Première réunion plénière du Parlement élu aux législatives du 15 mai. La séance s'est ouverte mardi à 11h, place de l'Etoile dans le centre-ville de Beyrouth et a été marquée par des échanges acerbes entre députés de différents bords, ce qui n'a pas empêché les parlementaires d'adopter une loi aménageant le secret bancaire, lui permettant de lever ce secret, en vigueur depuis 1956 au Liban, dans plus de situations que celles prévues actuellement.
En outre, sept députés membres de la Haute Cour de justice, une juridiction d'exception chargée de juger les ministres et les présidents, ont été élus d'office. En marge de cette séance parlementaire, des proches des victimes de l'explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth ont tenu un sit-in près de l'Hémicycle pour s'opposer à l'élection des députés, accusant la Haute Cour d'être politisée. Les parlementaires ont également adopté plusieurs textes de l'ordre du jour composé de 40 points, comme l'approbation d'un prêt de la Banque mondiale (BM) pour l'importation du blé, dans un Liban en plein effondrement économique depuis 2019.
Le secret bancaire
Lors de la réunion du matin, les députés se sont donc penchés sur la mouture du projet de loi aménageant le secret bancaire, qu'ils ont adoptées après lui avoir apporté quelques amendements. "La démarche que nous avons choisie consiste à maintenir le secret bancaire au rang de principe, mais à allonger la liste des exceptions légales possibles", avait alors expliqué le député Ibrahim Kanaan (Courant patriotique libre CPL, aouniste), président de cette commission. A la chaîne de télévision locale MTV, M. Kanaan a déclaré que l'adoption des aménagements est "un pas en avant pour les réformes, que la communauté internationale doit évaluer de manière positive". Ce texte fait en effet partie des lois réclamées pour débloquer des aides financières destinées à un Liban en crise. Il a encore appelé le cabinet, qui doit être formé, à plancher sur un projet de restructuration du secteur bancaire "afin de compléter ce que nous avons fait" et à ne pas se contenter "de jeter des lois au Parlement".
Selon notre correspondante Hoda Chedid, plusieurs diplomates ont assisté à la séance, notamment l'ambassadrice des États-Unis au Liban Dorothy Shea. Ces diplomates appellent régulièrement les autorités à prendre des mesures de redressement économique, notamment pour satisfaire les exigences du Fonds monétaire international (FMI) avec lequel le Liban a signé un accord préliminaire, qui prévoit une assistance financière.
"Assieds-toi et tais-toi"
Malgré la présence de diplomates, la séance s'est déroulée dans une ambiance tendue, sur fond d'échanges acerbes entre députés. "Assieds-toi et tais-toi", a lancé le président du Parlement, Nabih Berry, à la députée Halimé Kaakour, issue de la contestation populaire, lorsque celle-ci a demandé la parole lors d'un vote. "C'est quoi cette façon patriarcale de faire?", s'est indignée l'élue. Le député Farid Haykal el-Khazen a alors demandé que le mot "patriarcale" soit barré du compte-rendu de la réunion, et a obtenu gain de cause. "Patriarcale ne fait pas référence au patriarche" maronite Béchara Raï, a lancé, sur un ton ironique, la députée Paula Yacoubian, elle aussi issue de la contestation, en s'adressant à M. Khazen, "cela veut dire condescendant".
La tension est ensuite montée d'un cran, des échanges à haute voix ayant été signalés, notamment entre la députée Cynthia Zarazir (contestation) et l'élu Kabalan Kabalan (mouvement chiite Amal), qui l'a qualifiée de "députée-cafards", dans un jeu de mot en arabe sur le nom de famille de la députée, "sarasir" signifiant "cafards" au pluriel en arabe. "Certains députés sont là pour susciter des problèmes", a alors dit le président de la Chambre.
Haute Cour de justice
En début de séance, le Parlement a élu d'office les députés qui siégeront à la Haute Cour de justice. Il s'agit de Jamil Sayyed, Abdel Karim Kabbara, Fayçal Sayegh, Hagop Pakradounian, Georges Atallah, Imad el-Hout et Tony Frangié. Kabalan Kabalan et Salim Aoun ont été élus membres suppléants. M. Sayegh, membre du Parti socialiste progressiste (joumblattiste), a toutefois annoncé dans la soirée qu'il se retirait de cette Cour. Aucune précision n'a jusqu'à présent été donnée concernant les raisons de ce retrait.
