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Politique - Décryptage

Aoun et les présidents de Conseil, un désamour qui remonte à Taëf

Aoun et les présidents de Conseil, un désamour qui remonte à Taëf

Le Premier ministre désigné Nagib Mikati, lors de l'un de ses entretiens avec le président Michel Aoun, le jeudi 26 août 2021, au palais de Baabda. Photo Dalati et Nohra

L’échange de communiqués souvent peu amènes entre les responsables est sans doute monnaie courante dans la vie politique libanaise. Mais le dernier communiqué publié jeudi soir par le bureau du président du Conseil Nagib Mikati semble dépasser les usages habituels, puisqu’il y est fait clairement allusion à l’âge du chef de l’État, en laissant entendre que ce paramètre pourrait expliquer certaines de ses déclarations. Pour que Nagib Mikati, considéré comme un des responsables les plus conciliants, qualifié de « champion du compromis » et passé maître dans l’art d’arrondir les angles, en soit arrivé là, c’est que le fossé entre Michel Aoun et lui est devenu très profond.

Des partisans du chef de l’État affirment qu’en cherchant à couper les ponts avec Michel Aoun, M. Mikati cède en réalité à des pressions internes et externes. Mais dans le camp adverse, on fait remarquer qu’un rapide coup d’œil sur le sexennat de Aoun montre que les trois Premiers ministres qui se sont succédé à la tête des gouvernements de ce mandat ont tous quitté le Grand Sérail en mauvais termes avec le locataire de Baabda.

En effet, Saad Hariri qui a été le premier président du Conseil du mandat, avant de se succéder à lui-même après les élections législatives de 2018, est parti en mettant le chef de l’État au pied du mur à la fin d’octobre 2019, après le déclenchement du mouvement de contestation populaire, cédant après quelques péripéties la place à Hassane Diab. Ce dernier arrive sur la scène politique en janvier 2020. Il est accueilli à bras ouverts à Baabda avant de partir en août 2020 en mauvais termes avec la présidence. Entre octobre 2020 et juillet 2021, Saad Hariri fait une nouvelle tentative infructueuse pour former un gouvernement, avant de se récuser. Enfin, Nagib Mikati, qui est désigné une première fois en juillet 2021 (il forme le gouvernement en septembre), puis une seconde fois en juin 2022 après la démission de son gouvernement suite aux élections législatives, clôture le mandat sur un conflit ouvert avec la présidence sur les prérogatives concernant la formation du cabinet.

L'édito de Issa GORAIEB

Le fétichisme du vide

En six ans à Baabda, Michel Aoun a donc pratiquement réédité le même scénario avec ses partenaires au Sérail : les relations commencent cordiales et se terminent dans le conflit et les tiraillements. Au point que certains de ses détracteurs affirment que le chef de l’État a un problème avec l’ensemble de la communauté sunnite. Ces mêmes détracteurs remontent à la fin des années 80 et rappellent que « le général », alors chef du cabinet de transition formé en septembre 1988 à la fin du mandat du président Amine Gemayel, s’était opposé à la conclusion de l’accord de Taëf en 1989, parce que celui-ci avait privé le chef de l’État de certaines prérogatives présidentielles au profit du Conseil des ministres réuni. Les détracteurs de Michel Aoun précisent ainsi que tout le souci de ce dernier est de revenir à l’avant accord de Taëf et de gouverner le pays avec toutes les prérogatives d’antan. C’est pour cela, donc, qu’il finirait toujours par entrer en conflit avec la communauté sunnite et ses représentants. Tous les conflits de Michel Aoun avec les Premiers ministres successifs tournent effectivement autour des prérogatives, qu’il s’agisse de Saad Hariri, de Hassane Diab ou de Nagib Mikati.

De leur côté, les partisans de Aoun affirment que ce dernier n’a fait qu’appliquer les dispositions de la Constitution et que ses conflits avec les différents présidents du Conseil étaient essentiellement basés sur la nécessité de traiter le Courant patriotique libre (CPL), qu’il a fondé, à l’instar des autres composantes politiques. Ils affirment aussi qu’à partir du moment où il a décidé de rentrer au Liban, après le départ des troupes syriennes le 26 avril 2005, Aoun a accepté l’accord de Taëf qui est devenu la Constitution et il n’a jamais cherché à le contester ou à le remettre en question. Il s’est simplement contenté de réclamer quelques précisions dues à ce qu’il considère comme des lacunes dans le texte, comme par exemple l’absence de délai pour la formation d’un gouvernement.

