Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Artisanat libanais

Albert Mansour, au cœur du oud

Ils sont brodeur, cordonnier, ferronnier, horloger, luthier, menuisier, potier, restaurateur, tanneur. Ils ont en commun « l’intelligence de la main » et perpétuent des gestes ancestraux, hérités de leurs aïeux ou fruits d’une vocation. Retrouvez les vendredis, dans notre série « Artisanat libanais », les portraits de ces femmes et hommes que l’initiative « The Ready Hand » s’emploie à répertorier. Avec d’abord Albert Mansour, qui murmure à l’oreille de ses ouds les plus belles mélodies.

Albert Mansour, au cœur du oud

Albert Mansour chérit les ouds qu’il fabrique comme les enfants qu’il n’a pas eus. Photo C.H.

Il travaille avec ses sens et avec son cœur, observe, écoute, touche, construit des ouds comme d’autres construiraient des cathédrales. Albert Mansour chérit ses instruments autant que les enfants qu’il n’a jamais eus et leur chuchote de belles histoires avant de s’en séparer, à contrecœur… Monsieur Albert, la plupart l’appellent maalem ou encore ammo, est l’humble maître de nombreux musiciens qui viennent à sa rencontre réparer, affiner, récupérer leur instrument, ajuster ses notes ou juste partager un moment musical, devenu un moment entre amis.

Jammal, l’inséparable collaborateur. Photo C.H.

Ce matin d’automne qui commence à frissonner, Albert Mansour nous attend dans son atelier situé en sous-sol, dans la région de Moussaïtbé, à Beyrouth, entouré de son inséparable Jammal et d’Oussama Abdelfattah, musicien archiviste. En dévalant les grandes marches qui mènent à son antre, une musique ensorcelante se dégage de l’instrument parfaitement ajusté de Abdelfattah, comme un sourire parfumé d’Orient qui touche déjà notre âme… On se sentirait presque comme un intrus, interrompant ainsi un moment intime et sacré, mais l’hôte des lieux nous reçoit avec une élégance, une chaleur qui nous donnent déjà envie de l’appeler à notre tour ammo…

Albert Mansour, attentif à chaque détail. Photo Tarek Moukaddem

Sans voix

Debout, appuyé sur sa canne dans un équilibre fragile, légèrement courbé, il comptabilise fièrement 82 ans au compteur de sa vie qu’il a cessé de chanter depuis quatre ans. « J’ai eu un AVC qui m’a privé des deux choses les plus essentielles pour moi, confie-t-il le regard voilé, ma main gauche et ma voix. » Touché côté cœur et en plein cœur, contraint de faire taire ses deux passions, il se contente à présent de perfectionner « encore, toujours » son métier de luthier. Entrer dans chaque détail de fabrication pour rendre cet instrument plus léger, plus ergonomique, le son plus doux, plus précis, la position du musicien et de ses doigts plus confortable.

Avant son AVC, le luthier était plus libre de ses mouvements. Photo DR

Coup d’œil rapide sur les lieux, les ouds de différentes formes et couleurs sont suspendus au mur, comme des trophées qui font la fierté du luthier et celle des visiteurs qui réchauffent ses journées. Des cassettes de musique des années 80 et un vieil enregistreur trônent sur la table à côté de la rakoué de café préparée à la hâte, installant à leur tour les couleurs du passé dans ce décor intouché depuis des années. Les choses existent dans un désordre ordonné ; Albert veille, le regard à la fois précis et tendre et l’oreille aux aguets… Juste à côté, l’atelier de confection et de réparation de ouds fonctionne sous la direction de Jammal et de son assistant. Délicatement, les doigts usés par le temps, il caresse le bois, le lime, le vernit, en le présentant, à chaque étape, à Albert.

Lire aussi

The Ready Hand : préserver et perpétuer des gestes ancestraux à travers le Liban

Albert Mansour auprès de ses ouds de différentes formes et couleurs suspendus au mur. Photo C.H.

