Entre « les caractéristiques du président idéal » formulées par le patriarche maronite Béchara Raï, les souhaits du leader druze Walid Joumblatt de trouver « un nouveau Élias Sarkis » et les rumeurs qui circulent sur la nécessité de choisir un profil comme « celui d’Élias Hraoui », la déclaration du chef des Forces libanaises lundi sur la nécessité d’élire « un président de défi », en particulier face au Hezbollah et au Courant patriotique libre, a créé la surprise. La question qui s’est aussitôt posée sur la scène politique et médiatique est de chercher à deviner les raisons de la position de Samir Geagea qui semble à contre-courant de la tendance générale à l’apaisement. D’autant qu’il y a quelques semaines à peine, le chef des FL avait lui-même déclaré à la presse qu’il pourrait appuyer la candidature du commandant en chef de l’armée à la présidence, si certaines conditions étaient réunies. Il n’avait pas précisé lesquelles, mais certains milieux politiques avaient alors estimé qu’il s’agirait d’une manœuvre visant à affaiblir les chances du général Joseph Aoun, sous prétexte que si ce dernier bénéficie de l’appui des FL, cela devrait susciter la méfiance du Hezbollah.
Mais pourquoi avoir autant haussé le ton lundi, allant jusqu’à rejeter toute idée de candidat de compromis ? Les réponses à cette question varient selon l’orientation de chaque partie. Pour les milieux proches du Courant patriotique libre, Samir Geagea a sciemment adopté des positions extrêmes pour chercher à se trouver un rôle dans le processus de l’élection présidentielle, en s’imposant comme un interlocuteur incontournable, surtout après la visite de Gebran Bassil samedi à Dimane et après les informations non confirmées sur ses déplacements et ses rencontres importantes à l’étranger (notamment en France, en Turquie et au Qatar). Selon ces mêmes sources, le chef des FL considérerait que son principal adversaire à l’heure actuelle est Gebran Bassil, car sans ce dernier, tout candidat sérieux aurait besoin de l’appui du « plus grand groupe parlementaire chrétien ». Il aurait donc sciemment choisi d’adopter une position extrême pour se démarquer d’abord, et ensuite pour montrer qu’il est conséquent avec lui-même et qu’il poursuit son combat sans faiblir, comptant sur cette position pour gagner davantage de popularité chez les chrétiens.
Pour les milieux proches du Hezbollah, Samir Geagea aurait adopté cette position en flèche parce qu’il souhaite s’imposer sur la scène locale, régionale et internationale comme la seule personnalité maronite qui ose affronter le parti chiite jusqu’au bout. Un peu comme c’était le cas lors des incidents de Tayouné en octobre dernier entre des partisans du tandem chiite et des jeunes proches des FL. Mais, toujours selon ces mêmes milieux, le chef des FL serait ainsi en train de jeter de la poudre aux yeux. Car non seulement il n’est pas en mesure de déclencher un affrontement armé avec le Hezbollah, mais de plus, il ne bénéficie pour cela d’aucun appui concret extérieur. Sur le plan régional, les différents acteurs sont en effet trop occupés par les changements et les négociations en cours, essayant de se tailler une place dans les nouveaux rapports de force qui se profilent à l’horizon. Dans ce contexte, même les États du Golfe, et en particulier le royaume saoudien, ne veulent pas prendre position au sujet de l’échéance présidentielle libanaise et n’entendent pas pour l’instant être entraînés à le faire. Ils sont en négociations avec l’Iran, et si celles-ci avancent, ils préfèrent que les concessions soient adressées directement aux Iraniens. De même, sur le plan international, le monde a d’autres enjeux avec la guerre en Ukraine et la tension entre les États-Unis et la Chine pour s’intéresser aux détails internes libanais. Selon les cercles du Hezbollah, les FL mèneraient donc une bataille sans perspective dans le contexte actuel.
Pour les milieux centristes, la position de Samir Geagea est à contre-courant de la tendance générale qui n’est pas à la confrontation. Au contraire, la plupart des acteurs libanais concernés par l’échéance présidentielle – qu’il s’agisse de Bkerké ou d’autres parties influentes comme Nabih Berry, Walid Joumblatt, Dar el-Fatwa... – sont à la recherche de figures en mesure de dialoguer avec toutes les parties. C’est pourquoi, selon ces milieux, soit les FL mènent un combat d’arrière-garde, qui est par conséquent perdu d’avance, soit elles sont en train de hausser le ton pour que le dialogue se fasse avec elles. Selon des sources diplomatiques, le chef des FL aurait d’ailleurs proposé des noms de personnalités considérées comme non provocatrices au cours de certaines rencontres avec des diplomates, sans doute pour tâter le terrain. Mais peut-être qu’au final, toujours selon les milieux centristes, il serait convaincu qu’un candidat dit de défi n’a pas vraiment de chances d’être élu dans le contexte actuel et surtout par le Parlement actuel au sein duquel la multitude de minorités rend nécessaire la conclusion d’un accord minimal, ne serait-ce que pour assurer le quorum requis. À moins que le chef des Forces libanaises n’ait choisi de prôner l’idée d’« un candidat de défi » parce qu’il est convaincu que le pays se dirige vers une vacance présidentielle. Ce qui est sûr, c’est que le paysage politique ne devrait commencer à se préciser que vers la fin de septembre.
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Oui aux confrontations entre nos leaders. Non aux confrontations dans le peuple. Jusqu’à présent nos jeunes sont morts parce qu’ils ont trop cru et fait aveuglément confiance à leurs leaders. Ceux-là faisaient entre eux de bonnes affaires et se protégeaient mutuellement. L’hypocrisie des accords est à mon avis absolument inacceptable. Nous voulons des projets que l’on réalise et pas d’accords
Khazzaka May
10 h 06, le 19 août 2022