« Situation qui dégénère », « loi de la jungle », « atteintes inacceptables à la sécurité ». Dans les coulisses du secteur bancaire, les exclamations scandalisées fusent face à la multiplication de braquages à main armée qui ont visé plusieurs agences bancaires au cours des dernières 48 heures dans un Liban en crise. Dénonçant les « attaques répétées » contre les enseignes et leurs employés, l’Association des banques (ABL) a annoncé trois jours de fermeture, du lundi 19 au mercredi 21 septembre, présentant au passage ses excuses aux déposants « pour tout inconvénient ou retard » qui pourrait résulter de cette situation. Le communiqué a été publié suite à une réunion d’urgence du conseil d’administration de l’ABL, alors que les informations annonçant de nouveaux braquages se succédaient.
Selon un cadre du secteur bancaire s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, l’association devrait se réunir formellement dans les prochains jours pour décider de la marche collective à suivre. « La communication entre les différents membres est constante, mais pour l’heure, chaque établissement est en train de s’adapter aux événements », a indiqué le cadre. « La tournure que prend la situation est dramatique. On ne peut pas ouvrir dans des conditions pareilles », s’exclame-t-il. Le service de presse de l’ABL a confirmé pour sa part qu’aucune autre décision que celle de fermer les agences pendant trois jours n’avait été adoptée pour le moment.
Durée de fermeture incertaine
L’une des principales enseignes du pays, Byblos Bank, a carrément ordonné la fermeture de toutes ses agences dans le sud du pays jusqu’à nouvel ordre après avoir été la cible d’un braquage dans la localité de Ghaziyé. Une autre, la SGBL, a envoyé des messages à ses clients pour les informer qu’ils ne seront désormais accueillis que sur rendez-vous. D’autres établissements ont renforcé les dispositifs de sécurité à l’entrée de certaines de leurs agences, comme BLOM Bank, Bank Audi ou BBAC, et font rentrer les clients au compte-gouttes.
« Les trois jours de fermeture vont aussi servir à adapter les mesures de sécurité, en coordination avec les autorités », a souligné un autre cadre de banque ne souhaitant pas non plus dévoiler son identité, compte tenu de l’atmosphère tendue. À ce niveau, au cours d’une conférence de presse suivant une réunion convoquée en urgence, le ministre sortant de l’Intérieur et des Municipalités, Bassam Maoulaoui, a annoncé qu’un « plan strict pour imposer la loi et l’ordre dans le pays afin de protéger les déposants et les citoyens » avait été adopté, sans pour autant avancer plus de détails. Contacté, le président de la Fédération des syndicats des employés de banque au Liban, Georges Hajj, pense de son côté possible qu’une majorité d’employés de banque « refusent de reprendre le travail jeudi s’ils ne sont pas certains que leur sécurité est assurée ». Enfin, le service de presse de la Banque du Liban a souligné qu’il n’y aura en principe pas d’opérations de conversion entre le dollar et la livre au taux de la plateforme Sayrafa durant cette période. Cela concerne notamment les opérations de conversion de livres en dollars sous le régime de la circulaire n° 161 de la BDL.
État de nécessité
Le point commun entre ces braquages qui font frémir le secteur bancaire est que leurs auteurs, ou du moins ceux qui ont eu l’occasion de s’exprimer en public jusqu’à présent, considèrent avoir agi en toute légitimité. « Depuis l’automne 2019, les banques restreignent de façon unilatérale et illégale l’accès de nombreux déposants à leurs fonds en devises, sous couvert de prétextes irrecevables et avec la complicité de la BDL ainsi que de la classe dirigeante, qui n’ont pris aucune initiative pour corriger le tir », rappelle à L’Orient-Le Jour Fouad Debs, avocat et cofondateur de l’Union des déposants, une association fondée dans le sillage de la contestation du 17 octobre 2019. Les voix qui critiquent les restrictions bancaires mettent généralement en avant le fait qu’elles ont, combinées aux circulaires que la BDL a publiées pour les aménager, permis aux établissements de liquider à moindres frais une partie de leurs engagements en dollars et d’échapper à d’éventuelles procédures de mise en faillite.
Même si certaines d’entre elles reconnaissent en aparté leurs torts et leur part de responsabilité dans la crise, les banques font néanmoins bloc pour pointer du doigt ce qu’elles assimilent à une campagne malveillante les ciblant, motivée par des agendas politiques. Un plaidoyer qu’elles ont déjà employé pour dénoncer ce qu’elles qualifient d’excès de zèle de la part de certains magistrats dans des procédures lancées ces derniers mois par des déposants contestant les restrictions bancaires en place, ou dans le cadre d’enquêtes plus larges impliquant également la BDL. « Il est regrettable que la récente vague d’attaques soit glorifiée par beaucoup de médias alors que l’argent qui est récupéré appartient aussi aux autres déposants », regrette ainsi un des cadres interrogés. Au cours de son intervention, le ministre sortant de l’Intérieur a lui-même été dans ce sens en dénonçant l’action de certaines parties qui veulent « pousser les déposants » à avoir recours à la force pour faire valoir leurs droits.
De manière plus générale, les banques déplorent le fait qu’elles sont en train de servir de bouc émissaire de la crise et jugent que l’État n’est pas suffisamment mis à contribution dans le processus de répartition des quelque 73 milliards de dollars de pertes, qui est préparé par le gouvernement et soutenu par le Fonds monétaire international, auprès duquel le Liban a sollicité un prêt. Elles mettent notamment en avant que la BDL leur doit plusieurs dizaines de milliards de dollars qu’elles ont investis dans des certificats de dépôt en devises dont elles craignent de ne pas revoir la couleur.
Or l’aide du FMI ne sera débloquée que si le Liban lance certaines réformes, dont celle visant à restructurer les banques à des conditions qu’elles sont nombreuses à juger inéquitables. Et, hasard du calendrier, une version amendée du projet de loi de résolution bancaire s’inscrivant dans le même esprit a justement circulé cette semaine parmi les banques, selon plusieurs sources interrogées au sein du secteur. « On reste sur les mêmes bases que ce qui avait été présenté lors des mois précédents par le gouvernement : sauver la BDL, épargner les actifs mal gérés de l’État et sacrifier les banques », lâche une d’entre elles.
Cette situation aussi inédite que tendue alimente naturellement des théories interprétant la récente vague de braquages comme une action coordonnée lancée pour faire pression sur le secteur. Sans éléments décisifs à apporter, une des sources bancaires interrogées y voit la main du Hezbollah qui tente de « porter le coup de grâce » au secteur bancaire, tandis qu’une autre l’assimile à un « coup de pression » pour pousser les banques à accepter une restructuration selon les termes suggérés par le FMI.
Dans cet article il est édifiant de relever quelques déclarations asémantiques .... l'ABL qui présente au ses excuses aux déposants « pour tout inconvénient ou retard » qui pourrait résulter de cette situation ... A cette période du mois les déposants n'ont guère plus la motivation d'aller dans une banque, en raison du peu de retrait qu'ils peuvent effectuer ( l'équivalant de 150 Dollars) ces opérations s'effectuent la première semaine du mois.... Deuxième non sens à relever : les déclarations de notre ministre sortant de l’Intérieur (qui devrait vite sortir) , Bassam Maoulaoui, qui a annoncé un " plan strict pour imposer la loi et l’ordre dans le pays afin de protéger les déposants et les citoyens". De quelle protection parle t il, contre la dame âgée de 81 ans qui est allée quémander 1000 dollars ? On devrait lui expliquer que les cons, ça ose tout ! C'est même à ça qu'on les reconnaît.
16 h 41, le 18 septembre 2022