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Société - Témoignages

« C’est leur droit, c’est leur argent »

Hier, cinq casses pour le moins atypiques ont eu lieu au Liban : leurs auteurs étant simplement là pour retirer leur épargne. De quoi rallier certains Libanais à leur cause. Et en effrayer d’autres.

« C’est leur droit, c’est leur argent »

Des manifestants scandent des slogans à côté des forces de sécurité qui montent la garde devant une succursale de la LGB Bank, dans le quartier de Ramlet el-Baïda, où a eu lieu une prise d’otages. Fadel Itani/AFP

Hélène, la soixantaine, est scotchée devant sa télé depuis les premières heures du premier braquage. Dans son appartement du Metn, ça fait des heures qu’elle suit les cinq casses pour le moins atypiques : leurs auteurs étant simplement là pour retirer leur épargne. Au fur et à mesure que les chaînes d’information égrènent les montants en « dollars frais » retirés, elle saute de joie.

« Je suis trop heureuse pour eux », s’enthousiasme-t-elle. « Ça m’est égal cette idée de chaos, c’est leur propre argent qu’ils retirent, et puis ils sont inoffensifs », assure-t-elle. Après deux ans d’humiliation aux comptoirs des banques, ces images font office de défouloir pour certains Libanais qui soutiennent cette nouvelle méthode de retrait d’argent.

L'éditorial de Issa GORAIEB

Le show et le bizness

À Hamra, des barreaux en fer barricadent Fransabank, qui a des airs de prison. Des clients à bout de nerfs s’impatientent devant l’automate. Abdel Rahmane passe devant eux avec son petit garçon, le pas rapide. « C’est leur droit, c’est leur argent », s’emporte-t-il, en faisant référence aux prises d’otages de la journée d’hier. « Je sais que si tout le monde se met à faire ça, les banques devront mettre la clé sous la porte, faute d’argent. Mais individuellement, les gens s’en foutent, Sali devait sauver sa sœur atteinte d’un cancer », dit-il en faisant référence à la prise d’otage de Sali Hafez pour retirer son propre argent mercredi, dans une branche de la BLOM Bank à Sodeco. Pour lui, ces braquages sont devenus la seule solution offerte aux déposants, « et s’il doit y avoir du sang, peu importe, nous mourons déjà à petit feu », poursuit le quinquagénaire. Quant à Rami, 28 ans, il dit ne pas avoir peur du « bordel qui règne » déjà au Liban. « Ça ne peut pas être pire que ce que l’on vit déjà. Il faut admettre que ces déposants ont raison… Mais bon, j’espère juste ne pas me faire tuer si je suis coincé lors d’une prise d’otage pour retirer mon maigre salaire. »

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Même rengaine chez Jamil, commerçant de Hamra à quelques mètres de la Banque du Liban. « Ils obligent les gens à faire ça », dit ce quinquagénaire qui a perdu les économies de « toute une vie avec la crise financière ». Depuis, il ne peut plus voir les banques en peinture. « Je n’y mets plus les pieds, à chaque fois que je veux retirer mes propres sous, ils se font de l’argent sur mon dos », dit-il en s’énervant. La faute à ces responsables politiques dont le comportement ferait « rougir les mafias italiennes… Ce sont tous des voleurs. Les banques bloquent notre argent alors que les responsables politiques ont pu les transférer à l’étranger », accuse-t-il.

« Ils auraient pu faire ça durant le soulèvement »

Cette série de prises d’otages en inspire beaucoup. Depuis le début de la crise, Jamal, mère de famille, demande à avoir accès à son compte – sans succès. Cette résidente de Tyr rêve de briser les vitres de sa banque, « mais je n’ai toujours pas le courage… Peut-être à l’avenir ».

Posés sur la terrasse d’un café à Sassine, Imad et Amine, quinquagénaires, ne sont pas d’accord. Le premier comprend les agissements de ces déposants « car la justice n’a pas fait son boulot pour que l’on obtienne gain de cause… C’est pour ça que je suis avec eux ». « C’est faux ce que tu dis, rétorque son ami Imad, cigare entre les doigts. Si 500 personnes agissent de cette façon, les banques n’auront plus d’argent et nous allons en payer le prix… » Il va même jusqu’à soupçonner que cette série de braquages a été orchestrée par les banques pour justifier une nouvelle baisse de rideaux. Hier, l’Association des banques du Liban a annoncé une fermeture de trois jours.

