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Le fétichisme du vide


Par deux fois plutôt qu’une, il aura réussi à se hisser au faîte du pouvoir par la grâce de la vacuité dont souffrait ce même pouvoir. Et voilà qu’au moment de clôturer son mandat de président de la République, c’est encore le même type de vide qu’il envisage de laisser derrière lui.


De Michel Aoun l’histoire retiendra surtout l’image d’un général sévèrement défait sur son propre terrain, celui de la confrontation militaire, mais qui réussissait, bien plus tard, un inimaginable rétablissement politique. C’est l’impossibilité d’élire un président de la République qui, en 1988, faisait de ce commandant de l’armée le chef d’un gouvernement intérimaire, aussitôt dénoncé par une substantielle fraction du pays. Deux dévastatrices guerres livrées contre l’occupant syrien, puis contre la milice des Forces libanaises, s’achevaient en désastres ; réfugié à l’ambassade de France, confiné ensuite dans un long exil, nombreux étaient ceux qui le tenaient pour définitivement mis à l’écart.


Or c’était sans compter avec ces retournements dont est fertile la chronique politique locale. Car ce funambule hors pair persuadé d’avoir la baraka, ce virtuose de la corde raide tendue au-dessus du précipice, se sera avéré aussi, et surtout, un champion de la contorsion. Aussi longue que l’exil est ainsi la liste de ces volte-face, véritables virages à 180° qu’il aura opérés sur les chapeaux de roues. De cet échevelé rodéo on retiendra surtout les séquences suivantes.


Pour négocier son retour au Liban, Michel Aoun va, en priorité, se concilier les bonnes grâces de cette même Syrie contre laquelle il avait guerroyé, contre laquelle il était allé porter un accablant témoignage devant le Sénat américain. Il absout ensuite l’Iran des mollahs qu’il accusait d’œuvrer à l’altération de l’identité libanaise ; il contracte même alliance avec le Hezbollah, qu’il impliquait pourtant sans l’assassinat de Rafic Hariri. Il tonne contre le règne des dynasties politiques et le fléau de la prévarication ; mais une fois élu à la tête de l’État au terme d’un nouvel et interminable blocage de l’élection présidentielle, il verse dans le népotisme le plus criant, en arrivant à faire de son gendre son dauphin quasiment déclaré : l’enfant chéri se retrouvant pourtant l’objet de sanctions américaines, édictées notamment pour cause de corruption.


Extraordinaire est l’aisance, voire l’aplomb dont aura fait montre cet homme de tous les paradoxes, à chaque fois qu’il amorçait l’un de ces abrupts changements de cap. Plus extraordinaire encore est toutefois le déni dans lequel continue de baigner la tranche de population demeurée, malgré tout, fidèle à Michel Aoun. Là se situe le paradoxe suprême, même s’il faut prendre en compte la vague de populisme qui déferle actuellement sur une partie notable du monde. On voit dès lors les inconditionnels du président sortant s’apprêter à saluer en masse, demain, devant sa résidence de Rabieh, le triomphal épilogue d’un sexennat pourtant émaillé de catastrophes de toutes sortes, et bien en peine d’arborer ne serait-ce que le plus modeste des bilans. Ils condamneront, bien entendu, tous les saboteurs qui ont court-circuité les grandioses réalisations auxquelles s’était attelé le régime. Et ils se réjouiront de voir leur idole enfin débarrassée des contraintes que lui imposait sa haute charge et résolue à faire ce qu’elle sait faire de mieux : l’obstruction.


Tous ceux-là ne seront sans doute pas déçus, quant à ce dernier point. Comme si l’impasse affectant sa succession n’était pas encore assez préoccupante, c’est le spectre d’un désert institutionnel absolu, intégral, que brandit Aoun en ce dernier quart d’heure, quand il menace de saborder, d’un trait de plume, l’actuel gouvernement d’expédition des affaires courantes. À défaut, une grève sur le tas des ministres relevant du parti aouniste dessaisirait le cabinet Mikati du gros de sa composante chrétienne, ce qui mettrait en cause sa légitimité.


Le néant comme recette-fétiche de pouvoir, le néant encore et toujours comme police d’assurances pour ce qui est de la suite. Que veut-on, tout le monde n’est pas la nature qui, elle, a une profonde, une sainte horreur du vide.

Issa Goraieb

igor@lorientlejour.com

Par deux fois plutôt qu’une, il aura réussi à se hisser au faîte du pouvoir par la grâce de la vacuité dont souffrait ce même pouvoir. Et voilà qu’au moment de clôturer son mandat de président de la République, c’est encore le même type de vide qu’il envisage de laisser derrière lui. De Michel Aoun l’histoire retiendra surtout l’image d’un général sévèrement défait...