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Nos Lecteurs ont la Parole

L’humanisme sublime de Beethoven sous le prisme de la musique classique

L’humanisme sublime de Beethoven sous le prisme de la musique classique

Photo commons.wikimedia.org

La musique a tendrement bercé l’humanité depuis la nuit des temps. La Grèce antique, notoirement connue pour son amour démesuré de la musique, développe des notions primaires de notations rythmiques pour les intonations vocales et instrumentales. C’est cependant durant l’époque médiévale, grâce à la ferveur religieuse, que la musique entame véritablement son ascension majestueuse vers le summum de l’art divin. En effet, des esprits éclairés par la foi chrétienne décident de codifier de façon systématique les notes rythmiques pour ensuite les transcrire sur des partitions. Cette dévotion pour la musique mystique est attisée par le désir ardent de diffuser, d’harmoniser et de préserver les chants célestes. C’est ainsi que la musique savante voit le jour avec ses structures cohérentes et ses formes élégantes.

Suite à l’apparition de l’imprimerie au XVIe siècle, la musique instrumentale connaît un essor considérable. Le début du XVIIe siècle voit la naissance de la musique baroque avec son esprit vigoureux et fougueux, ainsi que son style variable et malléable. Elle prend fin en apothéose au beau milieu du XVIIIe siècle avec la disparition du grand Bach (1685-1750). La période qui s’étend du milieu du XVIIIe siècle au premier quart du XIXe siècle est celle de la musique classique qui met en exergue l’harmonie et la symétrie du rythme. Cette époque engendre de prodigieux compositeurs, comme Mozart (1756-1791) et Haydn (1732-1809). Ces génies de la mélodie se distinguent singulièrement par leurs prouesses remarquables et leurs œuvres admirables.

L’avènement de Beethoven (1770-1827) bouleverse le monde de la musique classique par son audace futuriste et avant-gardiste. Si Bach souhaite profondément communiquer avec Dieu au travers de sa musique, Beethoven par contre désire ardemment s’adresser à toute l’humanité. Faisant fi des coutumes de l’époque, Beethoven considère que la musique classique ne devrait pas se limiter à une simple expression de divertissement et d’enchantement. Elle devrait aussi véhiculer des convictions et des opinions nobles qui permettent à l’homme de se transcender, de surmonter ses épreuves et d’aspirer à un monde meilleur. C’est dans cette perspective que la musique de Beethoven pave la voie à l’ère romantique qui se veut plus passionnée et plus engagée que la musique classique.

Spécifiquement, les neuf symphonies de Beethoven représentent la quintessence de son génie gracieux avec leurs extraordinaires concentrés de beauté et d’intensité, de plainte et de crainte, de furie et d’euphorie.

L’éblouissante Symphonie n° 1 est un jaillissement de soleil et de merveille dont les racines puisent encore dans le classicisme traditionnel de Haydn et Mozart. Toutefois, la symphonie introduit une bonne dose d’originalité. Dès la première mesure, Beethoven déroute l’auditoire par l’impertinence et la dissonance du ton de la musique. De même, l’audience augure qu’un vent de changement est en train de se déclencher lorsque Beethoven donne une plus grande centralité aux instruments à vent. Cette insolence incite un critique de l’époque à s’élever contre ce qu’il considère comme « l’explosion désordonnée de l’outrageante effronterie d’un jeune homme ».

L’impétueuse Symphonie n° 2 est une sorte d’introspection humaine pleine de saveur et de vigueur. Elle débute sur un rythme lent et théâtral pour finalement culminer sur une note fougueuse animée par l’exubérante fièvre beethovénienne. Le compositeur au génie inouï, probablement ébranlé par la perte de plus de 50 % de son ouïe, désire éloquemment extérioriser une indignation et une frustration trop longtemps contenues par un mutisme poignant et pesant.

L’épique Symphonie n° 3, dite « Héroïque », est une glorification d’un héros qui endosse des idéaux républicains semblables à ceux de la Révolution française, en l’occurrence « liberté, égalité et fraternité ». D’ailleurs, la symphonie est initialement dédiée à Bonaparte avant qu’un Beethoven dépité par le couronnement de l’empereur ne le raye furieusement de sa dédicace. Elle débute avec des accords secs qui invoquent les coups de canon. Par la suite, une mélodie chaleureuse se répand subtilement dans les violoncelles pour ensuite s’élancer vers les trompettes et les clarinettes en un crescendo qui enflamme magistralement tout l’orchestre. La symphonie évoque par la suite le décès du héros pour finalement conclure sur une note d’espoir.

La divine Symphonie n° 4 aborde le mystère de la création. Chacun des quatre mouvements aborde une atmosphère différente. Dans le premier mouvement, il y a de la lenteur énigmatique. Dans le deuxième, il y a de la noblesse mythique. Dans le troisième, il y a de l’explosion rythmique. Dans le quatrième mouvement, il y a de la jubilation hystérique.

La mythique Symphonie n° 5 fait référence au destin féroce et atroce qui frappe de plus en plus fort à la porte de l’homme. Le compositeur fait à nouveau allusion à sa surdité sordide qui augmente crescendo avec le passage du temps. L’ouverture de la symphonie est donc « pompeuse » avec ses fameuses trois notes brèves suivies d’une longue « pom pom pom pooom ». Il s’ensuit un solennel crescendo d’une somptuosité exquise qui suscite l’interpellation et le frisson, l’admonition et l’intimidation, l’exaltation et la passion. La musique atteint son paroxysme dramatique lors du quatrième et dernier mouvement pour célébrer fastueusement le triomphe suprême de l’homme.

