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Nos Lecteurs ont la Parole

Le Liban expliqué à Éric Zemmour

Il est le droit des politiques du monde entier de tirer des leçons des failles de la scène socio-politique libanaise afin d’éviter les mêmes erreurs dans leurs pays. Dans cet exercice, la bonne compréhension et l’identification minutieuse des problèmes sont primordiales, là où Éric Zemmour a mal démarré le sien. En se projetant dans une France « libanisée » d’ici à quelques années dans le cas d’une éventuelle réélection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française, Zemmour se trouve à comparer l’incomparable : les problèmes de la France et ceux du Liban. La société française sur la voie de libanisation d’Éric Zemmour est fondée sur l’incompréhension d’un problème politique, d’une part, et l’incompatibilité de deux modèles, de l’autre.

Zemmour part d’un constat démographique simple : l’augmentation de la proportion des populations musulmanes en France et au Liban par rapport aux populations d’origines judéo-chrétiennes et, proportionnellement, l’essor de la violence au sein des deux sociétés et vis-à-vis des deux pays, donc le risque de ce qu’il appelle le « grand remplacement » qu’il estime que le Liban a déjà connu et que la France connaîtrait dans quelques années. Si la configuration caricaturale « chrétiens versus musulmans » est souvent retenue pour décrire le début de la guerre civile libanaise, il convient de mentionner que pendant celle-ci, la militarisation de la population civile et la violence intrasociétale touchent toutes les communautés. Le motif des affrontements est purement politique et pas religieux. Des visions politiques radicalement opposées au sein d’une même communauté se traduisent par des affrontements constants entre deux ou plusieurs milices chrétiennes ou musulmanes entre elles. Il est également important de rappeler que mise à part l’arrivée des Arméniens et des assyro-chaldéens dans les années 1915-1925, la diversité ethno-religieuse libanaise ne résulte pas de mouvements migratoires récents : elle est le résultat naturel de la présence multicentenaire de différentes communautés autochtones, issues de différentes confessions, sur un même territoire. Le Liban n’a pas connu un remplacement de sa population d’origine, puisque cette population a toujours été hétérogène. La doxa de « l’avènement d’un islam violent au pays pacifique des chrétiens » est historiquement fausse.

Si l’immigration massive est à l’origine du déséquilibre démographique en France, au Liban, ce déséquilibre est dû à l’émigration, au phénomène inverse. Certes, le favoritisme confessionnel dans les très rares cas de naturalisation des réfugiés, les conditions déplorables dans lesquelles les réfugiés et les travailleurs-migrants sont souvent contraints à vivre, l’accueil massif des réfugiés par rapport aux infrastructures du Liban et les travailleurs-migrants sans papiers restent des sujets qui nécessitent une attention et une action imminentes, mais qui diffèrent largement du problème français, puisqu’en règle générale, le Liban ne naturalise pas les réfugiés et travailleurs migrants présents sur son territoire. Les allocations sociales des réfugiés sont versées par les organisations internationales compétentes. Les migrants ne peuvent pas être à l’origine du déficit fiscal de l’État libanais, comme Zemmour le pense pour la France et compare les conséquences de l’immigration dans les deux pays.

La faillite communément admise mais jamais déclarée de l’État libanais n’est autre que le résultat d’une corruption instaurée et entretenue depuis des années par les élites politiques et leurs alliés. Il n’est pas faux de voir dans le confessionnalisme, dans sa configuration actuelle, un accélérateur dans l’instauration du clientélisme politique et de la corruption. Toutefois, il convient de séparer le politique du culturel et du religieux, puisqu’au Liban, le port de signes religieux et les manifestations culturelles dans l’espace public ne sont pas des sujets de débats ou de désaccord. L’espace public libanais est multiconfessionnel, donc hétérogène. L’espace public français est laïc, donc neutre. Une différence structurelle fondamentale oppose les deux sociétés et rend cette comparaison impossible. La France a réussi à forger une nation accomplie mais peine à assurer une coexistence pacifique des communautés ethno-religieuses dans l’espace public, puisqu’elle tend vers un modèle « assimilationniste » ayant vocation à faire disparaître les particularités culturelles. Face à l’austérité des minorités, ce modèle connaît aujourd’hui une crise sans précédent. A contrario, le Liban est parvenu à devenir un territoire de coexistence pacifique pour dix-huit communautés religieuses, à inculquer une culture d’acception de l’« autre » dans sa différence, mais peine à devenir une nation, puisqu’il tend vers un modèle intégrationniste qui s’arrête à la participation de toutes les confessions au pouvoir politique. Le problème français relève du social, le problème libanais relève du politique.

La crise libanaise puise ses origines du XIXe siècle sous l’Empire ottoman, quand les considérations ethno-religieuses sont mises en avant dans les décisions politiques. Cette situation a comme conséquences les émeutes nationalistes, et les différents conflits et crises entre minorités confessionnelles au sein de l’empire. De plus, au fil de son histoire, le Liban cherche toujours à oublier ou à éliminer superficiellement ses problèmes en écartant l’alternative de résolutions durables pour une paix durable. Ces deux facteurs structurels sont largement à l’origine de la crise sociopolitique actuelle du Liban. Éric Zemmour n’a pas réussi à tirer les bons enseignements du paysage politique libanais : son programme présidentiel, fondé sur des considérations ethno-religieuses et ayant vocation à se débarrasser des problèmes plutôt qu’à les résoudre, peut seul être à l’origine d’une « libanisation » de la France d’ici à quelques années.


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Il est le droit des politiques du monde entier de tirer des leçons des failles de la scène socio-politique libanaise afin d’éviter les mêmes erreurs dans leurs pays. Dans cet exercice, la bonne compréhension et l’identification minutieuse des problèmes sont primordiales, là où Éric Zemmour a mal démarré le sien. En se projetant dans une France « libanisée » d’ici à...

commentaires (2)

La France n’a pas le Hezbollah…..

Eleni Caridopoulou

17 h 06, le 06 avril 2022

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Commentaires (2)

  • La France n’a pas le Hezbollah…..

    Eleni Caridopoulou

    17 h 06, le 06 avril 2022

  • il fallait plutot comprendre non pas les mots tels qu'enonces par zemmour ni soa sonnerie d'alarme, mais la simple et evidente menace dont souffrent et souffriront plusieurs autres pays : la difference culturelle entre un meme "peuple", entre les citoyens d'un meme pays. C'est tres vrai, c'est malheureux qu'actuellement cette "chose" est surtout d'origine religieuse mais pas exclusivement .

    Gaby SIOUFI

    15 h 49, le 06 avril 2022

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