Chute record de la livre libanaise, hausse des prix des carburants, rationnement de l'eau courante, grève des pharmacies... après une actualité marquée par les législatives et les promesses électorales, la crise libanaise, dans toutes ses facettes, revient sur le devant de la scène ce mardi.
Peu avant 14h, la livre a ainsi atteint le seuil record des 34.000 LL pour un dollar, selon la plateforme lirarate.org. La différence entre le taux de change sur le marché parallèle et la plateforme Sayrafa (24.300 LL lundi soir), mise en place par la Banque du Liban en vue de stabiliser le taux de change, continue de se creuser, dépassant actuellement les 9.000 LL, une semaine après les élections législatives.
La hausse du taux, qui se poursuit depuis une dizaine de jours après un peu moins d'un mois de stabilité, avait provoqué dès la matinée une nouvelle augmentation des prix des carburants. Selon le nouveau tarif publié par le ministère de l'Energie, le prix du bidon d'essence à 95 octane est fixé à 588.000 LL, en hausse de 32.000 LL. Enregistrant une augmentation similaire, le bidon d'essence à 98 octane se vend désormais à 599.000 LL. La hausse de prix des 20 litres de diesel (vendu à la pompe pour les véhicules, et non celui utilisé dans les générateurs) est, elle, nettement moindre, de 3.000 LL, et le bidon est commercialisé à 681.000 LL. Le prix de la bonbonne de gaz domestique a, lui, augmenté de 10.000 LL et se vend désormais à 416.000 LL, au lendemain d'une grève des usines de remplissage des bouteilles qui réclament une marge de profit plus élevée.
Consécutivement à ces deux facteurs, augmentation des prix des carburants et chute de la livre, auxquels s'ajoute une pénurie d'électricité publique toujours plus sévère, notamment depuis que la centrale de Deir Ammar s'est mise à l'arrêt ce matin, un programme de rationnement de l'eau courante a été adopté par l'Office des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban sur le littoral de cette région. "Nous espérons que la situation s'améliorera, car si elle se perpétue ainsi, elle mènera à une incapacité totale d'approvisionnement en eau et à une coupure totale de l'approvisionnement !", a redouté l'Office dans un communiqué.
Grève des pharmaciens
C'est également la chute de la livre libanaise qui a poussé les pharmaciens à se mettre en grève dans la matinée afin de dénoncer des ruptures de stocks, dues à une suspension des livraisons par les importateurs, et réclamer une augmentation des prix des médicaments. Les pharmaciens demandent également une tarification hebdomadaire des prix des médicaments, ce qui selon eux pousserait les importateurs à continuer de fournir les officines en médicaments. Pour faire entendre leurs revendications, ils ont manifesté devant le ministère de la Santé à Bir Hassan et un certain nombre d'entre eux ont fermé leurs pharmacies, notamment à Saïda, comme le rapporte notre correspondant Mountasser Abdallah.
"Nous sommes ici aujourd'hui pour qu'un plan clair sur les médicaments soit élaboré, à commencer par une publication régulière des tarifs des produits", a plaidé Joe Salloum, le président de l'ordre des pharmaciens, qui a expliqué que nombre de patients avaient recours à des médicaments contrefaits, moins chers que ceux vendus en pharmacie. "Cette anarchie, cette tromperie et ce trafic conduisent à tuer le patient, sauf à payer le double du prix réel", a-t-il fustigé. Si les patients ont recours à des médicaments contrefaits, "c'est parce que l'Etat et le ministère ne fournissent pas le bon médicament, et n'adoptent aucun plan dans ce sens", a déploré M. Salloum.
Jeudi et vendredi, ce seront les hôpitaux qui se mettront en grève, conformément à un appel lancé par le syndicat des propriétaires d’hôpitaux et des Ordres des médecins de Beyrouth et de Tripoli. Cela signifie que toute intervention considérée non urgente sera reportée, et que seules les urgences et les dialyses seront admises dans les établissements. Cette mesure sera accompagnée, jeudi, d’un sit-in du personnel du secteur de la santé devant le siège de la Banque du Liban (BDL) à 11h à Hamra. Une mobilisation motivée, comme l'a expliqué lundi le président de l'Ordre des médecins à L'OLJ, par les restrictions bancaires imposées aux établissements et aux patients.
La constante dépréciation de la livre depuis le début de la crise en 2019, et ses multiples répercussions, a plongé plus des trois quarts des Libanais sous le seuil de pauvreté et anéanti leur pouvoir d'achat, comme l'a encore rappelé mardi après-midi le président du syndicat des importateurs de produits alimentaires, Hani Bohsali. Il a affirmé dans un communiqué que, s'il n'y avait aucun risque de pénurie d'aliments, la chute rapide de la livre libanaise risquait de porter atteinte à la sécurité alimentaire, "une grande partie des citoyens ne pouvant plus subvenir à leurs besoins".
Elle intervient en dépit d'un accord préliminaire entre le gouvernement et le Fonds monétaire international (FMI), qui devrait allouer au Liban 3 milliards de dollars pendant quatre ans pour l'aider à faire face à ses multiples crises. L'institution monétaire avait fourni un plan d'action détaillé énumérant toutes les réformes requises de la part du gouvernement libanais pour que cette aide soit effectivement débloquée. C'est dans ce cadre que le gouvernement de Nagib Mikati a, lors de la dernière réunion de son mandat, approuvé un plan de redressement, qui doit désormais être étudié par le Parlement. Dans la journée, l'Association des banques du Liban a rejeté cette feuille de route, estimant qu'elle fait peser sur les déposants la totalité des pertes liées à l'effondrement économique du pays.
La revolution doit être teintée de sang
05 h 19, le 26 mai 2022