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Nos Lecteurs ont la Parole

Comment expliquer l’effondrement d’une société ?

Pouvoir y répondre, c’est tenter de l’éviter.

En avril 2022, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a rendu son dernier rapport, dont les conclusions se révèlent toujours plus alarmantes sur les risques climatiques pour l’humanité. Certaines de leurs prévisions peuvent nous conduire à l’effondrement de la civilisation industrielle, voire de l’humanité ou au moins de certaines sociétés. Mais qu’est-ce que l’effondrement d’une société ? Quels sont les facteurs d’effondrement ? Jared Diamond définit cinq facteurs principaux d’effondrement, même s’il est critiqué pour son approche par certains auteurs, d’autres ajoutent d’autres causes. Comprendre le passé s’avère donc nécessaire pour continuer à avoir un avenir.

Quelles sont les causes de l’effondrement d’une société ? Pour Jared Diamond, les cinq principaux facteurs déclencheurs d’effondrement relèvent des changements climatiques, de la mauvaise gestion environnementale, des conflits avec des peuples extérieurs, du manque de soutien économique des voisins et des mauvaises décisions des dirigeants du fait de leurs rigidités culturelles et idéologiques. Tainter y ajoute la trop grande complexification des sociétés, Motesharrei, les inégalités économiques, tandis que Marx privilégie la lutte des classes fondée principalement sur les inégalités des rapports de propriété. Selon nous, il y a plusieurs facteurs-clés à prendre en compte pour définir l’effondrement. Les critères-clés relèvent donc de l’éparpillement du pouvoir (versus sa centralisation), de la nature nouvelle de l’ethnie des nouveaux dirigeants, du territoire, des structures essentielles de la société, de la vitesse (versus la lenteur), du quantitatif. Pour pouvoir apposer le qualificatif d’effondrement sur une société, cela suppose donc un changement sur un même territoire, des membres de l’ethnie dominante, qui sont présents sur un territoire, par ceux d’une autre ethnie. Il ne doit pas non plus y avoir de changement de la localisation de la société, sinon c’est simplement une migration. Un effondrement ne peut se limiter seulement aux changements de dirigeants appartenant à cette société, sinon il s’agit simplement d’une révolution. Enfin, s’il n’y a pas une réduction quantitative massive de la population ou du territoire, il s’agit alors simplement d’un affaiblissement et non d’un effondrement ou d’une extinction.

C’est le facteur colonialiste qui serait plutôt la première cause d’effondrement des sociétés. C’est l’hypothèse des auteurs de l’ouvrage Questionning Collapse (Interroger l’effondrement) coordonné par Mc Anany. C’est-à-dire les conflits guerriers et les invasions économiques. C’est l’analyse de Hunt et Lipo pour l’île de Pâques et de Michael Wilcox pour les « Anasazis », les Indiens Pima et Hohokam (leur vrai nom) qui vivaient autrefois au sud-ouest des États-Unis. Or, pour Diamond, ce n’est pas le colonialisme le facteur principal de leur effondrement, mais principalement une mauvaise gestion environnementale, suite à un changement climatique. Les facteurs explicatifs de l’effondrement seraient donc à la fois écologiques et liés à des conflits avec des sociétés extérieures. On retrouve donc bien deux des cinq facteurs d’effondrement formulés par Diamond, par contre leurs hiérarchies changent avec Wilcox.

Le modèle Handy utilisé par Motesharrei montre que dans le cas de la société maya les inégalités socio-économiques s’avèrent un des multiples facteurs de son effondrement ou du moins de son exode. Ces analyses de l’effondrement des Mayas ajoutent le facteur des inégalités économiques, mais ne remettent pas en cause l’ensemble des principaux facteurs explicatifs de Diamond, mais les hiérarchisent différemment.

Un des facteurs d’effondrement mis en évidence par Jared Diamond relève « des conflits avec d’autres sociétés. » Dans l’ouvrage de McAnnany, qui privilégie le facteur colonialiste, un des auteurs, David Cahill, considère que Diamond se révèle trop ethnocentrique dans son analyse de la chute de l’Empire inca. La thèse de Cahill serait « que Diamond surévalue le rôle des épidémies et la supériorité militaire des conquistadors et néglige le rôle des élites politiques locales dans la chute de l’Inca » (Cahill David, in McAnany, 2010, p. 231). Par conséquent, ces critiques viennent seulement nuancer les explications de Diamond. Pour celui-ci, la chute des Incas provient donc de leur faiblesse militaire par rapport aux conquistadors, alors que pour Cahill, il s’agit surtout des erreurs de choix des élites incas, donc une erreur de nature stratégique ou culturelle dans leurs décisions. Il ne s’agit donc que d’une variation dans la hiérarchie des cinq facteurs de Diamond, le facteur des erreurs de décision des élites devient moins important que les conflits avec d’autres sociétés.