À la recherche du son parfait

Aucune arrogance chez ce gentleman mélomane, autrefois ingénieur mécanique, qui a quitté son garage, les bruits et le cambouis des moteurs qui meublaient sa vie pour se plonger entièrement dans le murmure de ce luth oriental. Mais beaucoup d’humilité et tellement d’amour pour ceux qu’il appelle « mes enfants »… Les voitures l’ont longtemps intrigué, intéressé, mais « la musique et le chant ont toujours été ma passion première », confie-t-il. Accompagné de son oud et d’une voix qui avait déjà conquis une large audience, il se produisait à la télévision et à la radio. Dans le jardin de l’immeuble qu’il habitait, alors qu’il répétait et réparait des instruments, son voisin, le grand Marcel Khalifé, le repère et l’encourage à poursuivre dans cette voie. Il décide d’installer un atelier, un vrai, celui-là même qu’il occupe encore aujourd’hui, et ne compte plus les heures qu’il y passe.

L’atelier de travail où toute la magie de la fabrication se passe. Photo C.H.

« Tous les jours, après les heures de travail, je quittais mon garage et je venais ici. Parfois, je restais jusqu’au matin. » « Tu ne veux pas dormir ? Tu ne veux pas manger, te reposer ? » lui demandait en vain sa femme. Albert voulait juste trouver le son parfait, complet et pur. Sa quête se poursuit, quelque 35 ans plus tard… Il intervient sur tout, dresse l’oreille, cherche l’aigu, le grave, la fausse note. Il faut, pense-t-il, « que l’oreille s’étonne et sursaute ». Perfectionniste, précis, visionnaire, « il a modifié la forme du oud, confie Oussama Abdelfattah. Il a élargi la caisse de résonance et changé la forme, car le oud doit être stable sur le ventre ». « Ce qui nous amène ici ? poursuit-il. C’est lui, ammo Albert… Il crée avec son âme et avec une justesse rare. Il a une connaissance parfaite de son métier, une oreille et une technique pointues. Il suffit d’écouter la musique qui sort de ses instruments. Elle lui ressemble. C’est un être simple, vrai, lumineux comme le soleil. »

Jammal présentant fièrement un oud finalisé. Photo C.H.

Et alors que le musicien s’exécute, fort des conseils de maalem Albert, ce dernier, un léger sourire aux lèvres, nous avoue : « Si tu aimes ton instrument, il t’aime à son tour. Si tu le traites bien, il te le rend. » Deux mois pour finir une pièce... « Avant, je la travaillais seul », précise-t-il. À chaque « départ », chaque séparation, le luthier serre son instrument dans ses bras, le caresse puis le cède. « Ce sont tous mes enfants, ils ont embelli ma vie, même si elle était déjà belle… »

Le luthier dans un moment de reflexion. Photo Jad Abou Jaoudé

Alors, avant de le quitter, l’envie de le serrer à notre tour dans nos bras nous prend. « Revenez me voir », dit-il. Et l’on repart au son d’une musique douce, et sous le regard, également doux, de ce luthier-inventeur-chercheur qui ne cesse de s’inventer.

Pour contacter Albert Mansour :+ 961 3 667 354

Instagram @albert.mansour.14

Retrouvez ces portraits sur la page Instagram @thereadyhand

Il travaille avec ses sens et avec son cœur, observe, écoute, touche, construit des ouds comme d’autres construiraient des cathédrales. Albert Mansour chérit ses instruments autant que les enfants qu’il n’a jamais eus et leur chuchote de belles histoires avant de s’en séparer, à contrecœur… Monsieur Albert, la plupart l’appellent maalem ou encore ammo, est l’humble maître de...

commentaires (1)

Merci pour ce très bel article sur un personnage hors du commun. Artiste, musicien, perfectionniste,... et surtout d'une très grande humilité. Nous souhaitons tous à Albert Mansour, de surmonter les effets de l'AVC et de continuer à nous enchanter par son œuvre magique sur le bois.

Stephane W.

23 h 29, le 04 novembre 2022

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Merci pour ce très bel article sur un personnage hors du commun. Artiste, musicien, perfectionniste,... et surtout d'une très grande humilité. Nous souhaitons tous à Albert Mansour, de surmonter les effets de l'AVC et de continuer à nous enchanter par son œuvre magique sur le bois.

    Stephane W.

    23 h 29, le 04 novembre 2022

Retour en haut