Plusieurs responsables, notamment du tandem chiite Amal-Hezbollah, avaient appelé à activer la Haute Cour de justice pour juger les responsables poursuivis dans le cadre de l'enquête sur les explosions meurtrières au port de Beyrouth. Une proposition considérée comme une tentative de soustraire ces personnalités à l’action du juge Tarek Bitar, en charge du dossier. Outre les sept parlementaires, la Haute Cour de justice est composée de huit des plus hauts magistrats pris par ordre hiérarchique ou, à rang égal, par ordre d’ancienneté. Elle est présidée par le juge le plus haut placé. Les verdicts de cette instance doivent bénéficier d'une majorité de dix voix sur quinze. À ce jour, la Haute Cour de justice n’a pas encore exercé ses fonctions, puisque depuis sa création dans les années 20, aucun président et aucun ministre n’ont été poursuivis dans l'exercice de leur fonction.
"L'élection des membres de la Haute Cour de justice est une hérésie et un jeu satanique de leur part, pour se dérober à l'enquête", a dénoncé l'une des proches des victimes, en lisant une déclaration qui fustige les dirigeants politiques à l'issue de leur sit-in. "Cela ne passera pas", a-t-elle prévenu, dénonçant une instance "politique, fictive et illusoire". "Comment un criminel peut-il s'autojuger ? Comment un juge peut-il s'autojuger ?", a-t-elle lancé.
"Cette Haute Cour est stérile et inefficace et inutile, c'est un cimetière pour la reddition des comptes", a fustigé le chef des Kataëb, le député Samy Gemayel, en s'adressant à M. Berry. "Vous pouvez modifier la Constitution", lui a alors répondu le chef du Parlement. "C'est ce que nous demanderons", lui a rétorqué M. Gemayel. Les députés de son parti, ceux des Forces libanaises de Samir Geagea, ainsi que les treize parlementaires issus de la contestation se sont abstenus lors de l'élection des membres de la Cour.
Importation de blé
Sur le plan économique, le Parlement a validé un prêt de 150 millions de dollars de la Banque mondiale pour financer l'importation de blé, alors que le pays subit de graves pénuries de farine et de pain. Ce prêt doit s’étendre sur "sept à neuf mois", selon les détails fournis récemment à L’Orient-Le Jour par le ministre sortant de l’Économie et du Commerce, Amine Salam, et permettre de "financer l’approvisionnement du pays en blé et contribuer à maintenir un prix du pain abordable pour les ménages pauvres et vulnérables", avait de son côté expliqué un porte-parole de la BM à L’Orient Today en mai.
L'approbation de ce prêt ne s'est pas faite sans que certains députés, dont Ibrahim Kanaan, ne soulèvent plusieurs questions, notamment celle de savoir si la Direction générale des céréales et de la betterave sucrière est compétente pour ouvrir une ligne de crédit pour l'importation du blé. Selon M. Kanaan, cela relève du ministère des Finances. D'autres élus ont affirmé que le prêt de la BM bénéficiera "aux étrangers", en référence aux réfugiés, notamment syriens, présents au Liban. "La plus grande partie du pain produit bénéficie à des non-Libanais, et tout le monde le sait", a renchéri le Premier ministre désigné, sans apporter de preuve à ses allégations.
Les craintes pour la sécurité alimentaire, déjà fortes en raison de la crise dans le pays, se sont exacerbées depuis le début du conflit entre l’Ukraine et la Russie le 24 février, tous deux exportateurs majoritaires de céréales au Liban et dans la région, qui a mis à l’arrêt ces exportations. Lundi toutefois, l’ambassadeur ukrainien au Liban, Ihor Ostach, a informé le ministre sortant des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, que son pays allait reprendre ses livraisons de blé au Liban "dès cette semaine", suite à la signature d’un accord avec la Russie à ce propos vendredi dernier.
Dans ce contexte, le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), le député Gebran Bassil a demandé que le Parlement adopte une recommandation pour la fin des subventions sur le blé. "La décision de mettre fin aux subventions revient au gouvernement, ce n'est pas au Parlement de le faire", lui a répondu le président de la Chambre. "Nous prenons en considération la volonté du Parlement. Si vous souhaitez la levée des subventions, alors formulez une recommandation en ce sens", a rétorqué le Premier ministre désigné, Nagib Mikati.
