Pour Nabih Berry, présider les séances parlementaires devient une rude épreuve. Le président de la Chambre, en fonction depuis trente ans et passé maître dans l’art de conclure des accords politiques loin des feux de la rampe, n’est clairement pas habitué à ce que nombre de députés, notamment ceux de l’opposition, se rebellent contre ces « us et coutumes » et affrontent le chef du législatif dans son arène. Après l’avoir contraint à se plier à leur demande de donner lecture des bulletins de vote lors des élections du président et du vice-président de la Chambre, le 31 mai dernier, les opposants ont marqué un nouveau point : « Nous avons obligé M. Berry à tenir des élections démocratiques. » C’est en ces termes qu’Ibrahim Mneimné, député de Beyrouth relevant de la contestation, résume la longue séance parlementaire tenue hier place de l’Étoile pour former les commissions de la nouvelle Chambre.
Ces commissions sont « le véritable cœur du Parlement », pour reprendre les termes de M. Berry qui s’exprimait à l’ouverture de la réunion. Elles examinent les projets et propositions de loi, avant qu’ils ne soient déférés à l’Assemblée pour adoption, d’où l’importance pour les protagonistes d’en faire partie. Selon l’article 19 du règlement intérieur de la Chambre, les membres des commissions parlementaires sont élus au vote secret et à la majorité absolue (moitié plus un) des votants. Les élections sont donc un long et laborieux processus à l’heure où le vote électronique continue de se heurter à plusieurs veto. Cette question a été soulevée au cours de la séance par Waddah Sadek, député de Beyrouth (contestation). Dans son intervention, il a plaidé en faveur d’une modification du règlement intérieur de la Chambre afin d’adopter le vote électronique. Il a même présenté une proposition de loi allant dans ce sens. Il a été rejoint par plusieurs de ses collègues gravitant dans l’opposition, notamment Élias Hankache (Kataëb, Metn) et Michel Moawad, député de Zghorta. « Les élections des membres des commissions ne se font de cette manière qu’au Liban », s’insurge ce dernier, contacté par L’Orient-Le Jour.
De son côté, M. Hankache a rappelé sur son compte Twitter que, sur le plan technique, les installations du Parlement permettent d’appliquer le système de vote électronique. Une prise de position d’autant plus significative que le dépouillement des voix à l’issue de l’élection des 17 membres de la commission des Finances et du Budget a pris plus d’une heure… faute d’entente politique préalable, comme le voulait le chef du législatif. « J’aurais souhaité que l’on trouve un accord (en amont de la séance) vu qu’il y a de la place pour tous les députés, sinon le vote se poursuivra durant des semaines », a lancé M. Berry, alors que plusieurs parlementaires se plaignaient du temps mis à dépouiller les voix manuellement. Hagop Terzian (Tachnag, Beyrouth) a même fait valoir que par simple calcul mathématique, les élections pourraient durer 73 heures…
C’est donc en l’absence d’accord préalable à la libanaise que la nouvelle Chambre a commencé par élire les 17 membres de la commission des Finances et du Budget parmi les 21 députés candidats. Le journaliste de notre publication jumelle L’Orient Today Kabalan Farah, qui se trouvait sur place, rapporte à ce sujet que la candidature de Firas Hamdane (contestation, Hasbaya) a suscité une brève altercation verbale entre ce dernier et Ali Hassan Khalil (Amal), M. Hamdane s’étant porté candidat après la présentation d’une liste de 20 noms de la part du Parlement. Finalement, M. Hamdane a perdu la bataille pour cette commission de même que Mark Daou (contestation, Aley). Seul Ibrahim Mneimné représentera les parlementaires de la thaoura dans cette importante commission rassemblant des élus de tous les bords, exception faite des Kataëb.
Les présidents élus vendredi
Juste après ces élections, Ibrahim Kanaan, président sortant de cette commission, a twitté pour « remercier (ses) collègues de leur confiance ». « Le plus important est de coopérer pour être productifs », a-t-il ajouté, donnant ainsi le sentiment d’être sûr de sa reconduction à son poste. Une impression qui pourrait se confirmer lors de la séance qui sera consacrée à l’élection des présidents et rapporteurs des commissions. Elle se tiendra vendredi à 15h place de l’Étoile. Il reste que M. Kanaan pourra compter sur l’appui de tous les membres de la commission (dont plusieurs nouveaux venus par rapport à 2018), à l’exception d’Ibrahim Mneimné et de Michel Moawad. « Je suis contre le fait que le Courant patriotique libre dirige la commission des Finances et celle de l’Économie alors qu’il est présent à la tête du ministère de l’Économie », dit ce dernier à L’OLJ. Après les Finances, les élus passent à l’élection des membres de la commission de l’Administration et la Justice. Là aussi, les parlementaires font la sourde oreille aux appels de Nabih Berry à un accord préalable. « Essayez de vous entendre », a lancé le chef du législatif. « Nous ne voulons pas gâcher les noces démocratiques », a répondu Salim Aoun (CPL, Zahlé). C’est donc à l’issue d’un vote que les 17 membres de cette commission ont été élus. D’importants changements sont à signaler sur ce plan : seuls quelques députés ont gardé la place qu’il s’étaient réservée depuis 2018, dont le président de cette commission Georges Adwan qui brigue un second mandat. Quant à la contestation, elle n’a pas pu opérer une percée, n’ayant pas pu élire Melhem Khalaf ni Firas Hamdane, leurs deux candidats à cette commission. Comble de l’ironie : les deux députés berrystes Ali Hassan Khalil (Marjeyoun) et Ghazi Zeaïter (Baalbeck) font partie de la commission de la Justice alors même qu’ils sont... poursuivis par la justice dans le cadre de l’enquête sur la double explosion meurtrière du 4 août 2020 au port de Beyrouth.
Changement de stratégie
Après avoir élu les membres des deux commissions perçues comme parmi les plus importantes, les députés ont changé de stratégie, se montrant ouverts aux contacts politiques en quête d’ententes préalables. Des consensus ont ainsi été trouvés pour élire d’office les membres des commissions des Affaires étrangères et des Émigrés, de l’Information et des Télécoms, de la Jeunesse et des Sports, des Droits de l’homme, ainsi que celle de la Femme et de l’Enfant.
Lors de la séance nocturne, la Chambre a élu les membres des commissions de la Défense et de l’Intérieur, largement dominée par le Hezbollah et ses alliés et marquée par l’absence des députés de la thaoura ; de l’Économie et des Travaux publics, alors que les membres de celles de la Technologie de l’information et de l’Agriculture et du Tourisme ont été élus d’office. Idem pour la commission de l’Environnement, où Najat Aoun (Chouf) a opéré une percée au nom de la contestation.
Lors de la séance de vendredi, le Parlement élira, outre les présidents et rapporteurs, les membres des commissions de l’Éducation et de la Santé.
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LA LIBRE EXPRESSION
13 h 09, le 08 juin 2022