
La plateforme d’Energean Power traversant, sur cette photo datée du 3 juin 2022, le canal de Suez, en route vers le champ gazier de Karish. Photo AFP / HO / Autorité du canal de Suez
L’arrivée, le 5 juin courant, de la plateforme flottante d’extraction gazière Energean Power sur le champ de Karish – qui devrait, selon les prévisions, commencer à produire dans environ 4 mois – a immédiatement déclenché un concert d’indignations de la part de la classe politique libanaise. Après avoir clamé la nécessité de défendre des droits territoriaux bafoués et accusé Israël d’escalade, ils se sont soudain souvenus du médiateur américain Amos Hochstein et l’ont invité à se rendre au plus vite au Liban pour tenter à nouveau de résoudre le conflit maritime par la voie diplomatique. Or, les autorités libanaises étaient au courant de l’arrivée de la plateforme flottante depuis plus d’un mois, tandis qu’elles n’ont fourni aucune réponse officielle à la proposition de Hochstein, reçue en février dernier, sur le partage des 860 kilomètres carrés qui constituent toujours la base théorique des négociations avec Israël…
Grande confusion
En réalité, cette réaction bien tardive n’est que le dernier exemple de la grande confusion qui règne dans la gestion de ce dossier par les autorités libanaises depuis ses débuts en 2007 (lorsqu’un accord – jamais ratifié depuis – a été conclu avec Chypre), et particulièrement depuis l’adoption de la tentative de reprise des négociations en 2020. Ainsi, après avoir autorisé cette année-là la délégation libanaise à négocier sur la base de la ligne 29 – qui élargit la zone disputée de 1 430 km2 par rapport à la ligne 23 déposée en 2011 à l’ONU –, le président de la République a fini, en février 2022, par déclarer aux médias que la frontière maritime du Liban est définie par la ligne 23, rejoignant ainsi les positions du Premier ministre Najib Mikati et du président du Parlement Nabih Berry. Résultat : seuls les membres de la délégation et une partie de l’opinion publique libanaise continuent de revendiquer la ligne 29. Dès lors, comment comprendre les déclarations des autorités qui affirment que le champ de Karish est dans une zone contestée, alors même que celui-ci se trouve au-delà de la ligne 23 ?
Cela ne s’explique que par le fait qu’elles sont incapables de trouver une issue viable : la proposition de Hochstein est basée sur le partage du champ de Qana (qui se trouve au sein du bloc 9 libanais et de la zone de 860 km2) et du bloc 8 (également en partie dans cette zone). Faute de pouvoir partager les ressources et les revenus potentiels avec Israël, les politiciens libanais ont alors tenté de convaincre l’opinion qu’en s’en tenant à la ligne 23, le Liban pourrait obtenir un troc du type « Qana en échange de Karish ». Il s’est avéré que cette équation était fausse et qu’ils ont abandonné la ligne 29 pour rien. Du coup, ils veulent aujourd’hui faire pression sur le médiateur américain et Israël en affirmant que le gouvernement libanais considère toujours Karish dans la zone contestée, mais sans pour autant adopter l’amendement du décret 6433 qui consacre la reconnaissance de la ligne 29 en vue d’un dépôt ultérieur de ce tracé à l’ONU.
Dans ce contexte où les ressources et la souveraineté du pays sont soumises aux positions contradictoires et aux postures vaines, les 13 députés du changement n’ont eu d’autre choix que de réagir. Lors d’une conférence de presse tenue lundi dernier, ils ont demandé aux autorités de promulguer en urgence l’amendement au décret 6433 et de faire le nécessaire pour demander à Energean d’arrêter ses travaux à Karish jusqu’à ce que les négociations soient terminées. Faute de quoi, les députés sont prêts à proposer un projet de loi qui reprenne les dispositions de l’amendement et demanderont la création d’une commission parlementaire pour enquêter sur la gestion de ce dossier depuis 2007.