Diamond appuie aussi son analyse du conflit entre sociétés comme cause de l’effondrement, sur un autre exemple, celui de la société maya. Il estime qu’ils n’ont pu soutenir les conflits avec leurs voisins lorsqu’ils ont connu une diminution de leur puissance économique. Ainsi, la majorité de la population va disparaître autour de l’an 909 (Diamond Jared, Effondrement, comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Paris, Gallimard, 2006).

La baisse de cette puissance aurait pour origine une mauvaise gestion agricole, plus généralement un facteur environnemental, qui serait la cause première de la fragilisation économique, puis militaire ayant entraîné la chute des Mayas.

La disparition de la majorité des Vikings au Groenland s’expliquerait majoritairement par deux facteurs-clés. Il s’agit des changements climatiques et d’un manque de volonté culturelle des élites de changer leurs modes d’organisation socio-économiques, selon Jared Diamond. Il faut néanmoins y ajouter un troisième facteur, les changements commerciaux extérieurs à la société. C’est pourquoi, généralement, les historiens qui le critiquent reprochent à Diamond le manque de « considérations sociopolitiques, ou le manque de nuances dans la prise en compte du facteur humain » et de trop privilégier la dimension écologique dans son ouvrage Effondrement. Il faut nuancer ces critiques, car Diamond distingue cinq facteurs-clés d’effondrement, dont trois relèvent de l’économie, de la culture et des guerres, et ne concernent donc pas le climat ni l’environnement.

Même si ce n’est pas le seul facteur explicatif pour le cas des Vikings, toujours est-il que le manque d’adaptation mentale et culturelle des élites et des peuples, face à un danger, limite ses chances de survie. Dans la situation mondiale de crise climatique et de la fin des ressources non renouvelables, le changement de paradigme culturel s’avère essentiel. Or la résistance culturelle des élites, mais aussi des peuples pour s’adapter au changement climatique et à la disparition des ressources non renouvelables, semble bien être le problème-clé actuel pour éviter un effondrement. En effet, une politique mondiale fondée sur le principe de précaution permettrait de choisir collectivement une politique décroissante et solidaire, afin de limiter l’effondrement en cours de la société humaine mondiale actuelle.

Pour conclure, hiérarchisons (par ordre décroissant), mais de manière relativement subjective, les facteurs déclencheurs de l’effondrement en cours (biodiversité, climat, environnement, ressources, famines…) : 1- Les transformations climatiques ;

2- L’insuffisance des ressources non renouvelables (énergies, métaux...) ; 3- La mauvaise gestion de son environnement (pour la production agricole, industrielle…) ; 4- Le déclenchement des guerres (le colonialisme, les conflits avec des voisins) ; 5- Les seuils de la croissance démographique, qui épuisent les ressources ; 6- La difficulté de satisfaire les besoins essentiels (alimentation, eau, logement, santé…) ;

7- Les seuils d’accumulation des inégalités de richesses économiques (financières, patrimoniales, industrielles...) ; 8- La rigidité culturelle et idéologique des dirigeants et des populations face à la nécessité de changements ; 9- Les limitations de la conscience collective par les peurs subconscientes de l’insécurité, d’être faible, de ne pas être reconnu, de mourir, etc., face aux changements ; 10- La trop grande complexité des sociétés (Tainter) ; 11- Le manque d’innovation technique face à un nouvel obstacle ; 12- Le manque de lutte sociale contre les dominations ; 13- La rigidité des structures du capitalisme (propriété des moyens de production et d’organisation du système économique, système de vente, travail à la chaîne, sous-traitance...).

Ces 13 facteurs déclencheurs de changement surviennent avec des fréquences différentes et deviennent parfois ensuite des facteurs structurants eux aussi à des degrés divers et à des fréquences d’apparition variées. Au sein de ces facteurs structurants figurent sept structures dominantes du pouvoir du local à l’international. Il s’agit de la structure du pouvoir économique, du pouvoir gouvernemental public (les gouvernements des États et des organisations internationales), du pouvoir répressif, idéologique, par les alliances, du pouvoir communicationnel et psychologique. La différence entre les structures sociétales et les structures sociétales du pouvoir, c’est que dans ces dernières, les humains se révèlent les acteurs principaux, tandis que dans les premières, ils ne le sont pas, ou le sont indirectement. C’est le cas du facteur structurant du climat, de la technique, de la démographie, du niveau des ressources... Le facteur économique prend une forme dominante actuellement, sous la forme du système du capitalisme, le capitalocène.

Thierry BRUGVIN

Dernier ouvrage paru :

« La relocalisation solidaire », Dacres, 2022.

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