planète plus qu’assez de vêtements pour pouvoir habiller encore les cinq prochaines générations. »

Création Marco Ward, et une technique proche de la sculpture. Photo@kilian.sj / @conundrum_m

Le créateur, qui dit ne pas avoir regardé un défilé de mode depuis plusieurs années, se détourne d’une industrie dans laquelle, malgré sa formation, il ne se retrouve pas. Bien que petit-fils du couturier Élie Ward et fils de Tony Ward qui a donné, en 25 ans, à l’atelier beyrouthin une envergure internationale, Marco Ward ne porte pas ce flambeau-là, mais plutôt celui de l’artisanat dans sa forme la plus noble, celle qui implique retour aux sources du savoir-faire, expérimentation, sciences, patience et longueur de temps. Adepte de yoga et de vélo, on l’aura compris, le créateur, italien par sa mère, se détend en écoutant des musiques italiennes et françaises et en lisant des romans. Après avoir donné quelques défilés avec sa première collection, dans le cadre de collectifs, il abandonne la confection de vêtements : il n’y aura pas de prochaine collection, affirme celui qui s’adonne désormais à la sculpture, toujours avec ses matériaux signatures et des résultats surprenants.

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