Immédiatement après, les députés ont été critiqués : certains ont estimé qu’il fallait accepter la proposition de Hochstein et se concentrer sur le développement du secteur des hydrocarbures sans perdre davantage de temps ; tandis que d’autres y ont vu le risque de fournir un prétexte au Hezbollah pour déclencher une guerre contre Israël.
Réaction nécessaire
La demande des députés constitue pourtant une étape nécessaire sur laquelle capitaliser. Le fait que le gouvernement soit démissionnaire ne doit pas empêcher de demander des comptes sur des décisions – ou des omissions – prises lorsqu’il était de plein exercice. L’inaction coûte aussi cher au Liban que les actes répréhensibles. Les députés doivent aussi commencer à mettre en place la commission parlementaire le plus tôt possible, car le peuple libanais a le droit de savoir qui a accumulé les erreurs nous ayant entraînés là où nous sommes.
À ceux qui se réclament d’une approche « pragmatique » consistant à accepter la ligne 23 et se concentrer sur l’extraction du pétrole et du gaz, je voudrais rappeler que les députés du changement ont justement été élus pour instaurer une nouvelle pratique de la vie politique et mettre en œuvre les revendications de la Thaoura, notamment en ce qui concerne le renforcement des institutions et leur affranchissement vis-à vis du marchandage politique permanent et de la corruption. Pourquoi voulez-vous aujourd’hui, sur ce dossier vital, revenir aux pratiques du système corrompu ? Pourquoi vous opposez-vous à l’alignement sur les lois et traités internationaux conclus par le Liban ? Pourquoi renoncer au droit et accepter le fait accompli ? À ce compte-là, autant accepter tous les accords bancals que l’État pourrait conclure dans les années à venir sous prétexte que l’économie est chancelante et qu’il faut aller vite….
De plus, réclamer aujourd’hui d’accélérer l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures sans avoir adopté au préalable toutes les réformes de gouvernance nécessaires expose cette richesse potentielle au risque d’être pillée. Le pétrole et le gaz ne sauveront ni l’économie du Liban ni les déposants. Nous avons besoin de beaucoup de travail politique et de réformes au niveau de l’administration et des différents secteurs économiques avant d’espérer bénéficier des retombées du gaz.
Quant à l’argument selon lequel la reconnaissance de la ligne 29 risque de conduire à une guerre avec Israël, on peine à le comprendre. Tant que le gouvernement libanais s’en tient à la négociation, conformément aux règles internationales en la matière, il n’y a aucune raison pour que le Hezbollah utilise la violence ; d’autant qu’il a déclaré à plusieurs reprises qu’il laissait l’État gérer ce dossier – même s’il a chargé l’ancien député Nawaf Moussaoui d’en assurer le suivi et continue de brandir la menace d’une intervention en cas de violation constatée par les autorités. De plus, le ministre sortant des Travaux publics affilié au parti Ali Hamiyé s’est bien gardé de soulever la question de la ligne 29 lors de la dernière réunion du cabinet. Enfin, comme le parti de Dieu sait sans doute que toute guerre contre Israël peut l’exposer à une perte militaire, politique et populaire, pourquoi prendrait-il ce risque alors qu’il ne l’a pas fait pour les hameaux de Chébaa ou la zone de 860 km2 officiellement contestée ? Alors, pourquoi les voix s’élèvent-elles aujourd’hui pour empêcher des représentants du peuple de faire pression sur le gouvernement afin qu’il rectifie le tir et modifie le décret 6433 ?
Laury Haytayan est experte en gouvernance dans le secteur des hydrocarbures et coordinatrice générale du parti Taqaddom.
Si le hezb voulait vraiment attaquer il n’aurait pas attendu (ex: la guerre de juillet, les insultes aux pays du golf même si cela a mener à la rupture entre le Liban et l’Arabie) … SON PARRAI. L’IRAN NE LE LUI A PAS ENCORE DONNER L’ORDRE, et c’est pour ça que cette fois ci il se cache derrière l’état lol …
14 h 17, le 12 juin 2022