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Politique - Repère

Frontière maritime : à qui va profiter l’accord?

Le Liban, Israël, Michel Aoun et le Hezbollah y ont tous gagné quelque chose.

Frontière maritime : à qui va profiter l’accord?

Des journalistes rassemblés au passage de chars de la Force intérimaire des Nations unies au Liban, dans la ville frontalière Naqoura, jeudi, en amont de la signature de l’accord avec Israël. Aziz Taher/Reuters

« Nous vivons un jour historique. » Depuis le palais de Baabda, l’émissaire américain Amos Hochstein a fait jeudi une description dithyrambique de l’accord de démarcation de la frontière maritime entre le Liban et Israël, conclu sous sa médiation. Négocié pendant plusieurs années et signé jeudi, il est en effet perçu comme ayant profité aux deux côtés, mais aussi aux acteurs locaux impliqués dans les pourparlers. L’Orient-Le Jour propose un tour d’horizon des principaux bénéficiaires du texte.

Le Liban

Est-ce un bon accord pour le pays du Cèdre ? La question fait débat parmi les spécialistes. D’un côté, le Liban a renoncé à ses prétentions sur la ligne 29, qui pouvait lui permettre de revendiquer 1 430 km2 supplémentaires et une partie du champ de Karish, que l’on sait riche en hydrocarbures. De l’autre, il a obtenu l’ensemble de la zone qu’il revendiquait, officiellement délimitée par la ligne 23, et l’ensemble des droits d’exploitation du champ de Cana, toujours inexploré.

Aussi, sur le plan économique, rien ne garantit que ce soit l’aubaine promise par la classe dirigeante libanaise à ses citoyens. D’abord, parce qu’il faudra plusieurs années pour qu’une découverte potentielle – ce qui reste incertain – ne devienne lucrative. Ensuite, les projections les plus optimistes estiment que le Liban pourrait compter au mieux sur un revenu allant de 6 à 8 milliards de dollars et répartis sur une durée de 15 ans. Enfin parce qu’une partie des bénéfices potentiels de l’exploitation du champ de Cana devront être reversés, via TotalEnergies, à Israël, puisqu’une partie du champ se trouve dans sa Zone économique exclusive (ZEE).

Éclairage

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Sur le plan diplomatique et géopolitique, le Liban sort toutefois renforcé par l’accord. Après sa signature, Beyrouth apparaît comme un acteur plus fiable sur la scène internationale. Le président américain Joe Biden s’est ainsi félicité mercredi de la signature imminente de l’accord, rappelant qu’il avait fallu du « courage » de la part de deux pays pour le conclure. De même, Paris a salué à plusieurs reprises la conclusion du texte. Ces discours ne sont pas anodins à un moment où le Liban a besoin d’une aide internationale en urgence pour sortir de sa crise. Enfin et surtout, en créant un intérêt économique commun entre le Liban (y compris le Hezbollah) et Israël, l’accord éloigne la perspective d’une nouvelle guerre entre les deux voisins et devrait permettre de stabiliser un peu plus la frontière sud.

Israël

Du côté de Tel-Aviv, l’accord est également perçu comme une victoire. Même si l’État hébreu a cédé formellement aux revendications officielles libanaises (la ligne 23) et permis au Liban d’exploiter l’intégralité du champ de Cana, il sera compensé financièrement. De plus, en attendant un accord sur la frontière terrestre, c’est la ligne des bouées, considérée comme un enjeu sécuritaire pour Israël, qui trace la frontière entre les deux pays sur 6 kilomètres avant de rejoindre la ligne 23. Surtout, Israël pourra commencer à extraire du gaz du champ frontalier de Karish et le commercialiser sans être inquiété par les menaces du Hezbollah. Le parti de Dieu avait à plusieurs reprises menacé de bombarder les installations israéliennes si l’État hébreu entamait l’exploitation de ce champ avant de résoudre le litige avec le Liban.