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De fait, Michel Aoun a cherché à compenser la réduction des prérogatives présidentielles par le fait de se doter d’un important bloc parlementaire. D’autant que depuis Taëf, les gouvernements successifs étaient le reflet des équilibres parlementaires. En se dotant d’un bloc parlementaire important, il a pu peser sur les décisions du gouvernement à travers les représentants de son bloc au sein du cabinet. Alors que les présidents élus depuis Taëf (excepté René Moawad qui a été assassiné avant d’entrer en fonctions) – Élias Hraoui, Émile Lahoud et Michel Sleiman – n’avaient que les ministres que voulaient bien leur accorder le président de la Chambre des députés et les Premiers ministres successifs, Aoun a imposé le fait d’avoir de facto des ministres au sein du gouvernement en plus de ceux qui étaient traditionnellement accordés au chef de l’État.

Pour ses détracteurs, il a ainsi modifié les règles établies depuis Taëf, et qui faisaient du chef de l’État un arbitre au-dessus des clivages, en lui redonnant un rôle d’acteur direct sur la scène politique. Il aurait donc pour eux, modifié « l’esprit de Taëf » et redonné au président, de façon détournée, des prérogatives que Taëf lui avait enlevées.

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Les partisans de Michel Aoun ne se privent pas de souligner que celui-ci a refait du palais de Baabda et de son locataire des acteurs majeurs sur la scène politique, alors qu’ils étaient marginalisés au cours des précédents mandats. Grâce à Aoun, Baabda est redevenu pour eux le centre des décisions. Que l’on critique ou que l’on appuie le chef de l’État, ils estiment que nul ne peut nier ce fait et que, par conséquent, il a redonné à la communauté chrétienne affaiblie par la guerre et les conflits internes un rôle de premier plan sur la scène politique. Selon eux, ce serait là le péché originel commis par Michel Aoun. Un péché que les partenaires internes et les parties internationales et régionales ne lui pardonneraient pas. Les présidents du Conseil successifs qui ont coopéré avec lui ont essuyé des critiques de la part de ce qu’on appelle « la rue sunnite » et des différentes composantes politiques et religieuses de cette communauté. Aoun a beau affirmer qu’il n’a jamais outrepassé la Constitution, son opposition à Taëf, dont il a payé le prix en 1990, le poursuit et se traduit aujourd’hui encore par un désamour à son égard de la part de nombreux leaders sunnites.

L’échange de communiqués souvent peu amènes entre les responsables est sans doute monnaie courante dans la vie politique libanaise. Mais le dernier communiqué publié jeudi soir par le bureau du président du Conseil Nagib Mikati semble dépasser les usages habituels, puisqu’il y est fait clairement allusion à l’âge du chef de l’État, en laissant entendre que ce paramètre pourrait...

commentaires (9)

Analyse claire et convaincante.

MALLAT Sabah

17 h 36, le 31 octobre 2022

Tous les commentaires

Commentaires (9)

  • Analyse claire et convaincante.

    MALLAT Sabah

    17 h 36, le 31 octobre 2022

  • Encore un article -hommage (reconnaissance ?) à qui vous a décorée …

    Citoyen Lambda

    16 h 16, le 30 octobre 2022

  • Lui pense que personne ne l'aime et son gendre que personne ne le laisse faire son boulot ...

    Zeidan

    23 h 24, le 29 octobre 2022

  • Elle m'a dit d'aller siffler là-haut sur la colline... et elle n'est jamais venue, bon alors je quitte demain vers ma nouvelle villa ou je sifflerai discrètement...

    Wlek Sanferlou

    16 h 43, le 29 octobre 2022

  • Plus que 2 jours et l’Histoire ne retiendra que les catastrophes qui se sont abattues sur le Liban durant ce mandat de malheur. Tout le reste et notamment cet article n’est que du bla bla à 2 centimes.

    Lecteur excédé par la censure

    14 h 48, le 29 octobre 2022

  • "Il a redonné à la communauté chrétienne (...) un rôle de premier plan sur la scène politique". Vraiment? La belle affaire! Et le $ est a combien, chere Scarlett Haddad?

    Mago1

    14 h 39, le 29 octobre 2022

  • Excellente analyse historique de l'après Taef. On le voit bien qu'en science politique, c'est la personnalité qui remplit la fonction et pas le contraire.

    Raed Habib

    08 h 18, le 29 octobre 2022

  • Pathétiques débattements

    Alexandre Choueiri

    06 h 08, le 29 octobre 2022

  • La vérité, chère Scarlett, c’est que durant son catastrophique sexenat, le chef de l’Etat s’est comporté comme un chef de Parti. Qui plus est, assoiffé de pouvoir absolu. Son problème est avec tout le monde, pas seulement les Présidents du Conseil sunnites. Il n’a épargné ni Berry, ni Joumblatt, ni ses rivaux (ou alliés) chrétiens non plus. One-way ticket.

    Akote De Laplak

    01 h 58, le 29 octobre 2022

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