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Justitia Nostra

Classique est désormais ce genre de recyclage : à peine un gang de malfaiteurs a-t-il fait fortune qu’il s’empresse d’investir le gros de son butin dans des affaires parfaitement légales. En même temps que des rentrées confortables, les parrains du crime escomptent se garantir ainsi impunité et, pourquoi pas, respectabilité.


La Cosa Nostra politico-financière qui régit le Liban a fait bien mieux. C’est en amont, en effet, qu’elle entend désormais assurer ses arrières ; et cela grâce à cette Haute Cour de justice, extirpée de la préhistoire et décrétée seule compétente pour juger présidents et ministres. On ne peut plus imméritée est la ronflante appellation dont est affublée cette revenante. Vieille pourtant de près d’un siècle, cette cour n’a jamais siégé et n’a donc pas eu la moindre opportunité de tâter de la justice; c’est à croire que seuls des anges se sont succédé au fil des générations passées pour prendre en main nos destinées.


Quant à l’élévation dont se prévaut ladite juridiction, elle relève de la mauvaise plaisanterie. Aux côtés de huit magistrats de carrière, elle inclut fort fâcheusement sept députés ; ceux-là étaient précisément désignés hier par une Assemblée elle-même peu encline à évoluer dans les altitudes, comme le montrent les vulgaires vexations dont ont été victimes, de la part de leurs rustres de collègues, deux élues de la contestation. Sage précaution, en tout cas, que ces loups parlementaires installés d’autorité, de par la loi, dans la bergerie. Car jamais ces loups ne mordront les autres loups. Jamais, non plus, il ne se trouvera une majorité des deux tiers de l’Assemblée pour que puisse seulement être saisie la fantomatique juridiction.


Les parents des victimes de l’explosion de 2020 dans le port de Beyrouth ne s’y se sont pas trompés, qui voient dans ce sang nouveau injecté à un zombie en hibernation un intolérable affront au sang des justes : une claire et ignoble tentative de ménager un abri en béton pour les ministres pris en faute dans ce scandaleux massacre et déjà poursuivis, mais en vain, par le juge enquêtant sur cette affaire.


Cette aberration du système judiciaire n’est d’ailleurs pas la seule au Liban puisqu’il y existe un tribunal militaire dont la principale occupation est de sévir… contre les civils : journalistes, militants, comédiens, internautes poursuivis pour avoir usé de leur droit d’opinion et d’expression, comme le déplorent régulièrement des associations aussi sérieuses qu’Amnesty International et Human Right Watch, lesquelles font même état de nombreux cas de torture. On voit d’ici le pouvoir, aussi énorme qu’abusif, ainsi conféré, au mépris de toute démocratie, au procureur d’une instance d’exception œuvrant hors de tout état d’urgence ou de loi martiale. Avec la récente interpellation du vicaire patriarcal et archevêque maronite de Haïfa et les vifs remous auxquels elle a donné lieu, on constate aussi quelles périlleuses tensions politico-sectaires peut provoquer un magistrat notoirement mû par des considérations partisanes.


Les traîtres, les vrais, allez les chercher ailleurs, fulminait, dimanche devant les foules, le patriarche Raï. Le procureur militaire est un traître et doit être déféré devant l’Inspection judiciaire, enchaînait le chef du premier bloc parlementaire chrétien Samir Geagea. Il reste que l’absurdité de la situation ne tient guère à la seule personne d’un fonctionnaire beaucoup trop zélé : c’est l’organe du délit, le tribunal confié à sa gestion, qui fait problème et doit s’effacer.


Encore plus révoltante est l’injustice quand elle a l’impudence de se parer du bandeau de Thémis.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Classique est désormais ce genre de recyclage : à peine un gang de malfaiteurs a-t-il fait fortune qu’il s’empresse d’investir le gros de son butin dans des affaires parfaitement légales. En même temps que des rentrées confortables, les parrains du crime escomptent se garantir ainsi impunité et, pourquoi pas, respectabilité.La Cosa Nostra politico-financière qui régit le Liban...