Au-delà de son apport à la science administrative, l’ouvrage du professeur d’université Michel Tabet, La carrière du fonctionnaire en France et au Liban, que les Presses de l’Université Saint-Joseph viennent de publier, offre une réflexion nécessaire sur l’avenir de l’État libanais, à un moment particulièrement critique de l’histoire du pays. Un moment où nous constatons collectivement, avec Michel Tabet, que « nous n’avons pas réussi à édifier un État ».
Comme beaucoup d’autres institutions libanaises, la fonction publique est à bout de souffle. Comparé à une administration « en déliquescence », le magnifique édifice académique du Pr Tabet est un peu comme un code de la route dans la jungle.
Mais l’homme n’est pas du genre à baisser les bras. Appelé plusieurs fois à des postes-clés, il aura été successivement directeur du ministère de la Santé, président du Conseil supérieur de discipline, membre du Conseil supérieur de la fonction publique et directeur de l’Institut national de l’administration et du développement. Aujourd’hui à la retraite, il a incarné à tous ces postes le service public à son plus haut degré d’achèvement et d’intégrité, une conduite qui lui a valu la réputation d’être « incorruptible » et sourd à toutes les intimidations venues des sphères du pouvoir.
Au moment où s’effondrent une à une toutes les institutions de l’État, à commencer par l’administration elle-même, son ouvrage vient donc à point nommé mettre la fonction publique au cœur de toute réflexion sur la réforme de l’État et de l’administration. Au-delà de son apport à la science administrative, l’ouvrage, présenté par l’ancien ministre Joseph Chaoul, offre une réflexion nécessaire sur le devenir des grands commis de l’État libanais à un moment particulièrement critique de l’histoire du pays.
Échec de l’approche autoritaire
« Ma carrière administrative, a précisé le Pr Tabet au cours de la cérémonie de présentation de son ouvrage à l’amphithéâtre Gulbenkian (USJ), m’a permis de connaître l’administration de l’intérieur. Je constate aujourd’hui que le caractère autoritaire de la fonction publique libanaise, commandé par les impératifs de la hiérarchie qui ont primé ceux de la démocratie, n’a pas débouché sur une efficacité plus grande de l’appareil administratif. »
Et l’universitaire de diagnostiquer pour ses auditeurs les maux dont souffre l’administration « déficiente, figée, sclérosée, coûteuse, pléthorique (…), et de rentabilité de moins en moins satisfaisante, rongée par les maux et tares chroniques dont elle pâtit (clientélisme, népotisme, concussion et corruption), bref une administration qui n’est pas en prise avec son temps. »
Cet ouvrage est destiné, selon son auteur, « à servir de référence aux spécialistes du droit, notamment les magistrats, les avocats, les enseignants, les hauts responsables de la fonction publique et les réformateurs de l’administration, ainsi qu’aux chercheurs ».
Mais à côté de ce côté didactique, il y a aussi tout ce que son expérience de haut commis de l’État lui a permis d’acquérir au fil des années. Indigné par la « grève ouverte » des services publics de l’État, en flagrant délit de violation des règlements pénaux et administratifs qui devraient la sanctionner, il ne la comprend pas moins, au regard de « l’État de non-droit » qui s’est instauré au Liban avec l’effondrement de la monnaie nationale. Fort de son expérience, il est aujourd’hui favorable à l’octroi au fonctionnaire libanais du droit de se syndiquer et de se mettre en grève.
D’ailleurs, ce n’est pas sans un certain effarement qu’il assiste, avec tous les Libanais, à l’effondrement d’une administration où s’est déposée, couche après couche, la rouille de la corruption et de l’incompétence qui en ont « rongé les assises ». « Nous avons même vu les magistrats se mettre en grève », explique ce puriste, qui déplore en passant l’énorme gâchis que constituent les marchandises qui s’accumulent au port de Beyrouth, faute d’être dûment enregistrées, et les milliards de livres de pertes encourues. « Qui donc va réparer ce mouvement collectif d’arrêt de travail ? » s’exclame-t-il, appelant à la formation d’un « gouvernement de salut public ».
Un témoin direct
Du reste, il est clair pour lui que « sans la corruption politique, il n’y aurait pas eu de corruption administrative ». Il parle sans complaisance et librement du clientélisme dont il a été le témoin direct. Il évoque volontiers l’époque où, comme directeur général de la Santé, il empêchait, contre l’avis du ministre, le déversement sur le marché des diplômés de médecine au rabais.
« Je ne voudrais pas terminer ce mot sur un ton pessimiste, voire même sceptique, a conclu le Pr Tabet. Certes, nous assistons à l’effondrement de l’édifice qui n’a épargné aucun secteur. Mais il ne faut pas perdre la foi, abdiquer ou sombrer dans le désespoir. »
« La réforme de la fonction publique, pour répondre aux attentes et être efficace, ne peut se faire isolément. Elle doit être simultanée, concomitante d’une réforme d’ensemble et en harmonie avec elle. Les trois volets de cette réforme, à savoir l’État, son administration et sa fonction publique, sont liés de façon inextricable.
La réforme de la fonction publique suppose qu’une administration restructurée, modernisée, qualifiée, performante, réformée, rénovée, rajeunie, assainie, adaptée aux tâches de l’État nouveau à édifier et capable d’affronter les problèmes de notre temps, a été instituée au service du développement et des usagers. »
« La réforme de l’administration suppose, pour sa part, une réforme de l’État qui est en réalité une évolution permanente. Tout cela est conditionné par une décision ferme du pouvoir politique et une volonté incontournable. C’est à ce prix-là que le Liban nouveau sera doté d’une fonction publique nouvelle, qui devra être moins hiérarchique et plus démocratique. »
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Tant que l’état est tenu par les mêmes vendus qui, une fois un pied dans la tombe se font relayés par leurs rejetons, il n’y aurait pas d’état. Il faut les excaver et faire peau neuve avec des citoyens compétents et qualifiés mais surtout patriotes pour prétendre à une démocratie qui manque tant à ce pays devenu autocratique et bordélique. L’hérédité des fonctions et des ministères devraient être interdite par la loi et bannie une fois pour toute.
Sissi zayyat
11 h 44, le 08 juillet 2022