Analyse

Pourquoi le Hezbollah a donné son feu vert à un accord avec Israël

Sur fond de guerre russe contre l’Ukraine, et alors que le monde occidental est en quête de fournisseurs gaziers capables de réduire sa dépendance au gaz russe, Israël espère pouvoir tirer d’importants gains économiques de l’accord. Tel-Aviv profite également des promesses de stabilité sur sa frontière nord, alors que le pays traverse depuis plusieurs années une crise politique intense qui le pousse à tenir de nouvelles élections tous les quelques mois. L’accord conclu à seulement une poignée de jours des prochaines législatives israéliennes pourrait d’ailleurs profiter au Premier ministre sortant, le centriste Yaïr Lapid. Car malgré les critiques sévères de la droite israélienne, conduite par l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui accuse le gouvernement d’avoir cédé aux menaces du Hezbollah, les sondages d’opinion montrent qu’une grande partie des Israéliens soutiennent l’accord.

Michel Aoun

Sur la scène libanaise, c’est le grand gagnant de l’accord. Le président de la République Michel Aoun a repris le dossier en main depuis 2020 et voulait à tout prix parvenir à un accord, afin de sauver son mandat marqué par de multiples crises. Le texte a été principalement négocié par ses proches, le vice-président de la Chambre Élias Bou Saab en tête. Le président a également réussi à priver ses principaux adversaires de cette victoire, principalement le président du Parlement Nabih Berry, parrain de l’accord-cadre qui a mis le dossier sur les rails. Le président a également coupé l’herbe sous les pieds de l’armée libanaise, qui se chargeait des négociations jusqu’en décembre 2020, avant qu’elles ne soient interrompues sur fond de désaccords entre les deux pays. L’armée s’accrochait alors à la ligne 29 qu’elle estime revenir de droit au Liban.

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C’est partant de cet impératif qu’avait été rédigé l’amendement au décret présidentiel 6433 visant à corriger la carte transmise par le Liban à l’ONU en 2011. Sauf que ce décret a été remis dans le tiroir par le président Aoun. En privant le commandant en chef de l’armée Joseph Aoun de ce succès, il s’assure que ce dernier ne pourra pas exploiter ce capital politique pour servir de potentielles ambitions présidentielles. Le général est en effet perçu comme un sérieux présidentiable, au grand dam du gendre du président, Gebran Bassil, qui se décrit comme le « candidat logique » au poste.

Le Hezbollah

Le Hezbollah sort-il ou non renforcé de l’accord ? Là aussi, la question fait débat. D’un côté, le parti de Dieu table sur l’exploitation du gaz offshore par le Liban pour sortir le pays de la crise économique qui impacte fortement la communauté chiite et qui a conduit le pays à une polarisation accrue autour de ses armes. Une grande partie de l’opposition accuse en effet le Hezbollah, et son arsenal, d’être responsable de l’isolement du Liban sur la scène internationale et du blocage de toute aide à même de le sortir de la crise. Le Hezbollah présente également l’accord comme une victoire stratégique, puisqu’il affirme que ses menaces de recourir à l’escalade militaire ont fait plier l’État hébreu. Toutefois, l’accord met le parti de Dieu dans l’embarras, puisque pour beaucoup il s’agit d’une forme de reconnaissance de l’État Israël. Le Premier ministre israélien a d’ailleurs affirmé jeudi que « cet accord constituait une reconnaissance de fait » par Beyrouth. Ce à quoi le secrétaire général du Hezbollah a vite rétorqué, assurant que l’accord n’était pas « un traité international ni une reconnaissance d’Israël ». Même s’il se tient derrière l’État libanais, le Hezbollah a donné son feu vert à cet accord. Cela peut renforcer son influence au Liban et améliorer ses relations avec les Occidentaux. Mais dans le même temps, la formation pro-iranienne perd une partie de son crédit en tant que force de « résistance » à Israël.

