Face à une opposition multiple, plurielle et arrivée en rangs dispersés à la première séance de la nouvelle Chambre, se trouve un camp soudé derrière le Hezbollah. C’est à la faveur de cette équation que le parti chiite et ses alliés sont parvenus à obtenir la majorité étriquée de 65 voix (sur 128) pour reconduire Nabih Berry à la présidence de la Chambre et faire élire Élias Bou Saab, député metniote du Courant patriotique libre, à la vice-présidence, ainsi que son collègue Alain Aoun au secrétariat de la nouvelle législature. Cette majorité arrivée au forceps est le résultat d’un calcul minutieusement effectué par le Hezbollah pour assurer le succès des candidats qu’il soutient, en dépit des rapports en dents de scie entre ses alliés traditionnels, notamment le CPL qui entretient des relations perturbées aussi bien avec le mouvement Amal de M. Berry qu’avec les Marada de Sleiman Frangié. Cette stratégie a pu donner le sentiment que le parti pro-iranien détenait encore la majorité, contrairement à ce qu’indiquaient les résultats des élections législatives. Mais la réalité est plus nuancée, ce qui est vrai pour les postes-clés de la Chambre ne l’étant pas nécessairement pour les autres dossiers.
Va-t-on vers une réédition du scénario de mardi lors des prochaines échéances politiques qui guettent la nouvelle Chambre ? La question est d’autant plus légitime que les protagonistes politiques de tout bord se préparent pour ces deux batailles. Première échéance : la formation d’un nouveau gouvernement quelques mois avant l’expiration du mandat du président de la République Michel Aoun, fin octobre. L’article 53 de la Constitution, qui définit les prérogatives du chef de l’État, stipule que ce dernier « nomme le Premier ministre désigné après concertations avec le président de la Chambre à l’issue de consultations parlementaires contraignantes ». « Pour le choix du chef du gouvernement, il n’y a ni quorum ni majorité requis. C’est le candidat qui obtient le plus grand nombre de voix qui est désigné pour former la nouvelle équipe ministérielle », décrypte pour L’Orient-Le Jour Ziad Baroud, juriste et ancien ministre de l’Intérieur. Une explication confirmée par plusieurs expériences antérieures. En 2019, dans la foulée de la contestation d’octobre de la même année, Hassane Diab, candidat appuyé par le Hezbollah et ses satellites, avait été désigné à la faveur de 69 voix seulement alors que Saad Hariri avait été désigné avant lui avec plus de 100 votes en sa faveur. Mais la situation semble différente aujourd’hui. « Le Hezbollah n’a aucun intérêt à imposer sa volonté au niveau du prochain gouvernement », souligne Kassem Kassir, analyste proche des cercles du parti de Hassan Nasrallah. « Ce qui s’est passé mardi est le résultat d’une entente ponctuelle liée spécifiquement à la présidence et la vice-présidence de la Chambre », soutient-il, avant de poursuivre : « Au niveau de la formation du cabinet, les choses sont beaucoup plus compliquées, dans la mesure où le pays a besoin d’un Premier ministre qui puisse parvenir à former un gouvernement et qui soit capable de dialoguer avec la communauté internationale, ce qui favorise les chances d’une reconduction de Nagib Mikati à ce poste. » Selon lui, « la logique du règne de la majorité ne tient plus et l’heure est à un compromis élargi dont le Hezbollah, force incontournable sur la scène locale, fera certainement partie ».
Un point de vue que les Forces libanaises de Samir Geagea ne partagent pas. Au lendemain des législatives du 15 mai dernier, le parti définissait ses priorités : la mise en place d’un gouvernement de majorité. Aujourd’hui, il est de plus en plus déterminé à mener cette bataille face au Hezbollah à tous les niveaux, à commencer par la nomination du futur Premier ministre.
« Nous savons que la nouvelle majorité est plurielle et qu’il est difficile de s’entendre sur des points communs. Mais il faut aplanir les obstacles pour pouvoir arriver en force à la bataille de la désignation du chef du gouvernement », commente un responsable FL. Expliquant son point de vue, il met en garde contre le choix d’une personnalité appuyée par le tandem chiite et Gebran Bassil, chef du CPL, dans la mesure où « cela risque de voir former des gouvernements semblables à ceux qui ont mené le pays à l’effondrement ». Une critique à peine voilée des cabinets Diab et Mikati auxquels les FL se sont farouchement opposées.
Un nouveau Fouad Chéhab
La première séance de la nouvelle Chambre a montré que le Hezbollah et ses alliés sont dotés d’un nombre de voix suffisant pour imposer un Premier ministre et lui assurer la confiance parlementaire. Mais cela est plus compliqué pour la présidentielle. Essentiellement pour deux raisons, qui favorisent un compromis en amont. La première, c’est la nécessité d’obtenir deux tiers des voix (86 sur 128) au premier tour, selon l’article 49 de la Constitution (la majorité absolue est ensuite requise au second tour).
