
Le prêtre libanais Mansour Labaky. Photo d’archives L’OLJ
Ne l’appelez plus père Labaky. Moins d’un an après avoir été condamné par la justice française à 15 ans de réclusion criminelle pour viols et agressions sexuelles sur mineurs, le prêtre maronite ne portera plus l’habit conformément à une décision du Vatican. Un communiqué interne de l’Assemblée des patriarches et des évêques catholiques au Liban, signé mardi, mentionne qu’une décision a été prise par le pape François et la Congrégation pour la doctrine de la foi de renvoyer deux prêtres maronites, Mansour Labaky et Georges Badr, à l’état laïc. Rédigé à la demande de l'archevêque de Beyrouth, Mgr Boulos Abdel Sater, le communiqué est destiné à être diffusé auprès des prêtres de paroisses et des institutions ecclésiastiques. « Nous prions spécialement pour les victimes d’abus sexuels et pour nos frères Georges et Mansour afin que cette décision soit leur salut », précise le texte.
L'archevêché maronite de Beyrouth a confirmé à L’OLJ l’authenticité de la note mais n’a pas souhaité faire de commentaire. Selon une source ecclésiastique haut placée, le communiqué n’était pas destiné à être rendu public, et aurait donc fuité. Il intervient toutefois quelques jours à peine après la nomination du nouveau nonce apostolique au Liban, Mgr Paolo Borgia. Contacté, son secrétariat n’a pas fait suite à notre demande d’interview.
Cette décision vaticane est une nouvelle victoire pour les victimes qui se battent contre des moulins à vent depuis des années, l'Église libanaise protégeant et défendant généralement ses prêtres qu’elle juge elle-même entre quatre murs. « En rendant mon oncle à l’état laïc, le Vatican a complété sa condamnation par la justice française. On est passé du tabou à la crédibilité et la reconnaissance des paroles des victimes et survivantes. Ça a pris des années, mais la vérité a triomphé et par cet acte, nous avons la preuve que nous avons été finalement entendues et crues », confie à L’Orient-Le Jour, Céleste Akiki, la nièce de Mansour Labaky, et l’une des rares femmes libanaises à l’avoir accusé publiquement d’abus sexuels, alors qu’elle était mineure.
Étouffer le scandale
En 2013, la Congrégation pour la doctrine de la foi du Vatican reconnaît Mansour Labaky coupable d’abus sexuels sur trois mineures, sur une période allant de 1976 à 1997. Après ce jugement, il se voit interdire de célébrer la messe en public et de confesser, de mener tout accompagnement spirituel, activité publique et prise de parole dans les médias, ou d’entretenir un contact avec les victimes. Mais fort du soutien de l’Église maronite et de fidèles clamant son innocence, Mansour Labaky ne s’éclipse pas totalement de la vie publique. Pour étouffer le scandale, les pro-Labaky n’hésitent pas à traîner les victimes dans la boue en criant au grand complot et le prélat portera plainte auprès de la justice libanaise contre ses détracteurs. « Vu son statut d’intouchable au Liban, c’était David contre Goliath », résume Céleste Akiki.
Suite à la décision vaticane, une enquête est lancée en France après le dépôt de plusieurs plaintes. M. Labaky a fondé et dirigé de 1991 à 1998, à Douvres-la-Délivrande, dans le Calvados, près de Caen, en Normandie, le foyer Notre-Dame – Enfants du Liban accueillant des enfants libanais orphelins de la guerre, où il a abusé de nombreuses jeunes filles françaises et libanaises. Un mandat d'arrêt international est lancé à son encontre en avril 2016, mais le Liban n’extradant pas ses ressortissants, il reste à l’abri des poursuites judiciaires, vivant reclus au couvent des sœurs de la Croix, à Broummana. Le 9 novembre 2021, il est condamné par contumace à quinze ans de réclusion criminelle pour viols et agressions sexuelles sur mineurs par la cour criminelle du Calvados.
Mansour Labaky, 82 ans, a toujours nié les faits. Le mandat d’arrêt international continue de produire ses effets, mais il ne purgera probablement jamais sa peine en France. Depuis ce jugement, les victimes, parmi elles Céleste Akiki et l’avocate des victimes Solange Doumic, espéraient que le Vatican prenne enfin la décision de le renvoyer à l’état laïc, envoyant de multiples requêtes manuscrites en ce sens. « J’ai envoyé des dizaines de lettres au Vatican en ce sens et ça a enfin payé », raconte à L’OLJ Marilène Ghanem, elle aussi victime de viols par Mansour Labaky à la fin des années 1980. « Tant d’années de combat pour que la vérité soit révélée et que le comportement de l’Église soit conforme à cette vérité. Que l’Église prenne enfin les dispositions nécessaires pour répondre aux actes que Labaky a commis », commente Me Solange Doumic, l’avocate française des victimes.
Choc
Cette décision inédite au Liban ouvre la boîte de Pandore. L'Église maronite s’est dotée d’une loi contre les abus sexuels sur mineurs en 2016, mais se montre très peu encline à communiquer sur le sujet. Alors que pendant des années l’institution a entretenu le flou sur l’affaire Labaky, la voilà contrainte de suivre une décision vaticane contre deux de ses prêtres. Et il pourrait y en avoir d’autres. « L’Église a besoin de pressions externes car elle ne parvient pas à se purger seule de l’intérieur. La décision du Vatican contre Labaky est la preuve que le travail des journalistes, des juges et des militants n’est pas vain », estime Michaël*, victime présumée du moine libanais orthodoxe Panteleimon Farah, décédé en décembre 2021 alors qu’il devait comparaître devant les tribunaux libanais pour des accusations de viols et d’agressions sexuelles sur mineurs. « Je pense à toutes ces femmes dont la vie a été volée par Labaky et à tous ces hommes par Farah », poursuit Michaël.
Le père Georges Badr. Photo extraite de la page Facebook de la paroisse Mar Takla à Hazmieh.
Le vicaire patriarcal, Mgr Peter Karam, n’a pas fait suite à nos demandes d’interview. Georges Badr, l’autre prêtre renvoyé à l’état laïc, dont on sait peu de chose contrairement au très populaire Labaky, était curé de la paroisse Mar Takla à Hazmieh et également aumônier de l’ONG caritative Domus. « Cela faisait quelques années qu’il y avait des rumeurs de pédophilie, parce qu’il avait été écarté de la paroisse. C’était quelqu’un de doux, on ne pouvait pas se douter de choses comme ça. C’est un choc », confie Valérie*, 25 ans, une paroissienne. Contacté, Georges Badr n’était pas joignable. Également contacté, Mansour Labaky a fait savoir à travers la voix d’une personne se présentant comme sa secrétaire qu’il « ne parlerait pas aux médias ».
*Les prénoms ont été changés
commentaires (19)
Quelque soit notre confession, nous devrions tous nous réjouir que des prédateurs d'enfants soient mis hors d'état de nuire. Quelque soit le pays ou la religion, il faut traquer, juger et punir les pédophiles, je ne vois pas d'autres voie pour protéger les enfants !
Pandora
13 h 21, le 30 septembre 2022