Depuis le début de la crise au Liban, le blé est subventionné par la Banque du Liban via un mécanisme permettant au secteur d’importer cette denrée essentielle grâce à un financement en devises au taux officiel (1.507,5 livres le dollar), à 100 % depuis le printemps 2021, et non au taux du marché parallèle (autour de 29.500 livres ces derniers jours). Un mécanisme dont le secteur craint la levée une fois le prêt de la BM mis à exécution. Le ministre sortant de l’Économie, Amine Salam, a régulièrement affirmé ces dernières semaines à L’Orient-Le Jour que, même si le prêt de la BM entre en vigueur, cette levée ne pourra se faire que de manière "progressive".
Notre correspondante indique que les députés ont en outre adopté le projet de loi n°8952 qui permet d’ouvrir un crédit supplémentaire de 10.000 milliards de livres libanaises dans le projet de budget 2022. Selon un communiqué de presse du ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, cette somme inclut notamment des frais de transport destinés aux militaires et aux fonctionnaires, des frais médicaux ou encore des frais destinés à l’Université libanaise, à travers le ministère de l’Education. Le budget 2022 a été voté par le gouvernement Mikati en février dernier et n’a été envoyé à la commission des Finances qu’un mois plus tard. La commission demandait depuis avril les clarifications sur la ligne de crédit de 10.000 milliards de livres et sur les taux de change. Quoi qu’il en soit, l’adoption du budget par le Parlement se fera hors des délais constitutionnels, alors que ce texte constitue une des exigences pour l’octroi d’un prêt de 3 milliards de dollars sur quatre ans du FMI.
Les parlementaires ont approuvé, entre autres, un projet de loi portant sur la coopération avec Chypre pour la lutte contre les incendies, de nombreux feux ravageant chaque année de grands espaces verts au Liban. Par ailleurs, des propositions de loi visant à préserver les silos à blé du port de Beyrouth ont perdu leur caractère de double urgence, suite à un vote en ce sens des députés. Cette caractéristique leur permettait d'être proposées au vote en séance plénière sans être étudiées en commissions. Les textes doivent donc être renvoyés devant les commissions adéquates.
Lors de la séance, le Premier ministre désigné a également assuré que son équipe "suit de près" la question des aides aux fonctionnaires qui sont en grève depuis plus d'un mois, "afin de leur assurer des solutions dans la mesure du possible". Des solutions pour ce dossier sont attendues mercredi. "Nous faisons notre possible mais nous n'avons pas les moyens nécessaires pour cela", a-t-il reconnu.
Frontière maritime
Lors de la séance du soir, deux propositions visant à amender une loi de 2011 sur le tracé de la frontière maritime, afin de prendre officiellement en compte la ligne 29 comme délimitation de la Zone économique exclusive (ZEE) du Liban, ont perdu leur caractère de double urgence. D'après la députée Halimé Kaakour, seuls les treize députés "du changement", Oussama Saad, Abderrahmane Bizri et Hassan Mrad ont voté pour que ces propositions gardent leur caractère de double urgence. "La ligne 29 n'intéresse personne, où sont la souveraineté et la résistance ?", a-t-elle écrit sur Twitter.
Réagissant sur ce sujet, M. Berry a déclaré que l'accord-cadre pour les négociations, dont il était le parrain, "ne parle pas de lignes mais de tracé et de négociations indirectes à Naqoura". "Nous nous étions mis d'accord avec le président Michel Aoun et le Premier ministre Nagib Mikati lors de la dernière réunion à Baabda pour nous rendre à Naqoura conformément à cet accord. Nous obtiendrons peut-être plus que la ligne 29, mais nous ne voulons pas parler de lignes. Nous nous contentons d'attendre l'arrivée du médiateur américain d'ici quelques jours, et nous allons revenir à Naqoura", a-t-il déclaré.
Les voleurs vendus à la rescousse de leurs compères que du beau monde. Et merci l’OLJ pour toute la censure que vous exercez un peu plus tous les jours. Vous vous surpassez.
15 h 05, le 27 juillet 2022