
Le Premier ministre sortant Nagib Mikati déposant son bulletin dans l’urne à Tripoli pendant les législatives du 15 mai dernier. Fathi el-Masri/AFP
Des consultations parlementaires contraignantes pour nommer un Premier ministre, sans Saad Hariri ni toute autre figure sunnite de poids. Un tel scénario était très peu probable il y a quelques années, lorsque le courant du Futur et son leader monopolisaient quasiment la représentation de la communauté sunnite à la Chambre. Mais tel n’est plus le cas aujourd’hui. Les consultations parlementaires qui devraient se tenir dans les jours qui viennent à Baabda, comme l’a annoncé le chef de l’État Michel Aoun jeudi dernier, auront lieu en l’absence des haririens qui ont boycotté les législatives du 15 mai dernier. Fait inédit : l’agenda n’inclura même pas les anciens Premiers ministres (Nagib Mikati, Tammam Salam et Fouad Siniora) qui, comme le leader du Futur, ont choisi de ne pas se lancer en personne dans la bataille électorale.
Cette échéance constitutionnelle sans les grosses pointures sunnites n’est pas sans susciter des interrogations sur la couverture dont bénéficierait le futur Premier ministre issu de cette communauté. Surtout que son gouvernement pourrait être appelé à administrer le pays en période de vacance présidentielle, après l’expiration du mandat actuel, le 31 octobre. Le Premier ministre sortant Nagib Mikati a tenu des propos allant dans ce sens vendredi dernier, estimant depuis la Jordanie que « la présidentielle pourrait tarder ».
Boudées par Saad Hariri qui a annoncé en janvier dernier la suspension de son action politique et celle de son parti, les législatives de mai n’ont pas débouché sur un groupe parlementaire sunnite conséquent, capable d’imposer ses choix en vue de la nomination du nouveau chef du gouvernement. Même si plusieurs parlementaires sunnites, à l’instar de Hassan Mrad (Békaa-Ouest), Jihad et Abdel Aziz el-Samad (Denniyé) ou encore Yanal Solh (Baalbeck-Hermel), pour ne citer que quelques exemples, se sont rangés derrière le Hezbollah et peuvent donc faciliter la nomination d’un candidat du 8 Mars. « Il n’est plus question de couverture sunnite au Premier ministre depuis le coup d’État des chemises noires (éléments affiliés au Hezbollah) contre le gouvernement de Saad Hariri en 2011 », suppute Moustapha Allouche, ex-numéro 2 du Futur qui avait démissionné du parti pour se lancer dans la bataille législative, mais sans succès. « Il y a aussi le fait que M. Hariri a conclu des compromis aux dépens du pays », regrette-t-il, dans une critique de l’entente conclue en 2016 entre le leader sunnite et Michel Aoun qui avait permis à ce dernier, pourtant candidat du Hezbollah, d’accéder à Baabda.
« La tactique intelligente » du Hezbollah
Le Hezbollah aura-t-il le dernier mot dans le choix du prochain chef du gouvernement ? La question est d’autant plus légitime que des informations obtenues par L’Orient-Le Jour font état d’efforts déployés par le parti chiite pour reconduire le Premier ministre sortant dans ses fonctions pour cette période précédant l’expiration du mandat Aoun. Va-t-on donc vers une réédition du scénario Hassane Diab ? À la suite de la démission du gouvernement de Saad Hariri dans la foulée du mouvement de contestation d’octobre 2019, le Hezbollah était parvenu à imposer son candidat, Hassane Diab, désigné avec une maigre majorité de 69 voix, en dépit de l’opposition du leadership et de la rue sunnites. « Le Hezbollah n’a pas imposé le choix de M. Diab d’une façon unilatérale. Ce dernier a gouverné le pays pendant plusieurs mois grâce à la confiance de la Chambre, où tous les protagonistes étaient présents », tempère Karim Mufti, analyste politique sollicité par L’Orient-Le Jour. « Le Hezbollah fait usage d’une tactique intelligente qui consiste à impliquer tout le monde dans le processus politique. Et ce dans le but de ne pas en assumer seul la responsabilité », dit-il. C’est donc à travers ce prisme qu’il faudrait analyser les efforts déployés par la formation pro-iranienne en faveur de M. Mikati, candidat favori à sa propre succession en l’absence d’autres propositions, surtout que ce dernier est connu pour sa capacité à arrondir les angles. Notre chroniqueur politique Mounir Rabih rapportait récemment que même Bahia Hariri (tante de Saad Hariri) était favorable à la reconduction du milliardaire de Tripoli. Idem pour les parlementaires indépendants gravitant dans l’orbite haririenne, selon Walid Baarini, député du Akkar contacté par notre journal.
Mikati seul choix
« Il ne faut pas oublier que le Premier ministre sortant constitue un poids lourd sur la scène sunnite. Il possède donc sa propre envergure », estime Karim Mufti. L’analyste converge sur ce point avec l’un des ex-chefs du gouvernement. « M. Mikati a sa propre base qui le soutient sur toute la ligne », affirme ce membre du « club des anciens Premiers ministres », qui se veut représentatif du pouls de la rue sunnite. Il s’agit donc du seul « bloc sunnite » soudé face au Hezbollah et ses alliés, qui n’avait d’ailleurs pas appuyé à l’époque la nomination de Hassane Diab. « Il est vrai que nous n’avons pas une présence parlementaire. Mais nous sommes une force politique importante », assure cet ancien Premier ministre. Sauf que cette fois-ci, aucun des membres de ce club ne sera reçu par le chef de l’État lors des consultations parlementaires. « Il faut être pragmatique. Il est vrai que les anciens Premiers ministres ont boudé les urnes. Mais la communauté sunnite demeure présente à la Chambre et ses députés vont exprimer leur point de vue à Baabda », commente Ali Darwiche, ancien parlementaire tripolitain proche de M. Mikati, laissant entendre que ce dernier était prêt à former la future équipe ministérielle, même sans appui sunnite explicite des anti-Hezbollah. « Mikati est le seul choix à l’heure actuelle, affirme le membre du club des anciens Premiers ministres. Mais cela ne signifie pas qu’il pourra mettre sur pied son équipe, car il devra composer avec ceux qui ont déjà commencé à lui imposer leurs conditions. » Une critique adressée au chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, accusé de s’accrocher à certains portefeuilles juteux, tels que l’Énergie, et de remettre aussi sur la table une mise à l’écart du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé.
De son côté, Nagib Mikati semble conscient de sa position de force, à défaut de concurrence sérieuse. Il impose donc lentement mais sûrement ses conditions pour former le cabinet. Il s’agit notamment de l’adoption des réformes et du plan de relance économique. « M. Mikati sera prêt à mettre en place une nouvelle équipe s’il est sûr qu’elle pourra réaliser quelque chose et s’il n’est pas soumis à des conditions préalables », affirme Ali Darwiche.
IL A SA VOIX ET CELLE DE SON FRERE !
13 h 55, le 13 juin 2022