Même son de cloche du côté de Joseph, chauffeur de taxi, qui s’oppose à ces prises d’otages en série. « Ça montre que l’État est inexistant dans ce pays », s’énerve ce sexagénaire. Amal, qui réside à Chehim, l’une des villes où a eu lieu un braquage hier par un officier armé des Forces de sécurité intérieure, est effrayée par la situation. « Je ne comprends pas, pour les gens, c’est un héros… » se désole-t-elle. Son pays, pour elle, est devenu une « jungle » où règne la loi du plus fort. « Ça envoie un message clair, que ceux qui utilisent la force obtiendront ce qu’ils demandent… C’est terrible », dit-elle.

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Face aux braquages, les banques se barricadent

Cela fait plusieurs jours que Fatima doit effectuer une opération à la banque. Mais depuis la prise d’otages de Bassam S.H. à la Federal Bank de Hamra pour régler les frais d’hospitalisation de son père, le 12 août, elle préfère éviter de multiplier les allers-retours au guichet. Ces séries de braquages la mettent hors d’elle. « Ce n’est pas le bon moment, nous avons des scolarités à payer », raconte cette mère de deux enfants qui vit dans la Békaa. « Ils auraient pu faire ça durant le soulèvement », poursuit-elle. De quoi énerver d’autant plus Fatima qui devra attendre une semaine de plus pour pouvoir retirer son argent, « alors que j’ai des frais à régler ». Corinne, mère de famille qui réside à Achrafieh, s’oppose elle aussi à ces braquages, mais elle comprend le désespoir des déposants. « Ils ne devraient pas agir de la sorte… Mais bon, ce n’est pas de leur faute », lance-t-elle.

Manal, une esthéticienne de Tarik Jdidé, où l’un des braquages a eu lieu, s’active, fil entre les lèvres, pour dessiner les sourcils de sa cliente. Toutes les deux discutent de ces prises d’otages en série. Les temps ont changé au Liban. En temps normal, elle n’aurait pas manqué de juger sévèrement ces actes. Mais aujourd’hui, « on ne distingue plus le bien du mal… Et puis, est-ce si mal que ça de reprendre son propre argent ? ».

Hélène, la soixantaine, est scotchée devant sa télé depuis les premières heures du premier braquage. Dans son appartement du Metn, ça fait des heures qu’elle suit les cinq casses pour le moins atypiques : leurs auteurs étant simplement là pour retirer leur épargne. Au fur et à mesure que les chaînes d’information égrènent les montants en « dollars frais »...

commentaires (4)

Il faut être clair et ferme: ce n'est nullement leur droit de braquer les banques, car ils portent atteinte aux droits des autres déposants.

Esber

19 h 22, le 17 septembre 2022

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Commentaires (4)

  • Il faut être clair et ferme: ce n'est nullement leur droit de braquer les banques, car ils portent atteinte aux droits des autres déposants.

    Esber

    19 h 22, le 17 septembre 2022

  • La seule solution est de forcer les banques , physiquement si nécessaire a trouver une solution a cette situation QU'ELLES ONT CRÉÉ ...si on attend patiemment elles ne feront rien pendant 20 ans

    Emile G

    18 h 19, le 17 septembre 2022

  • Ceux qui acclament les braqueurs aujourd'hui, se verront dépourvus de leurs propres dépôts demain, l puisque les autres ont nettoyés les caisses des banques. Bravo les imbéciles, continuez vos bêtises.

    Esber

    11 h 17, le 17 septembre 2022

  • Quand les banques « prêtent » notre argent à l’état (profond) qui à son tour le « prête » à ses maîtres de Damas à Téhéran, l’imbécile s’en prend aux banques. Les braqueurs n’ont pas retiré leur argent, ils ont retiré ce qui reste de l’argent de leurs concitoyens. Au lieu de braquer des banques, emparons nous des armes du Hezbollah, revendons-les, et là on aura fait un geste vraiment courageux qui nous aura permis de retrouver un peu de NOTRE argent.

    Citoyen libanais

    08 h 13, le 17 septembre 2022

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