
La présence des réfugiés syriens pèse sur un Liban en crise aiguë. Photo João Sousa
C’est un véritable bras de fer qui se joue entre le Liban et la communauté internationale sur la question des réfugiés syriens. Un bras de fer, car leur présence, sans cesse exploitée par la classe politique à des fins communautaires, pèse lourd sur un pays en crise aiguë depuis plusieurs années. Et leur retour en Syrie, vivement encouragé par les autorités libanaises et organisé par vagues, est freiné par le refus de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et de la communauté internationale de cautionner une telle initiative en l’absence d’assurances que ce retour est sûr et volontaire. Et ce après des informations relayées par des ONG faisant état d’exactions commises en Syrie contre des réfugiés rentrés chez eux. Il y a quelques jours, un rapport de l’association syrienne Access center for Human Rights (ACHR) était aussi publié, dénonçant le « retour volontaire forcé » organisé par le gouvernement libanais.
Selon les autorités, 1,4 million de réfugiés syriens
Le 30 novembre dernier, Filippo Grandi, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés arrivait au Liban pour une visite de trois jours. Au cœur de ses rencontres avec les responsables, les réfugiés syriens présents au Liban depuis le début du conflit syrien en 2011 et l’épineuse question de leur retour en Syrie. « Le Liban traverse l’une de ses périodes les plus difficiles, tout en continuant à accueillir l’une des plus importantes populations de réfugiés par habitant au monde », a reconnu M. Grandi à l’issue de cette visite. Outre l’appel à renforcer l’aide vitale aux Libanais et aux réfugiés vulnérables, le haut-commissaire a appelé à trouver des solutions en faveur des réfugiés syriens. « Le gouvernement (libanais) a réitéré sa demande de mettre fin de toute urgence à la crise des réfugiés au Liban. J’ai réaffirmé l’engagement du HCR à continuer à travailler avec toutes les parties concernées pour y parvenir, malgré la complexité de la situation », a-t-il déclaré.
Selon l’organisation onusienne, 825 081 réfugiés sont enregistrés auprès du HCR. Un chiffre bien loin de la réalité, commentent les autorités libanaises, les enregistrements de réfugiés ayant été gelés depuis mai 2015, sur demande du gouvernement. « Selon nos estimations, le Liban compte 2 080 000 ressortissants syriens, parmi lesquels 1,3 à 1,4 million de réfugiés, le reste étant des travailleurs », confirme à L’Orient-Le Jour le directeur de la Sûreté générale (SG), le général Abbas Ibrahim, dont le département gère les retours. « En l’absence de chiffres officiels, nous nous basons sur les données publiées par le HCR. Mais nous sommes conscients que l’organisation dispose de statistiques plus complètes qu’elle ne partage pas », indique pour sa part le ministre des Affaires sociales, Hector Hajjar.
Dans un camp informel de la Békaa, un petit réfugié syrien. Photo Mohammad Yassine
Les freins au retour, insurmontables parfois
Les propos du représentant onusien ne manquent pas de saluer les sacrifices consentis par le Liban pour l’accueil des réfugiés syriens. Ils reconnaissent aussi la nécessité de mettre fin à la crise des réfugiés dans le pays. Pour les autorités libanaises, ils sont le signe d’un changement de ton du HCR dans leur sens. « Jusque-là, le Liban était régulièrement invité à intégrer les réfugiés syriens, au risque de causer un grave déséquilibre démographique. Des programmes étaient même développés dans cette perspective. Mais tout le monde sait que le Liban n’est pas un pays d’accueil. Les discussions avec Filippo Grandi ont donc remis les pendules à l’heure », affirme le ministre Hajjar. Outre les pressions internationales pour l’intégration des réfugiés syriens aux communautés hôtes, « le différend entre le Liban et le HCR repose principalement sur la responsabilité que le Liban est tenu d’assumer envers les réfugiés syriens, alors qu’il n’est pas aidé en retour », explique le ministre. « Désormais, les communautés hôtes sont aidées au même titre que les réfugiés syriens », révèle à ce titre Ola Boutros, experte sur la question des réfugiés. « Quelque 75 000 familles libanaises reçoivent des aides financières en devises étrangères, à raison de 145 dollars par mois et par famille, et 25 dollars par personne à hauteur de six personnes par famille. Quant aux réfugiés syriens, ils perçoivent l’assistance en livres libanaises, à raison d’un million de LL par mois, et 500 000 LL par personne à hauteur de six personnes par famille », précise-t-elle.