La seconde, c’est l’obligation d’assurer un quorum des deux tiers pour la tenue de la séance. Les partis qui s’opposeraient à un éventuel candidat soutenu par le Hezbollah et ses alliés pourraient ainsi bloquer le processus. Entre 2014 et 2016, le Hezbollah et ses alliés ont bloqué la tenue de 45 séances parlementaires consacrées à l’élection du président, jusqu’à la victoire de leur candidat, Michel Aoun.
Les temps du blocage et des mauvaises habitudes sont-ils révolus, sachant que les résultats des élections législatives ont réduit les chances de Gebran Bassil et Sleiman Frangié d’accéder à Baabda ? « Le Hezbollah ne peut plus bloquer la présidentielle », rassure Kassem Kassir, soulignant que cela s’applique aussi à tous les autres protagonistes. « Il n’y a plus de majorité politique absolue. Celle-ci sera définie au cas par cas. Et je crois que nous nous dirigeons vers l’élection d’un nouveau Fouad Chéhab (chef de l’État entre 1958 et 1964), donc une figure de consensus », estime l’analyste. Il est rejoint sur ce point par le responsable FL cité plus haut. « Aucun camp ne peut élire seul un président au Liban », dit-il, indiquant que le parti se focalise actuellement sur la future équipe ministérielle. « Il est encore tôt pour parler du prochain président », renchérit Simon Abiramia, député CPL de Jbeil. « Il n’y a plus de majorité absolue. Celle-ci sera définie au cas par cas », dit-il.
Joumblatt reconnaît une « défaite »
« Défaite de la nouvelle majorité au Parlement », « dispersion des forces de l’opposition » : plusieurs voix du camp du 14 Mars se sont élevées hier contre les résultats du vote de la Chambre organisé la veille pour élire ses président et vice-président, appartenant tous les deux au camp du 8 Mars. Si le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt a soutenu la reconduite de Nabih Berry à la tête du Parlement, il a toutefois pointé du doigt un « manque de coordination » qui a favorisé l’élection de son vice-président, le député Élias Bou Saab. « Après la défaite hier de la nouvelle majorité au Parlement lors de l’élection du vice-président de la Chambre, qui a résulté d’un manque de coordination, il vaudrait mieux élaborer un programme commun qui dépasse les contradictions secondaires », a jugé M. Joumblatt hier sur son compte Twitter. Un tel programme doit être trouvé, selon lui, « pour faire face au camp du 8 Mars syro-iranien qui, pour rappel, se vengera de sa défaite aux élections par tous les moyens et n’épargnera personne ».
Les propos du leader druze ont vivement été critiqués par le député aouniste César Abi Khalil. « Que M. Joumblatt nous explique comment il s’est rangé d’abord dans le rang du Hezbollah et du mouvement Amal (lors de l’élection de M. Berry), et ensuite, avec ceux qui se sont opposés à M. Bou Saab, dix minutes plus tard », a-t-il fustigé, selon des propos rapportés par le média local el-Nashra.
De son côté, le député maronite de Jbeil Ziad Hawat, allié aux Forces libanaises qui se réclament également de l’opposition, a confié au journal an-Nahar que les résultats des votes « étaient attendus à cause de la dispersion des forces de l’opposition et la présence d’un chef d’orchestre qui est le meneur incontesté de l’autre camp ». Mardi, M. Hawat a perdu l’élection pour le poste de secrétaire maronite du Parlement face à Alain Aoun (Courant patriotique libre), qui l’a emporté avec 65 voix. « Nous n’avons pas réussi à trouver une feuille de route unique pour les forces de l’opposition », a-t-il regretté.Pour sa part, le nouveau vice-président de la Chambre a assuré que les résultats similaires du vote (65 voix) pour M. Berry et lui n’étaient pas le résultat d’un « accord », alors que plusieurs observateurs estiment que le mouvement Amal et le CPL auraient concocté un compromis pour faire accéder ces députés à leurs postes respectifs. Dans un entretien à la radio Saout el-Mada, M. Bou Saab a affirmé que les résultats similaires du vote pour M. Berry et lui « n’émanaient pas d’un accord », estimant que « cela relève de l’imagination des incitateurs ». « Si ceux qui avaient voté pour Berry avaient voté pour moi, j’aurais obtenu plus de voix », a-t-il ajouté. L’élu était fort du soutien du tandem chiite ainsi que de plusieurs députés indépendants flottant dans une zone grise face à Ghassan Skaff, candidat indépendant réputé proche du PSP, qui a obtenu 49 voix. M. Bou Saab a enfin estimé que « le rôle du vice-président est très important parce qu’il préside les commissions parlementaires mixtes où les lois sont préparées ».
commentaires (13)
N'est il pas ridicule de definir Joumblatt comme une force revolutionnaire, revoyez son histoire depuis Taef a ce jour...
Nader
13 h 30, le 03 juin 2022