« Nous vivons un jour historique. » Depuis le palais de Baabda, l’émissaire américain Amos Hochstein a fait jeudi une description dithyrambique de l’accord de démarcation de la frontière maritime entre le Liban et Israël, conclu sous sa médiation. Négocié pendant plusieurs années et signé jeudi, il est en effet perçu comme ayant profité aux deux côtés, mais aussi aux acteurs...

commentaires (7)

C’est un pari sur l'avenir que le Liban joue avec les gisements d'hydrocarbure, mais historiquement et malheureusement les paris à la libanaise sont toujours perdants au profit des croupiers qui mènent le jeu.

DAMMOUS Hanna

11 h 25, le 28 octobre 2022

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • C’est un pari sur l'avenir que le Liban joue avec les gisements d'hydrocarbure, mais historiquement et malheureusement les paris à la libanaise sont toujours perdants au profit des croupiers qui mènent le jeu.

    DAMMOUS Hanna

    11 h 25, le 28 octobre 2022

  • AUTRES QU,A ISRAEL A NOS ABRUTIS INCOMPETENTS ET MAFIEUX QUI ONT DEJA PARTAGE LA MANNE A VENIR, SI ELLE VIENNE, ENTRE EUX POUR SE TAIRE TOUS INCLUS LE BARBU SUR CET ACCORD LE MOINS QU,ON PUISSE DIRE DE LA HONTE ET DE LA TRAITRISE CAR ON S,EST DECULOTTE POUR ALLEGER LE PYGMEE GENDRIOTE DES SANCTIONS QUI LE FRAPPENT AVANT MEME DE NEGOCIER... SI IL Y EUT NEGOCE. ISRAEL A OBTENU TOUT CE QU,IL DEMANDAIT DES LE DEBUT. ILS ONT FESTOYE. ET NOS ABRUTIS ONT AUSSI CELEBRE LEUR DECULOTTAGE ET DEFAITE EN FESTOYANT LA VICTOIRE... CAD DEFAITE COMME D,HABITUDE... DIVINE ! PAUVRE PAYS ! LAMENTABLES CITOYENS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 59, le 28 octobre 2022

  • Et puis, reconnu pour etre le reservoir d'eau du Moyen-Orient, le Liban ferait mieux de se focaliser une fois pour toutes sur cette richsse renouvelable que sur ses richesses (?) supposees d'hydrocarbures ... dont le monde se sera passe dans quelques 20 ans ...

    Remy Martin

    08 h 28, le 28 octobre 2022

  • Et puis, reconnu pour etre le reservoir d'eau du Moyen-Orient, le Liban ferait mieux de se focaliser une fois pour toutes sur cette richsse renouvelable que sur ses richesses (?) supposees d'hydrocarbures ... dont le monde se sera passe dans quelques 20 ans ...

    Remy Martin

    08 h 28, le 28 octobre 2022

  • Donc au meilleur des cas les $100Md rembourses a raison de 500M/an a partir de demain seraient eponges au bout de 200 ans. Belle perspective, non ?

    Remy Martin

    20 h 41, le 27 octobre 2022

  • "… Frontière maritime : à qui va profiter l’accord ? …" - Aux cinquante trois compagnies fictives offshore fondées par nos chers politichiens et leur progéniture, certaines avec un capital de quelques centaines de dollars seulement, et qui se sont fait octroyer l’exclusivité en tant qu’intermédiaires obligatoires… Dans tous les cas de figure, 6 à 8 milliards de dollars sur 15 ans, ça fait au mieux 533 millions de dollars par an. À comparer donc avec notre facture énergétique actuelle de 2 milliards de dollars par an, soit 4 fois moins…

    Gros Gnon

    20 h 39, le 27 octobre 2022

  • Pourquoi on revient souvent, pour les pourvoyeurs aux chiffres 6 à 8 milliards, et non, par exemple, 40 à 50 milliards ? D'ailleurs, personne ne sait la valeur réelle des gisements gaziers et pétroliers. C'est la guerre des chiffres qui cache la vérité. D'ailleurs, le monde entier suit de près ce qui se passe ici.

    Esber

    20 h 31, le 27 octobre 2022

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