La question du retour fait aussi débat. « Nous invitons la communauté internationale à faciliter le retour des réfugiés du Liban en Syrie, et à cesser de diffuser de fausses rumeurs sur des violations de leurs droits lorsqu’ils rentrent chez eux », insiste le ministre Hajjar.
Dans les camps, des conditions de vie difficiles. Photo João Sousa
Le niet du régime syrien
Selon les chiffres fournis par la SG, entre le 30/11/2017 et le 6/12/2022, 15 578 réfugiés enregistrés auprès du HCR sont rentrés chez eux de manière délibérée et 16 155 autres réfugiés enregistrés auprès du HCR sont retournés chez eux par le biais du programme mis en place par la SG. De plus 5 551 ressortissants syriens non reconnus comme réfugiés ont bénéficié du programme officiel de retour, alors que plus d’un demi-million (528 755) ont quitté le pays en direction de la Syrie après avoir régularisé leur situation. Car nombre de résidents ne régularisent leur situation qu’au moment de rentrer chez eux. « Il n’y a pas de retour massif des réfugiés. Les chiffres sont timides », reconnaît le général Ibrahim.
Parmi les raisons freinant le retour, la conscription obligatoire, les destructions de villes et de logements, les mauvaises conditions de vie, le refus de la communauté internationale de financer la reconstruction, mais aussi les exactions commises à l’égard des opposants au régime de Bachar el-Assad. « Nous n’avons pas été informés de la moindre atteinte aux droits des réfugiés qui sont rentrés chez eux », rétorque Abbas Ibrahim, appelant à ne pas écouter les fausses rumeurs. « La seule entité susceptible d’apporter les garanties nécessaires préalables au retour des réfugiés est le régime syrien », commente l’observateur Ziad el-Sayegh, expert sur la question des réfugiés. « Or ces garanties sont inexistantes. Pire encore, de nombreux candidats au retour sont interdits d’entrée », note-t-il, accusant le régime syrien et son allié libanais le Hezbollah d’être responsables de déplacements massifs de populations sunnites en Syrie, notamment dans les régions de Qalamoun, Zabadani et Qoussair, pour y installer des populations chiites.
Dans un camp de réfugiés, un jeune garçon s’occupe comme il peut. Photo João Sousa
La trop faible réinstallation dans les pays tiers
Même si le Liban n’a pas signé la Convention relative au statut des réfugiés, il est contraint de se conformer à la Convention contre la torture et notamment au principe du non-refoulement qui interdit à tout État d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un pays où elle risque d’être soumise à la torture. « Les retours sont tous volontaires. Nous n’exerçons aucune pression sur les réfugiés », se défend le directeur de la SG.
La réinstallation dans des pays tiers est aussi matière à discussions entre le HCR et l’État libanais. « Non seulement les chiffres sont ridiculement bas, mais la réinstallation est interrompue », constate le ministre Hector Hajjar, évoquant la montée de l’extrême droite en Occident et les nombreux refus d’accueil des réfugiés syriens. Selon la Sûreté générale, entre le 25/5/2011 et le 19/10/2022, 102 148 Syriens ont quitté le Liban pour être réinstallés dans un pays tiers. Toutefois, l’Organisation internationale des migrations (OIM) affirme que le nombre de réinstallations vers des pays tiers depuis le Liban avait déjà atteint 120 000 personnes fin 2021.
C’est dans ce cadre que prennent tout leur sens les propos du HCR à L’OLJ. « Le HCR et ses partenaires travaillent avec toutes les parties concernées pour répondre aux préoccupations que les réfugiés citent comme étant des obstacles à leur retour massif, tels la sûreté, la sécurité, les moyens de subsistance et le logement », souligne Lisa Abou Khaled chargée des relations avec la presse. Elle rappelle que « le HCR respecte le droit humain fondamental des réfugiés à retourner librement et volontairement dans leur pays d’origine, conformément aux principes internationaux de retour volontaire, digne et sûr, et de non-refoulement ». C’est dans ce cadre que l’organisation « poursuit son dialogue avec le gouvernement libanais y compris la SG dans le contexte des mouvements de retour qu’elle facilite ». C’est dire combien elle s’accroche à sa position initiale, dont elle n’a pas dévié d’un iota.
C’est un véritable bras de fer qui se joue entre le Liban et la communauté internationale sur la question des réfugiés syriens. Un bras de fer, car leur présence, sans cesse exploitée par la classe politique à des fins communautaires, pèse lourd sur un pays en crise aiguë depuis plusieurs années. Et leur retour en Syrie, vivement encouragé par les autorités libanaises et organisé...
commentaires (6)
Allez ouste chez vous!
Robert Moumdjian
01 h 09, le 12 décembre 2022