La magistrale Symphonie n° 6, dite « Pastorale », est une mélodie effervescente chargée de passion et d’émotion. Elle décrit le rapport sensuel entre l’homme et une nature envoûtante et déroutante. Exceptionnellement, elle comporte cinq mouvements au lieu de quatre. Durant les trois premiers mouvements, elle brosse le portrait mystique d’une campagne rustique. On y découvre alors un monde multicolore et multiforme de beauté, de sérénité et de liberté. Soudainement, sans crier gare, l’orage s’invite par un brusque crescendo lors du quatrième mouvement souligné par de grands roulements de timbales. La tempête se calme momentanément avant qu’un nouveau crescendo présage un second orage encore plus violent et plus virulent que le précédent. Finalement, la tempête s’estompe lors du cinquième mouvement pour faire de nouveau place à la féerie du chant pastoral.

La spectaculaire Symphonie n° 7 est révolutionnaire au niveau du langage. C’est une œuvre sous le signe d’une danse profane qui célèbre le triomphe de la lumière sur l’obscurantisme, de la vie sur la mort. Le premier mouvement (le poco sostenuto) démarre doucement sur un rythme langoureux, le deuxième et très populaire mouvement (l’allegretto) en une sorte de procession funèbre chargée de lourds pressentiments. Le troisième (le presto) diverge de manière tranchante avec les morceaux précédents par son rythme rapide. Le quatrième (l’allegro con brio) est une grande finale avec une cadence frénétique et une ambiance euphorique.

La magnifique Symphonie n° 8 est un assemblage indiscernable de sensations, d’émotions et de contradictions. À l’image de son compositeur, elle est pleine de finesse et de tendresse, d’amour et d’humour, d’originalité et d’excentricité.

L’apothéotique Symphonie n° 9 est une œuvre mythique que Beethoven achève alors qu’il est complètement sourd. Elle représente un appel vibrant et poignant à la conscience humaine, en l’occurrence la paix, la bonté et l’unité. Son emblématique Hymne à la joie (la finale du quatrième et dernier mouvement) est inspiré des paroles du poème de Schiller : « L’homme est pour tout homme un frère. Que tous les êtres s’enlacent ! Un baiser au monde entier ! » Pour agrémenter sa dimension humaine, le compositeur pourvoit l’hymne de solistes chanteurs et d’un chœur. C’est une initiative fort audacieuse car c’est la première fois qu’une idée est vocalisée dans une symphonie.

En somme, à travers le prisme de ses œuvres, Beethoven exhorte les hommes de bonne volonté à bâtir un monde plus harmonieux et moins haineux, plus cohérent et moins sanglant, plus charnel et moins superficiel. En d’autres termes, ce sourd au cœur d’or déploie noblement son talent infini pour cultiver un humanisme sublime. À peu près deux siècles se sont écoulés depuis le décès de Beethoven, et son rêve d’un monde meilleur tarde à se concrétiser sur terre. L’homme moderne est devenu obnubilé par l’argent et le rendement. Il n’a plus le temps ni de rêver ni d’aimer. Il devient semblable à un avatar anesthésié et désensibilisé en manque de pureté, d’immensité, de sécurité, de créativité et de spiritualité.

D’aucuns prétendent que l’intelligence artificielle pourrait éventuellement créer une musique aussi féerique et magique que celle de Beethoven. Cette pensée relève de l’utopie. La musique de Beethoven est inimitable car elle jaillit spontanément d’un cœur sain qui sent l’humain. C’est cette dimension humaine qui rend le compositeur si unique et si emblématique dans le monde de la musique classique. Comme il le dit un jour à un riche aristocrate prétentieux et orgueilleux : « Prince, ce que vous êtes, vous l’êtes par le hasard de la naissance. Ce que je suis, je le suis par moi-même. Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers. Il n’y a qu’un Beethoven. »

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

La musique a tendrement bercé l’humanité depuis la nuit des temps. La Grèce antique, notoirement connue pour son amour démesuré de la musique, développe des notions primaires de notations rythmiques pour les intonations vocales et instrumentales. C’est cependant durant l’époque médiévale, grâce à la ferveur religieuse, que la musique entame véritablement son ascension...
commentaires (2)

Je relis ce pavé et je me frotte les yeux: "L’avènement de Beethoven (1770-1827) bouleverse le monde de la musique classique par son audace futuriste et avant-gardiste". Je veux bien que cet avènement ait bouleversé la musique. Mais la musique "classique" qui forcément n'est classique que rétrospectivement ? Peut-être que l'auteur voulait dire "musique occidentale" (parce qu'en effet Beethoven n'a pas, en tous cas sur le moment, bouleversé les musiques d'ailleurs) ...

M.E

13 h 52, le 10 septembre 2022

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Commentaires (2)

  • Je relis ce pavé et je me frotte les yeux: "L’avènement de Beethoven (1770-1827) bouleverse le monde de la musique classique par son audace futuriste et avant-gardiste". Je veux bien que cet avènement ait bouleversé la musique. Mais la musique "classique" qui forcément n'est classique que rétrospectivement ? Peut-être que l'auteur voulait dire "musique occidentale" (parce qu'en effet Beethoven n'a pas, en tous cas sur le moment, bouleversé les musiques d'ailleurs) ...

    M.E

    13 h 52, le 10 septembre 2022

  • Pépère, Beethoven est tout ce que tu veux sauf l'homme d'une sorte de modestie de bon aloi où ses combats seraient bornés par l'adverbe moins ("moins haineux, moins sanglant, moins superficiel")

    M.E

    13 h 53, le 08 septembre 2022

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