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Lifestyle - Page Blanche

Faire ses adieux

Faire ses adieux

Photo M.A.

Les rituels du deuil au Liban sont ce qu’ils ont toujours été. Des instants nécessaires pour permettre à ceux qui restent de supporter la douleur. Si la veillée funèbre n’est plus de coutume que dans certaines familles, les condoléances sont toujours présentes. Mais, malheureusement, avec la pandémie, les choses ont beaucoup changé. Et même si, aujourd’hui, on peut à nouveau se rendre dans un salon afin de montrer respect et affection aux endeuillés, certains préfèrent communiquer par messages ou envoyer des fleurs. On n’assiste plus forcément à l’enterrement, et avec, à nouveau, la recrudescence des cas de Covid-19, on peut regarder la messe via une vidéo, envoyer une couronne ou passer un coup de fil afin de rendre hommage à celui ou celle qui est parti(e). Mais ce ne sont pas seulement les habitudes qui se sont transformées. Les mentalités le sont devenues également. Et, un peu comme dans d’autres régions du monde, les hommages se font différemment. Au lieu de pleurer ou de garder le silence, vêtus de noir, en écoutant un prêtre ou un cheikh faire son prêche, certains ont décidé de célébrer la vie du défunt.

Il y a quelques jours, j’ai assisté à une commémoration, la première du genre. Dans un jardin où se trouvaient amis et membres de la famille d’une jeune femme décédée dans un accident de voiture, son frère a décidé de se remémorer les moments heureux qu’il a partagés avec sa sœur. Féru de musique, compositeur et interprète, il a organisé un miniconcert dont les bénéfices revenaient à une ONG assurant des cours en ligne à ceux qui ne peuvent pas ou plus se rendre à l’école et qui a créé un module de chant au nom de la jeune femme. Jeune femme qui chantait divinement bien. Là, au milieu d’une foule, les émotions se sont mêlées harmonieusement. Il y avait des larmes et des sourires bercés par une chanson composée par le jeune homme et sa sœur, ses morceaux préférés et les créations d’un duo dont le succès n’est plus à démontrer. Nous avons trinqué en son nom. Trinqué à la vie. Parlé d’elle et de nos souvenirs. Évoqué les accidents de la route en disant à nos proches de faire attention au volant. Nous avons chanté à l’unisson, la voix tremblante, parce que rien ne peut transcender nos sentiments aussi bien que la musique. Et nous avons dansé, les bras levés au ciel ou les bras dans ceux des autres, une fois le concert terminé. Les DJ présents, amis de la jeune femme, ont passé des morceaux qui évoquaient un passé qu’on a tendance à penser révolu. Tout le monde souriait. Tout le monde souriait parce que c’est comme ça qu’on veut se souvenir de quelqu’un. Pas en serrant des mains et en ne parlant que quelques minutes avec la famille, dévastée par le décès. Pas en formulant les mots d’usage ou en se taisant parce qu’on ne trouve pas les mots. Pas en écoutant un homme de foi déblatérer des inepties sur la mort, Dieu et cette personne qu’il ne connaissait pas. Pas en regardant qui porte quoi ; qui est venu, qui ne l’est pas ; si les sandwiches sont bons ou pas. Là, dans ce jardin, au coucher du Soleil, c’était beau. Beau, vivant, plein d’amour. Et chaque personne présente n’a fait qu’apprécier ce moment. Un moment de retrouvailles avec des gens perdus de vue, des amis d’enfance, des jeunes qui ont grandi. C’était beau parce que, aujourd’hui, nous avons besoin d’exulter. Exulter la mort, la souffrance, la tristesse et la peur. Parce que nous avons besoin de nous sentir exister. Exister au-delà de tout ce que nous traversons et des tragédies qui nous frappent. C’était beau, comme ces textes que l’on peut lire parfois sur les réseaux sociaux ou dans le journal et que beaucoup ont encore tendance à critiquer, alors que chacun a le droit d’essuyer sa douleur à sa façon. De cette jeune femme, il ne nous reste plus que des images du passé et des souvenirs. Des souvenirs qui ont rejailli, ramenant à la vie ces moments de fous rires avec son père, des promenades en forêt et des chansons de Feyrouz que l’on entonnait à l’époque de l’exil. La mort fait partie de la vie, et la vie est tout ce qui subsiste.

Les rituels du deuil au Liban sont ce qu’ils ont toujours été. Des instants nécessaires pour permettre à ceux qui restent de supporter la douleur. Si la veillée funèbre n’est plus de coutume que dans certaines familles, les condoléances sont toujours présentes. Mais, malheureusement, avec la pandémie, les choses ont beaucoup changé. Et même si, aujourd’hui, on peut à nouveau se...

commentaires (3)

""Là, dans ce jardin, au coucher du Soleil, c’était beau. Beau, vivant, plein d’amour."" Les adieux touchants sont beaux, surtout au Liban. Le miniconcert est de l'initiative d'un jeune frère à sa sœur, c'est que dans ce milieu d'artistes qu'on peut se permettre ce genre d'initiative, mais l'histoire ne dit pas si le cheikh ou le curé étaient parmi les invités. L'évolution n'est pas à son terme, car il faut le recours aux religieux pour les formalités, si je ne me trompe pas. Ainsi donc on ne vient pas aux funérailles pour un "fist bump", ou de renouer le dialogue, pour une réconciliation entre familles déchirées par tant de litiges d'indivision. Bien sûr il y mille façons de se rappeler les moments heureux, et c'est beau un miniconcert pour faire son deuil. Ça aussi, c'est du paraître. Les meilleurs enterrements se font dans l'intimité familiale, au cercle strict des proches.

Nabil

15 h 51, le 28 juillet 2022

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Commentaires (3)

  • ""Là, dans ce jardin, au coucher du Soleil, c’était beau. Beau, vivant, plein d’amour."" Les adieux touchants sont beaux, surtout au Liban. Le miniconcert est de l'initiative d'un jeune frère à sa sœur, c'est que dans ce milieu d'artistes qu'on peut se permettre ce genre d'initiative, mais l'histoire ne dit pas si le cheikh ou le curé étaient parmi les invités. L'évolution n'est pas à son terme, car il faut le recours aux religieux pour les formalités, si je ne me trompe pas. Ainsi donc on ne vient pas aux funérailles pour un "fist bump", ou de renouer le dialogue, pour une réconciliation entre familles déchirées par tant de litiges d'indivision. Bien sûr il y mille façons de se rappeler les moments heureux, et c'est beau un miniconcert pour faire son deuil. Ça aussi, c'est du paraître. Les meilleurs enterrements se font dans l'intimité familiale, au cercle strict des proches.

    Nabil

    15 h 51, le 28 juillet 2022

  • Malheureusement il n'y a qu'au Liban que les funérailles sont des occasions de rencontre et des parades vestimentaires de tout genre!

    Carole Chelhot

    13 h 35, le 28 juillet 2022

  • Emouvant....Toute mon admiration. pour des initiatives caricatives innovantes de ce genre... que de defiler dans les salons de deuils en repetant:...M'as-tu vu? Fake ceremonies ..helas... ......et sinceres condoleances

    Monique Haddad

    07 h 45, le 28 juillet 2022

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